Lutter contre le racisme, c’est
défendre l’universalité de nos valeurs, l’unité du genre humain. A l’exact
opposé de l’offensive antirépublicaine actuellement à l’œuvre.
Tribune
Il y a encore trente ans, la cartographie de la
haine était simple à établir : le racisme et l’antisémitisme étaient d’extrême
droite. D’un côté, les héritiers de la Résistance, et de l’autre, ceux de
Vichy. L’antiracisme avait son propre «mur de Berlin».
Depuis, le monde a changé, les murs sont tombés, les
fronts se sont multipliés. Le mouvement antiraciste est resté figé dans des
réflexes et des pratiques datées. Faute d’avoir mesuré ces changements
profonds, il a manqué la mise à jour de son logiciel et son adaptation aux
nouvelles frontières de la haine. A contrario de ses adversaires, il n’a
pas su s’adapter à la révolution numérique. Il a tardé à comprendre que l’extrême
droite n’avait plus le monopole du racisme et de l’antisémitisme et a laissé le
champ libre à l’expression de nouvelles radicalités. Ce retard à l’allumage
tient aussi à la mystification, qui s’est présentée à l’opinion sous les traits
d’un antiracisme adapté aux identités plurielles - issues de l’immigration,
marquées par la mémoire de l’esclavage, la colonisation - et affilié à la
gauche. C’est sous ce masque pervers que la haine a, par effraction, trouvé
refuge.
Le 4 avril, Libération consacrait
justement son numéro aux «Visages contestés de l’antiracisme». L’éditorial de
Laurent Joffrin a parfaitement analysé «le piège grossier» qui nous est
tendu. Pourtant, à la faveur de cette «plongée chez les nouveaux
antiracistes», on comprend facilement comment l’appropriation d’un combat
peut conduire à son détournement et à sa dénaturation. Si l’on n’y prend pas
garde, on risque d’attribuer sans discernement à ces faussaires des brevets
d’antiracisme. Le moment est venu de bien nommer les choses, de cesser de faire
capituler le langage devant des évidences et dire clairement que ces gens-là ne
sont rien d’autre que des racistes et des antisémites. Il est temps de rappeler
que la politisation de l’antiracisme est une imposture et une impasse derrière
laquelle se cachent «l’anticapitaliste, l’anticolonialisme, l’anti-impérialisme»,
«l’antisionisme», «la lutte des races sociales». Elle porte en elle les
ferments d’un nouveau totalitarisme, reconstruisant des murs que nous avions
détruits de haute lutte.
Le racisme et l’antisémitisme ont changé. Face à nous
désormais, des cumulards de la haine des juifs, des homosexuels, des Blancs et,
d’une certaine manière, des femmes. Désigner «le Blanc» comme symbole
dominateur d’un prétendu «racisme d’Etat» qui sévirait en France, c’est être
raciste. Quitter une réunion féministe en raison du trop grand nombre «de meufs
blanches et assimilationnistes», c’est aussi être raciste. Revendiquer le
communautarisme et accueillir à bras ouverts le fondamentalisme religieux pour
«guérir la France de l’islamophobie», c’est offrir à l’extrême droite un
boulevard pour promouvoir une conception contre-nature de la laïcité.
Une offensive antirépublicaine est à l’œuvre. Elle est
puissante car elle bénéficie de la montée des populismes et des
communautarismes qui exploitent, chacun de leur côté, le business de la peur et
du repli identitaire. Ces deux extrémismes sont les deux faces d’une même
pièce, celle de la haine qui conduit à la division et à l’affrontement. Elle
appelle la même réprobation et les mêmes réponses.
Etre antiraciste, c’est défendre l’universalité de nos
valeurs et l’unité du genre humain. C’est défendre le caractère indivisible de
la Nation. Il n’existe pas d’antiracisme à la découpe ou à la carte. Etre
antiraciste, c’est savoir être «de la couleur de ceux qu’on persécute»
(Lamartine). L’idée qu’il faudrait être concerné par une discrimination pour la
combattre est la négation même du combat antiraciste. Le silence assourdissant
de ces prétendus «nouveaux visages» face à la condamnation de l’antisémitisme
est l’aveu de leur supercherie «antiraciste». Il suffit de les voir applaudir
les charlatans du négationnisme ou théoriser le «philosémitisme de l’Etat» pour
s’en rendre compte.
Le mouvement antiraciste, le vrai, a désormais fait
son aggiornamento en allant, pour reprendre Jaurès, vers son idéal en
comprenant le réel. Sur les réseaux sociaux et sur le terrain, aux côtés des
victimes, de toutes les victimes, black, blanc, ou beur, juive, athée,
chrétienne, musulmane, de banlieue, des beaux quartiers ou d’un village rural,
hétérosexuelle ou homosexuelle. Qu’on se le dise une fois pour toutes :
l’antiracisme est universel, il vaut pour tous ou il ne vaut rien.
Alain Jakubowicz,
Président de la Licra, Libération, 11 avril 2016