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29 juin 2011

Une publicité qui rend mal à l'aise ...


Peut-être avez vous remarqué cette publicité il y a quelques mois, dans le métro ou  sur les pages de journaux ? Radio France Internationale (RFI) lançait une campagne de publicité, et il fallait illustrer son caractère "mondial" ... par contraste avec l'actualité de nos grandes chaînes de radios - télés, toujours trop hexagonales !

Louable intention, donc, mais pourquoi avoir sélectionné - avec seulement juste une ou deux autres photos à mon souvenir - ce visage de femme voilée, portant une tenue certes banale en Arabie Saoudite ou en Iran, mais pas encore, heureusement, dans la majorité du monde musulman ? Un Mexicain en sombrero ou un Vietnamien dans une rizière n'aurait-il pas été aussi "exotique", mais plus riant ? Autrement dit, n'y aurait-il pas comme un message subliminal, alors même que l'Assemblée Nationale venait d'interdire le port de la burqa dans l'espace public ?

En y voyant de plus prêt, plusieurs choses mettent mal à l'aise : on ne sait pas si la jeune femme est vraiment arabe ou iranienne, ou plutôt une jeune Européenne convertie  avec ses yeux bleus ; serait-ce cela "l'info" ? Doit-on considérer que l'info "nait ici", parce qu'elle en est l'acteur, ou la victime ? Y-a-t-il un message implicite de ce regard, celui de dire "pensez à moi", ou plutôt "mon opinion compte autant que la vôtre" ? Doit-on considérer - vu à nouveau la sélection faite par RFI - que le vaste monde vu par Radio France c'est d'abord et avant tout le monde musulman ... quel mépris, alors, pour les milliards d'autres humains oubliés par cette campagne publicitaire ! Remarque subsidiaire, enfin : imagine-t-on seulement une minute la photo d'un Juif orthodoxe pour évoquer une parcelle d'Humanité ?

Un dernier mot : cette campagne publicitaire a été lancée avant le "Printemps arabe". Le choix des images était donc délibéré et déconnecté d'une actualité brûlante. 

J.C

28 juin 2011

250.000 !


Et voilà, ça y est ... un nouveau "cap" est passé pour le blog, en termes d'audimat : le compteur "Neoworx" (les drapeaux qui défilent sur le widget, en bas à gauche de la page) a  franchi la barre des 250.000 visiteurs ce lundi 27 juin.

Ce total correspond à un peu plus de 5 ans de publications, puisque j'avais introduit ce compteur au mois de mars 2006, alors que le blog venait de fêter son premier anniversaire et allait passer un autre cap, beaucoup plus modeste, celui  des 10.000 visiteurs : à l'époque était opérationnel un autre enregistreur - le logiciel "sitemeter" dont je vous ai souvent parlé dans le passé -, riche aussi en enseignements mais qui s'est "scratché", malheureusement, au moment de la "remise à niveau du blog" effectuée  à la fin de l'année dernière.

250.000 visiteurs, c'est très peu par rapport au score des sites d'information - en gros le même nombre que pour une journée de "hits" sur un titre de la presse nationale : mais c'est beaucoup par rapport aux centaines de milliers de blogs, souvent nombrilistes ou sans suivi qui encombrent le Web. En tout cas, vous savez bien, amis lecteurs et auditeurs, que la ténacité et la régularité font partie des (petites) qualités me caractérisant : si donc j'en aurai la force et la santé, je vous donne déjà rendez-vous  pour le ... 500.000 millième visiteur, et dans moins de cinq ans j'espère !

J.C

27 juin 2011

L'UEJF sur tous les fronts : Arielle Schwab et Jonathan Hayoun seront mes invités le 3 juillet

Arielle Schwab


Dimanche prochain, pour cette dernière émission de la saison, j'aurai le plaisir d'avoir avec moi deux jeunes invités de l'Union des Étudiants Juifs de France, Arielle Schwab, l'actuelle présidente de l'U.E.J.F et Jonathan Hayoun, vice-président. J'ai intitulé cette émission "L'U.E.J.F sur tous les fronts", peut-être que certains y verront un clin d'œil à l'actualité politique avec la montée très inquiétante du Front National, dont la candidate risque vraiment de provoquer aux prochaines élections un nouveau "21 avril", en éliminant le candidat de gauche ou de droite pour le deuxième tour des prochaines présidentielles. Mais il ne s'agit pas seulement de cela. Depuis quasiment l'origine de cette série radiophonique, j'ai souvent eu comme invités des responsables de ce syndicat, parce que l'Union des Étudiants Juifs de France a toujours été en prise directe avec des sujets évoqués à ce micro : actualité tourmentée au Moyen-Orient, avec tellement d'espoirs de Paix après les accords d'Oslo et tellement d'inquiétudes depuis plus de dix ans ; remontée brutale de l'antisémitisme en France, qui a frappé directement la jeunesse juive, et on sait que sur certains campus universitaires il n'est pas facile d'afficher son identité ; tensions avec une partie de la jeunesse musulmane, les préjugés de part et d'autre revenant au grand galop alors même que les valeurs de ce syndicat, fondé en 1944 à la Libération, l'ont toujours fait militer contre tous les racismes : alors j'ai régulièrement invité des présidents en exercice de l'U.E.J.F, et c'est pourquoi je serai heureux de faire un point aujourd'hui avec deux de ses dirigeants pour parler de leurs dernières actions.

Parmi les questions que je poserai à Arielle Schwab et Jonathan Hayoun :

- Vous avez réagi vivement au projet, avorté, d'invitation de Marine Le Pen chez nos confrères de Radio J le 13 mars dernier. Pensez-vous qu'il y a vraiment un risque qu'une partie non négligeable des citoyens juifs de notre pays votent pour le Front National ? Et quels arguments leur donner, alors même que les discours classiques, "moralisateurs" semblent ne plus fonctionner ?
- Sans parler de certains Juifs qui reprennent à leur compte des slogans carrément racistes et haineux, contre les Musulmans ou les populations d'origine maghrébine, il y a une réelle inquiétude que partagent une majorité de Français,  celle d'une immigration totalement incontrôlée qui modifierait la démographie du pays. Or le problème de la gauche en général, ou d'une organisation comme SOS Racisme à laquelle l'U.E.J.F est très liée, c'est le refus d'accepter de déconnecter deux choses : le racisme envers des citoyens français d'origine étrangère ; et le refus de flux migratoires sans limites, alors même que nos finances sont en lourd déficit et que l'intégration se fait de plus en plus difficilement : qu'en pensez-vous ?
- L'Union des Étudiants Juifs de France devait tenir sa convention nationale au Maroc, du 26 au 30 mai dernier : or ce voyage, d'après ce que j'ai compris, avait fait des vagues avant de se dérouler, il y a eu des prises de position hostiles sur place : pourriez-vous raconter à nos auditeurs ce qui s'est exactement passé ?
-  Sous le titre "S’accommoder des pratiques religieuses pour les concours n’est pas trahir la laïcité", vous avez dénoncé dans une tribune du journal "Le Monde" le calendrier de certains concours d'entrée aux Grandes Écoles, qui interdisait d'examen les étudiants juifs pratiquants. Est-ce que l'on constate, effectivement, une tension grandissante à propos de la laïcité dans l'éducation nationale ? Est-ce que c'est la peur de subir, en parallèle, des pressions des Musulmans pour leurs fêtes ? Et, d'une manière plus générale, n'est-il pas devenu plus difficile d'être un jeune Juif à l'Université, à une époque à la fois l'état d'Israël et le fait religieux sont devenus des sujets polémiques ?

J'espère que vous serez nombreux à l'écoute, pour cette dernière émission avant les traditionnelles rediffusions de l'été !

J.C 

26 juin 2011

L'ombre de Ben Ali plane sur la presse tunisienne

Introduction :

Le secrétaire général de Reporters sans frontières revient de Tunis. Jean-François Julliard est partagé entre l'enthousiasme de la récente révolution et l'inquiétude d'assister au retour des vieux réflexes autoritaires. 

J.C

La presse tunisienne est libre. Plus libre que sous Ben Ali. Cela ne fait aucun doute et personne ne le conteste. Pourtant, beaucoup de Tunisiens craignent de ne pas profiter bien longtemps de cette liberté. Pour eux, elle pourrait s'évanouir aussi soudainement qu'elle est apparue.
Le paysage médiatique peine à évoluer. Dans les kiosques, deux ou trois nouveaux titres seulement. En dehors du journal de l'ancien parti gouvernemental, les quotidiens historiques sont toujours là. Le contenu a changé mais les noms, les signatures et même la maquette restent identiques. A la télévision, rien de neuf. Aucune nouvelle chaîne n'a été lancée depuis la chute de l'ancien régime. Idem pour la radio. Une centaine de demandes de création de radios ou télévisions ont été déposées. Elles sont en cours d'examen, mais cela prend du temps. Plus de temps que les Tunisiens le pensaient.
Les journalistes de province sont les oubliés de la révolution médiatique. Pour eux, rien n'a changé. A Radio Sfax ou Radio Monastir, deux stations publiques régionales, l'information vit encore sous l'ère Ben Ali. Les conférences de rédaction n'existent pas. Les ordres viennent d'en haut et les journalistes les exécutent. Aucune discussion sur les choix des sujets, ni sur l'angle à adopter. Le débat est absent au sein des équipes, autant qu'à l'antenne.
Pire: dans certaines radios, les dirigeants —fervents défenseurs de Ben Ali avant sa chute le 14 janvier 2011— se vantent d'être aujourd'hui les vrais révolutionnaires, ceux grâce à qui la liberté de la presse existe en Tunisie. Pour la plupart, ils ne sont pas journalistes, n'ont jamais pratiqué ce métier et n'ont pas l'intention de commencer aujourd'hui. Pour eux, le recueil de témoignages ne sert à rien, pas plus que le recoupement des sources. Et ceux-là tiennent à l'écart les bons éléments, tirant vers le bas la qualité de l'information dans les régions.
Les journalistes indépendants historiques (Sihem Bensedrine, Taoufik Ben Brik...) ne se contentent pas d'une liberté en demi-teinte. Ils dénoncent une apparence de révolution et un système toujours en place.
Certes, la presse étrangère est désormais présente. Impensable auparavant, les Tunisiens peuvent désormais lire sans se cacher Le Canard enchaîné ou Le Monde. En revanche, Charlie Hebdo a déjà fait savoir que la publication ne serait plus vendue dans le pays. Un numéro de l'hebdomadaire satirique a été interdit en raison de caricatures jugées trop dures envers la religion musulmane. La direction a préféré cesser sa distribution en attendant des jours meilleurs.
D'autres anicroches ont été recensées. Des pages Facebook ont par exemple été censurées à la demande de la justice militaire. L'Agence tunisienne d’Internet a décidé de jouer la transparence en affichant ouvertement la réquisition du juge d'instruction militaire. Le blogueur Slim Amamou, propulsé secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, a jeté l'éponge pour retourner à ses anciennes activités. Lui aussi a dénoncé un retour de la censure.
L'autorité de transition planche sur trois textes essentiels: une loi sur la presse débarrassée de ses dispositions les plus liberticides, un Freedom of Information Act à l'américaine qui permettrait une plus grande transparence, et une loi sur l'audiovisuel instituant un CSA local. Mais le temps presse. Si les trois textes ne sont pas adoptés avant l'élection de la Constituante, ils seront renvoyés à une date ultérieure. Et le risque est grand de voir les vainqueurs sortis des urnes reprendre un travail déjà accompli, mais peut-être pas à leur goût. Les partis politiques hostiles aux libertés n'ont pas déserté la Tunisie.
Il n'est pas trop tard, mais il faut agir vite. Les journalistes tunisiens ont besoin de tout: formation, moyens, garantie d'indépendance, amélioration des conditions de travail et un management à la hauteur. Si on ne les aide pas, les vieux réflexes autoritaires de contrôle de l'information vont refaire surface. Et la révolution tunisienne aura perdu l'un de ses plus précieux acquis.

Jean-François Julliard
secrétaire général de Reporters sans frontières
Slate Afrique, 30 mai 2011

23 juin 2011

Ludwig Deutsch, une mémoire d'Egypte

Le marchand de sahleb, toile de Ludwig Deutsch


Une toile sur la Toile 
- juin 2011 

Ludwig Deutsch (1855-1935) est un peintre orientaliste autrichien qui fut fasciné par l’Égypte, où il accomplit de nombreux voyages. Je vous invite à lire cette courte biographie en lien.

Ses peintures sont aussi colorées que précises, comme autant de photos qui ne verseraient pas trop dans les fantasmes bien d'époque : pratiquement pas de scènes de harems, par exemple, ou de lascives odalisques ; mais des images d'artisans, d'entrées de mosquées ou d'impressionnants gardes nubiens ; Deutsch est un des rares artistes à avoir évoqué la dimension africaine de l'Egypte, dont le royaume s'étendait jadis au cœur du Soudan !

J'ai choisi cette toile parmi de multiples autres car, justement, on y voit quelques femmes ; et on y découvre le petit peuple, souvent oublié par les peintres orientalistes ...


A noter enfin, que - et c'est assez singulier - un blog est consacré à ce peintre par une de ses admiratrices : c'est à cette adresse.

J.C

21 juin 2011

A propos de liens et de liaisons dangereuses ...


Je trouve enfin un peu de temps pour vous parler de la cinquantaine de liens permanents vous renvoyant à des médias, de presse ou de radio télévisions, et qui se trouvent dans la colonne de droite.

Sauf erreur de ma part, je ne crois pas qu'il y ait d'autres sites et blogs juifs francophones vous donnant un tel panel. Pourquoi ? Les raisons sont multiples, mais j'en vois cinq principales, la dernière étant lourde de sens - et quelque part, liées aux autres.

- Tout d'abord, ma sélection - qui n'est pas encore exhaustive et qui peut s'enrichir d'autres adresses -, couvre un large spectre de médias, que je visite souvent au hasard de mes "surfs" : au fond il s'agit de l'activité basique du journalisme, aller à la pêche aux informations et aux débats d'idées. Clairement, un site "idéologique" dont l'objet n'est pas d'informer mais de canaliser les opinions dans un moule pré formaté, ne fera pas cette démarche, l'important pour lui étant, toujours et toujours, d'enfoncer le clou toujours au même endroit.

- Ensuite, vous y trouvez des sites français d'information, de droite comme de gauche, quotidiens comme hebdomadaires. Or les site juifs "confrères" ont pour leur majorité tranché, jetant aux orties tout ce que l'on peut lire et entendre dans notre pays, comme si la désinformation était partout, et comme si le "parti pris" pro-arabe rendait hostile toutes les publications. Alors, soyons clair : si on le pense vraiment, c'est que l'on situe dans un "créneau idéologique" s'estimant non représenté dans les médias français ; ce "créneau" décrypte toute l'actualité, européenne, mondiale ou proche-orientale en termes de "choc des civilisations" avec l'islam ; et, effectivement, ce genre d'approche n'est ni celle des médias français, ni celle de la quasi totalité des partis politiques, ni celle de la majorité de nos concitoyens.

- Dans le même esprit, un lecteur borné s'étonnera de voir voisiner dans la liste les sites de personnalités brillantes mais de sensibilité opposée, comme Michel Gurfinkiel et Caroline Fourest, ou - à propos d'Israël - très "colombe" (comme le site de "La Paix maintenant") ou tenant d'une ligne dure (comme "Objectif Info") : mais mes auditeurs fidèles comprennent que le pluralisme - gage de bonne foi journalistique - est indispensable à toute réflexion. Un pluralisme que vous connaissez bien en suivant, au fil des années, la diversité de mes invités. Un pluralisme que les ami(e)s de mon réseau FaceBook connaissent bien également, vu la variété de leurs opinions et la richesse des débats qui s'engagent, parfois, sur ma page ... Seules limites, celles qu'un minimum d'éthique personnelle m'impose : vous n'y trouverez ni site incitant à la haine anti arabe, anti musulmane ou antisémite, ni adresse - hélas, en prolifération constante - soutenant un anti sionisme radical. Ai-je besoin de préciser aussi que mettre en lien des adresses ne signifie pas, non plus, cautionner tout ce que l'on peut y lire ?

- Rapidement, et toujours dans le même contexte journalistique, vous trouverez en liens plusieurs adresses de médias arabes ou musulmans, ce qui est bien le minimum pour un blog et une émission de ma thématique : même rappel, pour les esprits bornés ... je n'ai évidemment pas la même sensibilité que les éditorialistes d'Al-Jazeera, par exemple !

- Enfin vous ne trouverez pas en liens - et hélas, on a assisté à une banalisation complète du phénomène dans la "blogosphère juive" - les sites s'étant fait une "spécialité" dans l'hostilité à l'islam et aux musulmans : "bivouac-id", "français de souche", "observatoire de l'islamisation", "riposte laïque" ... autant d'adresses que vous ne trouverez pas sur mon blog : je sais qu'une partie de ma communauté s'apprête à voter pour Marine Le Pen, et cette banalisation sur le Web a préparé à cela les esprits les plus faibles. Au delà, donc, de ce racisme à rebours que je rejette et que je rejetterai de toutes mes forces, j'y vois aussi, hélas, une forme de fossilisation des esprits déjà évoqué plus haut : manque de curiosité, esprit de ghetto, intolérance ... tout ceci conduit à un "refus de l'autre" et donc à des "liaisons dangereuses" !

Jean Corcos

20 juin 2011

Arabie saoudite: la voiture qui cache les vrais problèmes


Manal Al-Charif

Introduction :
Et si l'histoire de Manal Al-Charif faisait aussi le jeu du régime saoudien? Pendant ce temps-là, on ne parle pas de redistribution des richesses, lutte contre la corruption, droits politiques, réforme constitutionnelle, libération des prisonniers politiques, maladies du roi et des princes, succession dynastique, etc.
J.C

Vous avez sûrement vu la vidéo de Manal Al-Charif au volant d’une voiture dans les rues de Dammam. La presse internationale multiplie les articles sur l’arrestation et l’emprisonnement de la jeune conductrice.
La révolution saoudienne sera celle des femmes au volant, semblent prédire les commentateurs qui tiennent enfin une icône révolutionnaire  au royaume des  émirs et  des pétrodollars.
Mais ne serions-nous pas en train de nous fourvoyer, incapables de voir plus loin que le bout du pare-choc de la voiture de Manal Al-Charif? Et si l’histoire de Manal faisait aussi le jeu du régime saoudien? S’il est un pays où les femmes ont encore beaucoup à conquérir, c’est bien en Arabie saoudite.
Mais cette provocation sur fond de guerre des sexes est une sorte d’affrontement très limité et codé auquel le pouvoir en place a sans doute tout intérêt : Manal Al-Charif à la une des journaux étrangers est bien moins dommageable pour la dynastie des Al-Saoud que les visages et les noms des centaines  d’opposants arrêtés et emprisonnés, ces dernières années.
Chaque fois qu’il y a crise politique au Royaume saoudien, c’est la même histoire qui ressort, la même polémique ritualisée, avertit l’anthropologue Madhawi Al-Rachid dans le quotidien Al Quds Al-Arabi. «Le courage de Manal Al- Charif ne souffre aucun doute (…) Toutefois rien ne sert autant le régime tyrannique que l’agitation de cette question-là. Elle permet surtout de faire diversion d’autres sujets plus fondamentaux», écrit cette professeure d’origine saoudienne qui travaille au King’s College de Londres.
Et elle est longue, la liste des «autres sujets plus fondamentaux»: redistribution des richesses, lutte contre la corruption, droits politiques, réforme constitutionnelle, libération des prisonniers politiques, maladies du roi et des princes, succession dynastique, etc. Les raisons de manifester contre la famille régnante ne manquent pas.

Cela bouge, un peu

Mais depuis l’échec de l’appel de la mobilisation du 11 mars, ce sont surtout des petits groupes de personnes qui se rassemblent ponctuellement. Les uns, devant le ministère du Travail  pour réclamer des emplois (30% des jeunes entre 20 et 30 ans sont chômeurs, surdiplômés pour 87% d’entre eux); les autres, devant le ministère de l’Intérieur pour demander la libération des prisonniers politiques; les derniers dans l’est du pays où vit la minorité chiite (10% des 28 millions d’habitants).
«Ces regroupements de jeunes, de femmes, de professeurs sont le signe que quelque chose bouge, explique Madhawi Al-Rachid. Mais la vague de fond n’est pas pour aujourd’hui car, fin février, le Roi Abdallah a acheté la loyauté de ses sujets: soit 25 milliards de dollars distribués sous forme de deux mois de salaires supplémentaires pour les fonctionnaires, de subventions dans le domaine de la santé, du recrutement de 6.000 hommes dans l’armée, d’aides au logement, etc. Tous ces efforts financiers et sociaux retardent la mobilisation populaire.»
Et puis, les images exotiques de la belle conductrice saoudienne détournent aussi notre attention de l’action contre-révolutionnaire que l’Arabie saoudite déploie dans le monde arabe. «Le régime saoudien cherche à stopper les révolutions arabes ou au moins à limiter leur ampleur. Il n’y a pas de doute qu’il s’est engagé dans la voie de la contre-révolution», confirme Stéphane Lacroix, chercheur à Sciences po.

La peur de la révolution égyptienne

Début 2011, l’Arabie saoudite accueille le Président Ben Ali en fuite, qu’elle refuse toujours de rendre à la justice tunisienne. Puis Ryad, furieux du lâchage de Moubarak par les États-Unis, intervient mi-mars à Bahreïn en faveur de la dynastie sunnite Al-Khalifa; ainsi le Roi Abdallah montre-t-il à Washington et à l’Iran que les pays de la péninsule peuvent contre-attaquer rapidement. Et pour renforcer et étendre l’influence du club des monarchies sunnites et conservatrices, il  invite les royaumes de Jordanie et du Maroc à rejoindre les six pays membres du Conseil de coopération du Golfe.  
Au-delà de son pré carré des mini États du Golfe, le pouvoir saoudien tente d’abord et avant tout de contrecarrer la révolution égyptienne. «Le régime préfère un dictateur comme Moubarak plutôt qu’un gouvernement démocrate musulman. Il use actuellement d’énormes moyens financiers pour soutenir l’armée égyptienne. Il veut empêcher l’émergence d’un gouvernement, composé par exemple de Frères musulmans et de partis de gauche, qui pourrait influencer  l’opposition saoudienne», analyse Madhawi Al-Rachid.
Ce qui est en jeu, c’est un nouveau modèle de gouvernance pour le monde arabe sunnite. Dans les années 1970, les membres du clan royal des Al-Saoud n’ont pas vraiment craint que la révolution iranienne (1979) influence ses sujets car l’Iran est chiite et perse, pas arabe sunnite.  
Ils minimisent également la portée du nouveau «modèle turc», instauré par le Premier ministre Tayyip Erdogan depuis 2002 car la Turquie n’est pas arabe non plus. Les exemples turc et iranien mobilisent un imaginaire ethnique différent. Mais avec l’Égypte, poids lourd du monde arabe sunnite, c’est une autre histoire.
Le Roi Abdallah et son entourage font le maximum pour empêcher la formation d’un gouvernement égyptien rival. «Les princes saoudiens veulent garder l’exclusivité islamique, c’est pourquoi ils ne soutiennent pas les Frères musulmans égyptiens. La conception saoudienne d’un Etat islamique est très différente de la conception qu’en ont les Frères musulmans. En Arabie saoudite, le système en place est basé sur une société rigoriste mais laisse une très grande marge de manœuvre à la famille royale, qui a pu faire le choix de l’alliance inconditionnelle avec les États-Unis. Les Frères en Égypte auraient probablement une politique étrangère plus circonspecte», explique Stéphane Lacroix, auteur de Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée (PUF, 2010).

A quand le Prince démocrate?

Sur le plan interne, la mobilisation contre-révolutionnaire est aussi lancée, mais l’avenir à court terme est plutôt au statu quo, sans réel changement en vue. Un courant pro-démocratique s’est développé ces dix dernières années (pétitions pour réclamer une monarchie constitutionnelle, création d’une association des droits de l’Homme indépendante en 2009, lancement du  premier parti politique saoudien en février).
Certains des jeunes activistes de la péninsule arabique ressemblent fort aux jeunes Égyptiens du 6 avril. Mais, le succès d’une révolution saoudienne ne peut avoir lieu sans le soutien des milieux islamistes locaux, les Sahwa. Or ceux-ci sont très liés et dépendants de l’État dont ils tirent de nombreux bénéfices, structurels et financiers; à l’heure actuelle, il semble très improbable que les Sahwa prennent le risque de sacrifier leurs relations avec le régime.        
La fratrie des fils du roi fondateur Abd al-Aziz Al Sa’ud devrait s’éteindre d’ici 10 à 15 ans, puisque son plus jeune membre en fonction a aujourd’hui 65 ans (le roi en a 87 et le prince héritier 84). «La transmission du pouvoir à la génération suivante (les fils des princes actuels) sera un moment délicat, prévoit Stéphane Lacroix, et il faut s’attendre à une compétition acharnée entre les différentes branches de la famille royale qui voudront placer leur “candidat”.»  
On peut même imaginer qu’à ce moment-là et pour «marquer sa  différence», un des Princes héritiers soutienne les mouvements sociaux.
Or il existe un précédent. A Ryad, tout le monde se souvient du  Prince héritier Talal. Dans les années 1960, ce futur roi  avait renoncé  au trône pour rejoindre la révolution socialiste nassérienne en Égypte. Surnommé le «Prince rouge», Talal  avait été condamné par une fatwa. Au pays des pétrodollars, un émir communiste, c’était du jamais vu. Alors, pourquoi pas, demain ou après-demain, un émir démocrate?

Ariane Bonzon
Slate.fr, 17 juin 2011

19 juin 2011

La Turquie sombre dans l’islamisme : Victoire écrasante de l’AKP


Les élections législatives en Turquie  se sont passées sans surprise  ce dimanche 12 juin 2011.
Le parti issu de la mouvance islamiste du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a remporté une victoire écrasante les législatives en Turquie, assurant une troisième législature consécutive, après dépouillement de la quasi-totalité des bulletins. Après comptage de 94% des voix, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, au pouvoir depuis 2002, a remporté 50,4% des voix, selon la chaîne d'information CNN-Türk. Le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002, assure ainsi  largement  la majorité absolue au Parlement de 550 sièges. Vient en deuxième position le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force d'opposition avec 25,8% des voix, suivie des nationalistes du MHP (Parti de l'action nationaliste) avec 13,2%.

A la lumière de ceci le parti islamo conservateur au pouvoir issu de la mouvance islamiste pourra former seul un gouvernement. C’est surtout depuis que les Turcs ont élus ce parti  islamiste que beaucoup de choses ont changé dans ce pays. En 2002, un parti islamiste, l’AKP de Recep Tayip Erdogan, arrive au pouvoir en Turquie. L'AKP a nommé des fonctionnaires religieux à des postes importants dans les ministères de l’éducation, de la justice et des affaires sociales. En août 2010 le conseilleur du Premier ministre turc a déclaré qu'il envisageait d'épouser une quatrième femme. Sa nomination a toutefois été approuvée au sein du gouvernement. En octobre 2010 Un haut magistrat tire la sonnette d'alarme :  le procureur général turc Abdurrahman Yalcinkaya a mis en garde contre la levée de l'interdiction du voile à l'université, estimant que cela "ouvrirait une brèche dans le principe de laïcité en fondant un arrangement public légal sur des bases religieuses".

Le Parti Républicain du Peuple (CHP), d’opposition, soupçonne, quant à lui, que l’AKP veuille exploiter les sentiments religieux pour gagner les élections. L'AKP a imaginé, en effet, une théorie du complot, qu'il a appelée Ergenekon, dans le but d'arrêter environ 200 opposants au parti, parmi lesquels des officiers de l'armée, sous l'accusation de complot visant à renverser le gouvernement élu. Le gouvernement islamo conservateur a foncièrement réussi à annihiler de facto l'influence de l'armée turque en tant que protectrice de la démocratie laïque. Le 22 février 2010, la justice turque a arrêté une centaine d’officiers de haut rang. Ce coup de filet sans précédent a mis un point final à la guerre que mène l'état-major laïciste contre le gouvernement islamiste du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan depuis l'arrivée au pouvoir de celui-ci.
En septembre 2010 le gouvernement  islamiste d’Erdogan a fait passer  des amendements modifiant la Constitution de 1982. En faisant ces amendements, Erdogan a  surtout  voulu en finir avec l’héritage de Mustapha Kemal.

L’AKP a abandonné l’alliance turco-israélo-américaine contre une intégration dans une un clan pro musulman, pro palestinien et antisioniste. Le Parti d’Erdogan a amorcé un retour massif vers l'Islam, voire l'islamisme. Il  réussi à renforcer les relations  de son pays au sein du Moyen Orient, plutôt qu'avec l'Occident, notamment auprès de deux  voisins, l'Iran et la Syrie.
Le rapprochement entre la Turquie et les pays de l’axe du Mal, et les tensions dans les relations entre Ankara et Jérusalem  ont déjà provoqué des effets collatéraux préoccupants au sein de la communauté juive turque. Les Juifs de Turquie s'inquiètent des conséquences éventuelles sur leur communauté après cette  nouvelle victoire  des islamistes aux législatives en Turquie L’atmosphère est déjà  très tendue et pleine d’hostilité, et certains slogans visaient les juifs et non pas seulement l’état israélien. Plus de 10.000 Turcs ont défilé  le mois dernier le long de l'avenue Istiklal, la principale artère commerçante d'Istanbul aux cris de "Maudit soit Israël!" et "Israël, assassin!", agitant des drapeaux palestiniens et des flambeaux, pour commémorer l'assaut contre le Mavi Marmara, l'an dernier. Cette atmosphère hostile trouve confirmation dans la violence des commentaires et de l’attitude du premier ministre Erdogan, qui alimentent l’hostilité envers Israël.

Tayyip Erdogan avait levé le voile sur son changement de stratégie dès 2004 en qualifiant Israël «d’Etat terroriste» quand il avait éliminé le Cheikh Yassine. Il avait invité à Ankara en février 2006 le chef du Hamas Khaled Mashaal avec les honneurs réservés aux personnalités et enfin avait traité Shimon Pérès «d’expert en assassinat» à la conférence de Davos de janvier 2009. En Octobre 2009  le Premier ministre Erdogan a tenu des propos incendiaires, accusant Israël d’avoir « lancé des bombes au phosphore sur des enfants innocents dans la bande de Gaza ». Ce dernier a en effet porté des accusations très graves contre Tsahal, n’hésitant pas à affirmer qu’il avait commis des « crimes de guerre » pendant l’opération Plomb Durci. Erdogan a  rallumé un feu en soufflant dans tout le Moyen Orient : visite en Iran, en Syrie, soutien au Hamas et Hezbollah. En janvier 2011 le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que son pays soutient le Hamas : «Nous soutenons le Hamas quand il à raison, parce que le mouvement Hamas est un mouvement de résistance. Le Hamas n’est pas un mouvement terroriste. Ces gens là défendent la terre. C’est un groupe politique qui a remporté les élections » à déclaré Erdogan  le 12 janvier 2011 sur Al Jazira.(…) Erdogan a aussi  exhorté Tony Blair à inclure le Hamas dans le processus de paix.

Le régime islamique turc de Erdogan a minutieusement planifié et concrétisé, en mai 2010, avec les dirigeants du mouvement terroriste palestinien Hamas, depuis la zone chypriote occupée par l’armée turque, une flottille du jihad. Neuf terroristes  avaient été tuées lors de l'opération commando israélienne contre ces militants pro-palestiniens pseudo pacifistes à bord de la première flottille pour Gaza. Dans la flottille II  en route  pour Gaza, fin juin 2011,  il y’aura aussi  un bon nombre d’extrémistes turcs membres de l’association humanitaire à tendance islamiste connue par son sigle IHH. Par cette  nouvelle opération, la Turquie veut encore assurer son leadership sous l'égide de l'idéologie panislamiste et jihadiste. D'où le soutien et le relais apporté par le gouvernement turc AKP aux relais de l'Iran dans la région : Syrie, Hezbollah, Hamas. La Turquie a voulu organiser sa nouvelle mise sous tutelle du Proche-Orient.

Selon le quotidien koweïtien as-Siyassa,  du 11 juin 2010, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a adressé il y a quelques jours une invitation officielle en Turquie au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le quotidien affirme que l'initiative du chef du gouvernement turc a été prise à la demande du président du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal. De même source, on indique que la visite de Nasrallah à Ankara ne serait possible que si les gardiens de la révolution iranienne assurent la protection du chef du Hezbollah durant son séjour en Turquie ainsi que durant son déplacement.

La politique turque du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan n’est pas si étrange que ça, elle s’inscrit dans la ligne de celle de l’Iran, la Syrie dont l’objectif est de créer un bloc islamo/dominant Ces derniers mois, alors que les observateurs note une dangereuse radicalisation du gouvernement, le gouvernement d’Ankara , un haut responsable turc proche du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, a confirmé le 15 avril dernier  qu'une représentation diplomatique des Talibans allait bientôt être établie à Istanbul !

Tous ces éléments ne peuvent pas nous rassure des conséquences  régionales de cette victoire des islamistes  turcs  aux élections législatives alors qu’en Tunisie,  par exemple,  le mouvement  islamique d’Ennahda (Parti de la Renaissance) qui se dit proche de l'AKP, le parti islamo-conservateur turc, se frotte aussi les mains pour prendre les commandes de l’Etat le 23 octobre prochain , lors des premières élections de l'après-Ben Ali.
  
Ftouh Souhail,
Tunis le 14 mars 2011

Nota de Jean Corcos
On connait l'engagement vigoureux de Souhail Ftouh contre l'islam radical, et je comprends parfaitement que ce jeune Tunisien s'inquiète de la contagion dans son pays, alors même que les partis islamistes justifient partout leur "modération" en disant, justement, que l'AKP est leur modèle ! Sur le plan géostratégique, par ailleurs, il est clair que le grand vainqueur des élections de dimanche dernier n'est pas un ami d'Israël, et que ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour Jérusalem.
Mais on connait aussi mon souci de rigueur et mon esprit de nuance ... et je ne peux pas ne pas compléter ce long article par quelques "bémols" :
1) A propos de la "flottille numéro deux", on vient d'apprendre que le "Mavi Marmara" ne reprendrait pas la mer, et le gouvernement turc fait tout pour éviter une nouvelle aventure.
2) A propos du rapprochement avec la Syrie, force est de constater que Erdogan a condamné les "atrocités" de la répression menée par le régime, se démarquant ainsi clairement de l'Iran qui soutient le clan Assad par tous les moyens.
3) Enfin à propos du vote des Turcs, deux remarques : tout d'abord l'AKP n'a pas obtenu la majorité des deux tiers qui lui aurait permis de modifier la Constitution ; ensuite, ce soutien populaire est aussi - et peut-être surtout - le fruit d'une excellente situation économique, à l'actif de ce parti et même s'il nous inquiète par ailleurs.

17 juin 2011

Les rebelles, Kadhafi et les Juifs



On l'aura compris, je n'ai guère eu d'hésitation à soutenir l'ensemble des révoltes dans le monde arabe, quelles que soient les orientations du despote au pouvoir - pro-occidental ou anti - et quelles que soient les inquiétudes, légitimes, que l'on pouvait avoir vis à vis d'une possible récupération islamiste. J'espère que celles et ceux qui auront suivi la série d'émissions consacrées à ces révoltes auront aussi constaté que je posais, aussi, des questions non "politiquement correctes", tant il est vrai que le "Printemps arabe" ne fait l'objet que d'éloges dans nos grands médias ; et ce, alors et par contraste, que la "blogosphère juive francophone" nous aura inondé de billets méprisants, sarcastiques et trop souvent racistes vis à vis de ces peuples luttant pour leur liberté ...

Soyons donc très clair : la photo que je publie aujourd'hui (1) ne date pas d'hier : elle a été prise au début de la révolution libyenne, dans les rues de Benghazi ; elle a été royalement ignorée par la presse française, tandis que des sites juifs l'ont publiée et republiée, y voyant la preuve définitive de l'antisémitisme de tous les révolutionnaires du pays - ceci sans parler de l'absurdité totale du message, faisant du dictateur un Juif camouflé ou le jouet d'Israël. Depuis, il y a eu l'intervention de l'aviation de l'OTAN après une résolution du Conseil de Sécurité à l'initiative de la France - une décision de Nicolas Sarkozy qui devait beaucoup, on l'a dit, au "forcing" de Bernard-Henri Lévy qui a rencontré, régulièrement, les représentants du "Conseil National de Transition" (CNT) au pouvoir dans l'Est de la Libye.

Or de ce CNT, de BHL et d'Israël il a été question ces derniers jours, à propos d'une confidence du second qui a fait l'objet d'un sec démenti : les nouvelles autorités libyennes seraient prêtes à reconnaître Israël, et Bernard-Henri Lévy aurait remis un message en ce sens au gouvernement de Jérusalem. Hélas, c'était trop beau ... et dans le fond, bien surprenant : que l'on pense simplement à l'Irak nouveau, bâti sur les ruines du régime de Saddam Hussein, et qui doit tout aux Américains ; aucun geste, aucune ouverture, rien n'a été fait en provenance de Bagdad vis à vis de l’État juif!

En conclusion, et même s'il n'y a pas lieu de regretter Kadhafi, les choses me semblent donc aussi claires que figées à moyen terme : même avec un début de démocratie, la haine des Juifs a été distillée pendant trop longtemps à une population souvent inculte, et cela interdit, hélas, de se faire trop d'illusions ...

J.C


(1) : impossible hélas d'agrandir la photo par un simple clic : on devine simplement que le personnage de la caricature, chien-vampire crachant le sang, porte une étoile de David bleue pour l'identifier comme juif.

16 juin 2011

La double dynamique du conflit syrien

Si les révolutions en Tunisie et en Égypte se sont jouées en quelques actes dramatiques, relativement simples et décisifs, le cas syrien s'apparente plutôt à un feuilleton alambiqué, dont on ne devine pas le dénouement. Aussi faut-il en suivre attentivement les épisodes, et rester attentifs aux rebondissements.

La violence qui agite le pays repose sur une double trame. D'un côté, il s'agit d'une révolte des provinces négligées par un régime qui en est pourtant issu. Hafez Assad, le père du président actuel, appartenait à une génération d'outsiders provinciaux d'origines très diverses, qui s'est battue pour son ascension sociale, la conquête d'un pouvoir accaparé par une élite quasi-féodale, et la projection de l’État vers les périphéries, à travers la provision de services, l'extension du maillage administratif, le déploiement du parti Baath, la mise en œuvre de grands projets de développement. etc.

La génération aujourd'hui au pouvoir a oublié ses origines. Elle a grandi à Damas, s'est mêlée à une élite urbaine qui a fait semblant de l'accepter, et a investi dans un processus de libéralisation qui, en Syrie comme ailleurs, ne profite qu'aux grandes villes au détriment des provinces. Dans ces dernières, l’État s'est éclipsé, de même que le parti, laissant les services de sécurité contenir un nombre croissant de problèmes – quand ils n'y contribuaient pas directement, en composant avec les trafiquants, les islamistes et les réseaux de corruption. Un peu partout en Syrie, ce legs éclate désormais au grand jour.

De l'autre côté se joue la revanche du régime policier allawite qui s'était constitué à la faveur de la grande répression du début des années 1980, quand le régime affrontait une insurrection sectaire dominée par les Frères musulmans. Ce régime que Bashar a hérité, il l'a en partie démantelé, écartant les barons des services et tempérant les abus de leurs agents. Les perdants de ce processus font actuellement un retour en force. Bashar, comme auparavant en période de crise, suit le mouvement.

Ce qui se passe sur le terrain est donc bien différent de ce qu'en dit le régime, bien qu'il n'ait pas tort sur tous les plans. Dans le discours officiel, la révolte serait une insurrection à dominante islamiste sponsorisée par l'étranger – semblable au phénomène d'il y a 30 ans. Mais le régime combat ses propres bases sociales bien plus que celles des Frères musulmans – dont les initiatives lancées de l'étranger rencontrent de faibles échos au niveau de la rue. Si fondamentalisme il y a, c'est essentiellement le résultat d'un vide laissé par un parti impotent, un État en retrait et un leadership retranché dans la capitale.

Dans les provinces, les Syriens ne voient plus aujourd'hui du régime que son pire visage : des services de sécurité qui ne se contentent pas de réprimer la composante armée du mouvement de protestation, mais tentent de l'écraser dans son ensemble, en recourant abusivement à la force, en multipliant les humiliations, en s'efforçant en somme de restaurer le mur de la peur. Peine perdue : s'il y une chose que les manifestants ne laisseront pas définir leur avenir, c'est le règne des services. Ce qu'ils veulent, fondamentalement, c'est celui de l’État – à savoir une forme de gouvernement leur assurant une représentation politique et une redistribution économique un tant soit peu équitable… et des recours contre la violence de l'appareil sécuritaire.

La majorité silencieuse soutient tacitement le régime par crainte, justement, que sa chute ne précipite aussi l'effondrement de ce qu'il existe d'une structure étatique. C'est le cas d'une portion importante des minorités (qui tremblent à l'idée d'un agenda islamiste hégémonique) des classes moyennes (dont le statut est largement tributaire de l’État) et des hommes affaires (qui craignent pour leurs intérêts prosaïques). La révolte des provinces les inquiète et l'opposition en exil ne les rassure pas, appelant au renversement du régime tout en se passant d'articuler la moindre alternative crédible.

Prié de garantir une forme de stabilité, le régime ne s'en comporte pas moins de façon chaotique, que ce soit en matière de répression, de réforme, de dialogue avec l'opposition, ou encore de gestion des conséquences économiques du désordre. Ce faisant, il convainc une part croissante de cette majorité silencieuse de son incapacité à offrir une issue ; en somme, bien que la dichotomie offerte par le pouvoir, "nous ou le chaos", l'ait bien servi au début, de plus en plus de Syriens répondent "quand à subir le chaos, autant se passer de vous". Ainsi, le régime pose les bases d'une mobilisation qui dépasserait largement le cadre de la révolte des provinces.

Aussi peu probable soit il, on ne peut pas exclure un autre scénario. L'approche sécuritaire adoptée par Bashar et portée par toute une élite soucieuse de protéger ou promouvoir ses intérêts, est en passe de démontrer son échec patent. Elle permet certes au régime de contenir l'ampleur de la mobilisation, mais ne l'éteindra pas. Elle catalyse la militarisation de certaines de ses franges, qui infligent à l'appareil de sécurité plus de pertes qu'il ne peut tolérer sur la durée. Et elle perpétue une instabilité qui fait perdre au régime ce qui lui reste de soutiens. Or, avec des ennemis nombreux et sans base populaire solide, il ne survivra pas.

Ce fiasco pourrait l'amener à rechercher plus sincèrement une sortie de crise politique, quand les partisans de la ligne dure n'auront plus rien à proposer. Il apparaît aujourd'hui qu'il a toujours été illusoire d'espérer que Bashar prendrait les devants, en se lançant dans une révolution contre son propre entourage. Mais les dynamiques au sein de l'élite pourraient néanmoins changer, en faveur d'éléments plus rationnels et raisonnables qui ont été marginalisés.

La lutte pour que la famille régnante se maintienne dans un climat de corruption, d'incompétence et d'impunité est une bataille qu'elle ne peut que perdre. La seule cause que le pouvoir peut espérer défendre, c'est celle de l’État, ce qui exigera de défaire bien des aspects qui font de lui un "régime". A ce stade, celui-ci a le choix entre se démanteler lui-même par ses erreurs et ses excès, jusqu'à l'implosion, ou se démanteler de façon volontaire et systématique. S'il fait ce second choix, il aura besoin de tous les encouragements que la société internationale peut offrir.
Il y a fort à parier que le régime opte plutôt pour la voie du suicide collectif. Dans ce cas, tout reposera, en dernière analyse, sur la détermination de la société syrienne, qui pour l'instant résiste aux dynamiques d'éclatement dont joue le pouvoir, à l'y pousser sans l'y suivre.

Peter Harling, 
directeur de projet, basé à Damas, pour l'International Crisis Group
Le Monde, 1er juin 2011

14 juin 2011

Connaissez-vous ce charmant pays (suite) ?



La devinette du mois
- juin 2011

Nouvelle devinette, dans la série inaugurée il y a maintenant deux mois : il s'agit de deviner un pays musulman, d'après l'architecture, typique, de sa capitale ou d'une grande ville.

Sur cette photo, vous remarquerez plusieurs immeubles datant de l'avant-guerre, plutôt de style européen, et entourant une tour surmontée d'une horloge : nous sommes au cœur d'une capitale, en plein Orient ... et cette place piétonnière est célèbre !
Comme d'habitude, e-mails bienvenus à l'adresse du blog : rencontre@noos.fr. Le résultat sera donné avec la prochaine devinette, le mois prochain.

Quand à la devinette précédente, il s'agissait ... du Maroc, la photo ayant été prise à Casablanca, grande métropole bâtie sous la colonisation,et qui renferme en effet plusieurs immeubles de style "art déco" ! 


J.C

13 juin 2011

Un chroniqueur jordanien : le droit de retour est une exigence irréaliste

Réagissant à l'initiative de paix pour le Moyen-Orient du président américain Barack Obama, incluant la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967, mais non le droit de retour pour les réfugiés palestiniens, le Dr Fahd Al-Fanek, ancien président du Conseil du quotidien gouvernemental jordanien Al-Rai, met en garde l'Autorité palestinienne contre le rejet d'un tel plan, estimant que le droit au retour est une exigence irréaliste. Extraits: [1]

Lorsque le président américain Barack Obama présente un projet de règlement global du problème palestinien, il le considère comme réalisable, vu qu'il ne le présenterait pas s'il n'avait au préalable obtenu l'approbation du côté israélien. La question est donc de savoir comment l'Autorité palestinienne régira.

La solution d'Obama sera la création d'un Etat palestinien dans les frontières du 5 juin [1967], avec échange de territoires agréé des deux côtés, et ayant pour conditions le renoncement au droit de retour des réfugiés palestiniens, et que [les Palestiniens] se satisfassent d'un retour des réfugiés aux frontières de l'Etat palestinien, pour ceux qui le souhaitent.

Il y a ceux qui disent que la partie américano-israélienne ne proposerait pas cette résolution si elle ne savait pas [déjà] que l'Autorité palestinienne la rejetterait ; si elle avait estimé possible que l'Autorité [palestinienne] renonce au droit de retour en échange d'un Etat, elle n'aurait jamais fait cette proposition.

Le commentateur réaliste est toutefois en droit de dire que le rejet du plan Obama par l'Autorité palestinienne... signifie que les Palestiniens n'obtiendront ni Etat, ni droit [de] retour...

Il semble que l'Autorité palestinienne conserve un espoir, même léger, de voir se concrétiser le droit de retour des réfugiés en Israël. Mais une analyse réaliste doit reconnaître que le retour [des réfugié] est impossible dans le cadre d'un règlement pacifique, vu qu'Israël n'a nullement l'intention de [renoncer à son identité] d'Etat juif. Seule une défaite militaire pourrait contraindre Israël à reconnaître le droit de retour, ce qui n'est pas à prévoir dans un avenir proche.

Pour ce qui est du long terme, avec le temps, le droit de retour devient de moins en moins réalisable, même s'il est une option formelle. Déjà aujourd'hui, aucun Palestinien de moins de 70 ans en diaspora ne connaît la Palestine.

En outre, la plupart des villages palestiniens auxquels [les réfugiés] demandent de revenir n'existent plus, et la plupart des Palestiniens vivant en diaspora ont obtenu la nationalité étrangère et se sont installés dans leur pays de résidence. On se souvient encore de comment des dizaines de hauts responsables palestiniens pour lesquels Yasser Arafat avait obtenu le droit de retour, et pour qui une [cérémonie] d'adieu avait été organisée sur le pont [Allenby], sont revenus à Amman en l'espace de deux semaines !

Face à cette occasion, nous ne devons pas oublier [de mentionner] que l'Initiative [de paix] arabe a supprimé le droit de retour en stipulant qu'elle serait acceptée par Israël, ce qui explique pourquoi, malheureusement, il ne reste plus qu'[à accepter] des réparations."

[1] Al-Rai (Jordanie), 29 avril 2011.

Source : MEMRI, 10 mai 2011 

Nota de Jean Corcos :
Cette position d'un intellectuel jordanien est remarquable, par sa lucidité et son courage: si les dirigeants arabes avaient fait sérieusement pression sur Arafat, puis sur Abbas, un accord de Paix aurait peut-être été déjà signé - au moins avec le gouvernement israélien précédent. "Israël n'a nullement l'intention de renoncer à son identité juive", voilà ce que l'on aimerait entendre aussi de la part de la communauté internationale, de façon à briser définitivement les illusions palestiniennes. Hélas, le mythique "droit au retour" continue d'être revendiqué, et il se transforme en un nouvel instrument de propagande comme on l'a vu récemment : à l'occasion du jour de la "Nakba", puis de celui de la "Naksa" - commémorations sinistres des défaites de 1948 puis de 1967 - on a vu des centaines de Palestiniens de Syrie se ruer sur la frontière du Golan - avec, à chaque fois, un lourd bilan de tués inutiles.
 

12 juin 2011

Libye, Syrie, les limites de l'intervention occidentale : Jean-François Daguzan sera mon invité le 19 juin

Jean-François Daguzan

Nous allons poursuivre dimanche prochain notre tour des révolutions qui agitent le monde arabe depuis le début de l'année, en traitant enfin deux pays qui ont connu des violences extrêmes, la Libye et la Syrie. Pour en parler, j'aurai comme invité Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Jean-François Daguzan a écrit un nombre impressionnant d'ouvrages, articles et communications depuis près de trente ans, mais j'ai surtout noté sa spécialisation dans les équilibres géostratégiques en Méditerranée, et plus particulièrement sur le Maghreb. Il s'est intéressé aux problèmes de prolifération, de terrorisme, mais - tout étant lié - également aux échanges Nord-Sud et à l'économie. Il est également le rédacteur de la revue "Maghreb-Machrek" depuis 2003. Quelques mots pour expliquer pourquoi j'ai choisi de  l'interroger d'abord en première partie sur la Libye, puis en deuxième partie sur la Syrie. Pourquoi avoir rapproché ces deux pays, qui ne sont même pas voisins ? Et bien d'abord parce que leurs régimes, en première approche, ont des points communs : dans les deux cas une famille qui met en coupe réglée un pays depuis plus de 40 ans, et qui se maintient par des répressions féroces, répressions qui, étrangement, ont peu mobilisé les consciences jusqu'à ces dernières semaines ; des régimes qui ont été, toujours en paroles mais souvent en actes, en opposition frontale aux intérêts occidentaux, et ont été aussi parfois des bases arrières de mouvements terroristes. Et puis, par contre et depuis qu'une vraie révolution s'est déclenchée cette année, deux pays qui ont eu deux traitements radicalement différents : la Libye, où l'aviation de l'OTAN bombarde les troupes de Kadhafi depuis environ 3 mois ; et la Syrie, où le régime Assad a massacré plus de 1000 manifestants sans réaction forte de la communauté internationale.

Parmi les questions que je poserai à Jean-François Daguzan :

- Pourquoi cette longue complaisance des Occidentaux vis à vis du colonel Kadhafi ? A cause des intérêts pétroliers ? D'une corruption de nos politiques ? Des intérêts géostratégiques ?
- Comment expliquez-vous le "lâchage" assez rapide du régime Kadhafi par les pays arabes "frères", était-il vraiment détesté et pourquoi ?
- Comment se fait-il que Kadhafi conserve pour le moment, malgré trois mois de bombardements de l'OTAN, un soutien au moins d'une partie de son armée et de sa population ? Et quelle porte de sortie imaginer, dans la mesure où sa personnalité lui interdit toute vision réaliste de la situation et des rapports de force ?
- N'avez-vous pas été surpris par la vague de fond de la contestation populaire en Syrie,  qu'une répression féroce n'arrive pas à mater ? D'abord le régime pensait bénéficier d'un prestige du à ses postures nationalistes arabes, anti-américaines et anti-israéliennes, or cela n'a pas du tout joué en sa faveur ; ensuite, on sait le pays quadrillé par plusieurs appareils répressifs, l'armée dominée par les officiers alaouites, les multiples services secrets ou "moukhabarates", le parti Baath, et malgré cela on a vu des foules manifester dans presque tout le pays.
- Il y a en gros deux écoles en Israël face à ce qui se passe en Syrie. Les pessimistes qui disent qu'il n'y a pas d'autres forces organisées d'opposition que les Frères Musulmans, et que tout détestable qu'il était, ce régime a pu dans le passé imposer sa volonté aux éléments incontrôlées dans le pays, et maintenir calme la frontière depuis la guerre du Kippour en 1973 ; et les optimistes, qui pensent d'abord qu'à terme les démocraties engendrées par le "Printemps arabe" sont une bonne chose pour l'acceptation d'un état juif dans la région, et ensuite que la chute de la famille Assad porterait un coup, à la fois au Hamas et au Hezbollah : d'après vous, qui a raison ?

Des sujets passionnants et le regard d'un expert du monde arabe ... j'espère donc que vous serez très nombreux à l'écoute !

J.C

10 juin 2011

Libye: Le calvaire d’Eman al-Obeidi n’était pas fini

Eman al-Obeidi


Eman al-Obeidi, cette Libyenne qui a ému les médias en leur racontant le viol collectif dont elle a été victime en mars dernier, a été expulsée du Qatar où elle tentait de trouver refuge. Maltraitée, humiliée, elle est aujourd’hui retranchée à Benghazi, et espère trouver un pays d’asile, pour recommencer sa vie à zéro.
 
Le 26 mars dernier, cette femme avait touché au cœur les journalistes du monde entier, réunis en majorité à l’hôtel Rixos de Tripoli. Bravant les gardes de sécurités, Eman al-Obeidi fut la première opposante à atteindre les médias stationnés dans la capitale, soumis à un stricte encadrement du régime. Elle avait raconté avoir été arrêtée par des membres des troupes de Kadhafi à un point de contrôle de Tripoli, puis retenue deux jours durant et violée par quinze hommes. Traitée de folle par les fidèles du dirigeant libyen, Eman al-Obeidi avait été embarquée, écrouée, puis relâchée à la demande d’un des fils du colonel, Saadi Kadhafi. Depuis une interview téléphonique le 4 avril avec CNN, elle n’avait plus donné signe de vie. Sybella Wilkes, une représentante de l'ONU, a indiqué ce vendredi qu’elle venait d’être expulsée du Qatar, où elle a tenté de trouver refuge le mois dernier. La Libyenne dont on ignore l’âge et le parcours, se trouverait désormais à Benghazi, le fief des rebelles, dans l’Est du pays. Sybella Wilkes a dénoncé sa déportation, dans la mesure où la jeune femme est une réfugiée reconnue.
Nasha Dawaji, une militante libyenne pro-liberté basée aux États-Unis, a précisé à CNN qu'Eman al-Obeidi était avec trois membres hauts-placés du Conseil national de transition, le gouvernement formé par les insurgés et reconnu par la communauté internationale. Ces derniers auraient été choqués par son état. La Libyenne a été décrite comme «abattue et meurtrie». De même source, Eman al-Obeidi aurait été récupérée avec un œil au beurre noir, des ecchymoses sur les jambes et des griffures sur les bras. Le CNT lui aurait promis d'ouvrir une enquête. Dans les heures ayant précédé son expulsion, des gardes armés avaient été postés devant sa chambre d'hôtel, empêchant un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés de l'aider, a confié l’expulsée à CNN. L’agent de l’ONU avait préparé des documents pour lui permettre un nouveau départ au Qatar, pour lui permettre de débuter une nouvelle vie après le cauchemar qu’elle a vécu. Au lieu de cela, elle aurait été conduite de force, avec ses parents, de l’établissement Kempinski Residences & Suites, où elle se trouvait, à Doha, jusqu’à un avion militaire, où elle aurait été menottée et battue. Elle a également dit que les Qataris leur avaient tout pris, y compris leurs téléphones portables, son ordinateur portable, et de l'argent.

Le rôle confus du CNT

Vincent Cochetel, du bureau du HCR à Washington, a rapporté ce que les autorités qataries leur ont expliqué pour justifier l’expulsion: ils disent avoir agi sur ordonnance du tribunal, selon laquelle le visa d’al-Obeidy avait expiré. Ce à quoi le HCR a rétorqué que la jeune femme et avait déjà le statut de réfugiée, et donc l’autorisation de rester. Vincent Cochetel indique que Doha a ignoré cette information. «Renvoyer de force un réfugié qui a survécu à un viol collectif, non seulement viole le droit international, mais est aussi cruel et pourrait déclencher d'autres traumatismes», a déploré Bill Frelick, directeur du programme des réfugiés à Human Rights Watch. «Tous les yeux sont maintenant rivés vers les autorités dans l'Est de la Libye, qui devrait permettre à al-Obeidy de quitter le pays.» Le CNT, lui, assure qu’Eman al-Obeidi est libre de voyager où bon lui semble. Mais son rôle dans l’histoire comporte néanmoins quelques zones d’ombre. Après avoir été agressée par les sbires de Kadhafi, puis libérée de prison, la victime présumée raconte avoir fui son pays, avec sa famille, vers la Tunisie, avec l'aide de deux officiers de l'armée ayant fait défection au régime. Des diplomates français les auraient conduits à la frontière, où des fonctionnaires du CNT auraient organisé leur voyage jusqu’au Qatar. Seulement, une fois sur place, al-Obeidy a dû expliquer son cas, assurant notamment avoir reçu l’aide des nouvelles autorités libyennes –avec qui le Qatar coopère. Or, le Conseil a nié cela, comme si cette affaire l’embarrassait finalement. A Washington, le porte-parole adjoint du Département d'Etat Mark Toner s’est dit jeudi «très préoccupé» par la sécurité de la Libyenne, et a souligné que ses hommes étaient en relation avec des organisations internationales pour s'assurer de son sort, et de lui trouver asile dans un «pays tiers». CNN, qui enquête sur cette affaire depuis le début, a précisé n’avoir eu aucune réponse, que ce soit de l’ambassade du Qatar à Washington, de celle de Londres, de l’hôtel où résidait al-Obeidy à Doha, ou même des ministères qataris –sachant que ce vendredi est un jour férié là-bas. Le siège social de Kempinski, situé à Genève, n'était pas au courant de l'incident, mais s’est dit prêt à réagir quand il s’en sera informé.
Le 26 mars, Eman al Obeidi avait suscité l’émotion en faisant irruption à l'hôtel Rixos à l’heure où les journalistes prennent leur petit-déjeuner, avant d’être prise à partie par des représentants du gouvernement libyen et expulsée de l'hôtel. Dans l’établissement, le terrible témoignage avait provoqué une cohue. Un employé de l’établissement avait menacé Eman d’un couteau en la traitant de «traîtresse», des journalistes tentant de s’interposer avaient été plaqués au sol et leur matériel saisi. Le 4 avril, elle avait raconté son calvaire à Anderson Cooper, de CNN, par téléphone: «Ils m’ont lié les mains derrière le dos, et attaché les jambes, ils m'ont frappé (…) et ils versaient de l'alcool dans mes yeux pour que je ne sois pas capable de les voir, et ils m’ont sodomisé avec leurs fusils et ils ne nous laissaient pas aller à la salle de bains, a-t-elle confié. Nous n'étions pas autorisés à manger ou à boire. (…) Un homme partait et un autre entrait. Il finissait, puis un autre homme arrivait», poursuivait-elle avec douleur. Ses bleus et autres blessures apparentes témoignaient en effet de la violence de ses bourreaux. «Ils m’ont violé mon honneur», s’était-elle morfondue ce fameux samedi. Un honneur qu’elle n’arrivera pas à laver tant qu’elle se trouvera dans ce pays où elle ne se sent plus en sécurité. Point final

Marie Desnos
Parismatch.com, le 3 juin 2011

Nota de Jean Corcos
Cette information jette à nouveau une lumière crue sur le Qatar, Émirat très proche de l'actuel gouvernement de notre pays, et dont le rôle apparait, une fois de plus, très ambiguë : soutien indirect des révolutions arabes par sa chaîne satellitaire Al-Jazeera, il se comporte ici de manière abjecte par rapport à une réfugiée sur son territoire, victime des sévices des sbires de Kadhafi ... et alors même que les Qataris participent officiellement aux opérations militaires ; mais de manière plus que symbolique, avec quelques avions !