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03 juin 2011

Les voisins de la Syrie embarrassés par la crise


Turquie: un partenaire privilégié ... et inquiet

Partenaire privilégié de la Syrie, la Turquie redouble d'efforts pour appeler le président Bachar el-Assad à la raison, tout en gardant le silence sur d'éventuelles sanctions contre son voisin. La Turquie redoute une division de la Syrie et l'entrée de réfugiés syriens sur son sol mais elle craint aussi que la question kurde chez son voisin fasse tache d'huile en Anatolie (voir encadré). 
Or, avec une opinion publique déçue des relations avec l'Union européenne et les Etats-Unis, Ankara a réorienté sa diplomatie vers ses voisins de la région ces dernières années: "zéro problème avec les voisins" est la ligne de conduite depuis quelques années. Jadis en mauvais termes en raison du soutien de Damas aux rebelles séparatistes kurdes, la Turquie et la Syrie entretiennent désormais des liens diplomatiques et économiques étroits. Les deux pays ont récemment supprimé les visas et le volume commercial bilatéral a triplé en dix ans, atteignant 2,5 milliards de dollars en 2010. 
Mais face à la brutalité de la répression en Syrie, Ankara a haussé le ton récemment. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a une nouvelle fois exhorté Bachar el-Assad à entreprendre des réformes, le 27 mai. Quelques jours plus tôt, le ministre des Affaires étrangères, estimait que Damas pouvait encore résoudre pacifiquement la crise, si elle lançait des "réformes drastiques et de grande ampleur", non sans ajouter que "le temps presse". Le 9 mai, déjà, Damas n'avait pas apprécié la comparaison par le Premier ministre turc, de la répression en cours au gazage de milliers de Kurdes dans la ville de Halabja, en 1988, par le régime de Saddam Hussein en Irak. 
Autre signe de tension, la Turquie accueille une grande réunion, du 1er au 3 juin, des opposants au régime syrien à Antalya, ville turque sur la Méditerranée. 

Liban: à l'ombre de Damas

La répression en Syrie, puissance de tutelle au Liban pendant 30 ans, est un sujet ultrasensible dans le petit pays méditerranéen. Le Liban, qui est encore aujourd'hui le théâtre d'affrontements récurrents entre pro-syriens, menés notamment par le puissant Hezbollah chiite, et anti-syriens, mené par l'ancien ministre en exercice Saad Hariri, craint plus que tout une nouvelle immixtion de troubles sur son territoire. Les troubles en Syrie pourraient se propager dans le Liban voisin -sans gouvernement depuis plus de quatre mois- à tout moment, estiment des analystes. 
Les signes de tensions sont multiples. Une réunion de soutien aux manifestants en Syrie a du être organisée, le 24 mai, dans un entrepôt près de Beyrouth, après que 28 hôtels libanais eurent refusé de l'accueillir. La semaine passée, le chef du très puissant Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a appelé les Syriens à "sauvegarder" le régime du président Bachar el-Assad. "Nous appelons les Syriens à sauvegarder leur pays et leur régime", a-t-il déclaré. Et en avril, la Syrie a accusé des proches de Saad Hariri de financer et d'armer les contestataires en Syrie.  
Damas et Beyrouth ont une histoire commune tumultueuse. En pleine guerre civile (1975-1990), la Syrie a envoyé ses troupes au Liban, où elles sont restées jusqu'à leur retrait en 2005, après l'assassinat de Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais. Les liens diplomatiques formels n'ont été renoués qu'en 2008, et la Syrie, tout comme l'Iran, soutient toujours le camp du Hezbollah. 

Israël: la paix froide

La contestation en Syrie pourrait profiter à Israël en affaiblissant l'influence de l'Iran, et en portant un coup au Hezbollah libanais, ainsi qu'au Hamas, le mouvement islamiste palestinien. Mais elle fait craindre de nouvelles tensions à la frontière entre les deux pays et l'instabilité en cas de chute de Bachar el-Assad, selon des analystes.  
Israël et la Syrie sont toujours officiellement en état de guerre. Damas exige un retrait intégral du plateau du Golan, occupé depuis 1967. Les dernières négociations de paix entre les deux pays ont été suspendues fin 2008 à la suite de l'offensive israélienne à Gaza. Mais "depuis 40 ans, la frontière entre Israël et la Syrie est la plus calme" souligne Yoav Limor, commentateur militaire de la télévision publique, cité par Marc Henry dans Le Figaro. Celui-ci rappelle également que un commentaire de Schlomo ben Ami, ancien ministre des Affaires étrangères, selon qui, les dictatures qui entourent Israël "sont stables et savent imposer leur volonté aux éléments incontrôlés". 
Certains observateurs craignent néamnoins "la possibilité, imprévisible, que le régime syrien cède à la tentation de provoquer une crise à Gaza ou au Liban sud, afin de détourner l'attention de l'opinion" estime Michaël Eppel, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université de Haïfa. C'est notamment ce qui expliquerait la virulence des manifestations sur le front du Golan, lors de la commémoration de la Nakba, le 15 mai, alors que cette zone était restée calme pendant des décennies.  
Dans tous les cas de figure, quels que soient les changements politiques en Syrie, le mouvement islamiste Hamas (au pouvoir à Gaza), préservera son statut privilégié à Damas "car le Hamas est arabe et sunnite", comme la majorité de la population, estime Eyal Zisser, chercheur sur le Moyen-Orient à l'Université de Tel-Aviv. 
Côté Palestinien, l'accord de paix signé début mai entre le Hamas et le Fatah montre l'affaiblissement de Damas, selon certains observateurs. Si "le chef politique du Hamas, Khaled Mechaal, a fait le voyage de Damas au Caire, pour signer un accord de paix avec le chef du Fatah", Mahmoud Abbas, c'est que les islamistes "sentent le changement arriver en Syrie", estime le ministre irakien des Affaires étrangères Hoshyar Zebari. 

Irak: la crainte de tensions confessionnelles

Les chiites irakiens, qui ont attendu 80 ans avant d'accéder au pouvoir, en 2003, après la chute du régime de Saddam Hussein, sont en général favorables au maintien du régime baassiste en Syrie. Ils redoutent une arrivée au pouvoir à Damas de sunnites qui empoisonnerait le climat en Irak.  
Pour Hamid Fadel, professeur de Sciences politiques à l'université de Bagdad, les chiites irakiens (un peu plus de 60% de la population) redoutent d'être encerclés par des régimes sunnites.  
L'Irak a soutenu les mouvements de contestation dans plusieurs pays arabes en raison de la "tyrannie" et l'"oppression" subies par les peuples, et condamné l'intervention saoudienne à Bahreïn contre la majorité chiite de ce royaume. Mais plusieurs personnalités politiques chiites circonspectes vis-à-vis des manifestations en Syrie. " N'oublions pas que les dirigeants (syriens) ont aidé l'opposition à Saddam Hussein", explique un dirigeant du Conseil supérieur islamique d'Irak (CSII), un des principaux mouvements religieux chiites, tandis qu'un député reprend l'antienne du pouvoir syrien, à savoir que "des étrangers interviennent dans la situation en Syrie".

Iran: l'allié fidèle

Les troubles en Syrie mettent dans l'embarras son plus proche allié dans la région, l'Iran. Ainsi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères affirmait début mai que l'Iran "n'accepte en aucune manière l'usage de la violence et la répression contre ceux qui expriment leurs revendications pacifiquement", avant d'ajouter que les médias occidentaux "exagèrent les manifestations limitées qui peuvent exister (en Syrie) pour faire croire qu'elles représentent la demande de la majorité de la population". 
Cette prudence contraste avec la virulence des critiques iraniennes contre la répression des mouvements populaires partout ailleurs dans le monde arabe, notamment à Bahreïn où la population, majoritairement chiite comme en Iran, est dirigée par une dynastie sunnite. "L'Iran appuie le mouvement de révolte arabe dans les autres pays, mais pas en Syrie car Damas résiste à Israël, et Téhéran fonde ses relations avec les pays arabes sur leur degré d'opposition" à l'Etat hébreu, relève Mohammad Saleh Sedghian, directeur du Centre d'études irano-arabes basé à Téhéran.  
La Syrie est le principal allié de l'Iran dans le monde arabe depuis la révolution islamique de 1979. Sur le plan stratégique, un renversement ou un affaiblissement du régime syrien "ne pourrait qu'avoir des conséquences négatives pour l'Iran", estime Mehrdad Serjouie, analyste indépendant à Téhéran, mais "Compte tenu du sentiment anti-israélien dans les mouvements de révolte arabes, (une victoire du) mouvement démocratique ne placerait pas la Syrie sous l'influence d'Israël" tempère Amir Mohebian, directeur du centre d'étude Arya Strategic Studies. En revanche, reconnaît-il, "le soutien iranien au régime du président Assad pourrait être perçu négativement par l'opposition syrienne" et peser sur les relations avec Téhéran si elle arrivait au pouvoir.

Les autres pays arabes

Les régimes arabes épargnés par la contestation gardent le silence face à la répression sanglante des manifestations en Syrie, préférant le maintien du pouvoir, bien qu'il s'en méfient, à une déstabilisation de la région. Les dirigeants arabes se sont abstenus de condamner le régime syrien, et sont évidemment inquiets des conséquences" du soulèvement en Syrie "sur leurs propres pays", estime Maha Azzam, analyste au groupe de réflexion britannique Chatham House. "C'est au moins un régime qu'ils connaissent (...) ils ne veulent pas un changement radical qui ferait de la Syrie une société démocratique, ce qui constituerait une plus grande menace pour ces régimes qu'une Syrie dirigée par le Baas", explique-t-elle.  

Catherine Gouëset,
L'Express, le 31 mai 2011