Manifestation contre le régime syrien à Hama,
29 juillet 2011 (photo Reuters)
La Syrie étant fermée aux journalistes étrangers, la société civile est la principale source d'information sur la révolte populaire contre le régime de Bachar Al-Assad. Ce qui pose des questions sur l'exactitude des chiffres qu'elle diffuse.
L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) est l'ONG la plus citée par les agences occidentales. C'est elle qui a recensé pas moins de 1,2 million de manifestants à Hama, au centre du pays, et à Deir ez-Zor, dans l'Est, lors de la mobilisation massive du 22 juillet. C'est elle aussi qui a décompté plus de 1 600 victimes civiles et 3 000 disparus depuis le début du soulèvement, à la mi-mars.
PEU DE DOUTES SUR LE NOMBRE DE MORTS
Le dirigeant de l'OSDH, Rami Abdul Rahmane, est un Syrien installé depuis dix ans à Londres, d'où il centralise et diffuse chiffres et nouvelles. Dans un entretien au Point, il a expliqué ces dernières semaines comment il compte les victimes. Son réseau, qui compte deux cents Syriens, lui communique les chiffres des registres d'admission dans les hôpitaux et les témoignages de militants sur place. Les échanges se font via Facebook, Twitter, Skype ou par téléphones utilisant des numéros masqués. Les membres du réseau ne se connaissent pas. C'est une question de sécurité.
D'après l'ancien diplomate Ignace Leverrier, auteur du blog du Monde.fr Un œil sur la Syrie, l'OSDH est une source "fiable" pour le décompte des morts et personnes disparues : "Pour la plupart, les ONG disposent de leurs noms." Il cite comme autre source digne de confiance les Syrian revolution rews round-ups, bilans quotidiens diffusés par l'activiste Ausama Monajed (voir ici son compte Twitter), lui aussi établi à Londres.
DES DOUTES SUR LES BILANS CHIFFRÉS DES MANIFESTATIONS
Mais l'OSDH compte de nombreux détracteurs. Son dirigeant, qui se déclare "indépendant", est accusé d'œuvrer pour les Frères musulmans. Il est aussi décrié par le très actif site Infosyrie.fr, dont les "spécialistes de géopolitique et du Proche-Orient" entendent "publier un point de vue alternatif à l'unanimisme en vigueur dans la presse occidentale. Sans pour autant tomber dans un soutien inconditionnel au régime en place". Ce site met notamment en doute les bilans chiffrés de l'OSDH : il affirme ainsi que le 22 juillet, le nombre de manifestants recensés dépassait celui de la population totale des villes citées.
Pierre Piccinin, un professeur d'histoire et de sciences politiques à Bruxelles, qui dit s'être rendu sur place ces dernières semaines, emploie le même argument. "Quelle ne fut pas ma surprise de lire la dépêche de l'AFP, qui annonçait un million de manifestants à travers la Syrie ce 15 juillet (...), dont 500 000 à Hama. À Hama, ils n'étaient, en réalité, pas 10 000. Cette "information" est d'autant plus absurde que la ville de Hama ne compte que 370 000 habitants", s'étonne-t-il.
Mais la comparaison avec le nombre d'habitants paraît difficile : la population de Hama oscille entre 280 000 et... 1,5 million d'habitants, selon les sources. Thomas Pierret, chargé de cours en islam contemporain à l'université d'Édimbourg, dénonce carrément, dans la Libre Belgique, sa "totale méconnaissance" du pays.
Dans cette guerre des chiffres, l'ancien diplomate Ignace Leverrier relève, malicieux, "que les problèmes de comptage ne sont pas spécifiques à la Syrie. En France aussi, syndicats et police se livrent à ce jeu". Il souligne aussi que de nombreux manifestants venus des faubourgs et de la campagne avoisinante viennent gonfler les cortèges des grandes villes. Et que la mobilisation sur le terrain a été suffisante pour contraindre Bachar Al-Assad à faire des concessions, en promettant un dialogue national et une ouverture au multipartisme.
PREUVES PAR L'IMAGE
"Les chiffres sont invérifiables, c'est vrai", admet le journaliste Julien Pain, responsable du réseau des Observateurs pour la chaîne télévisée France 24 et son site. Mais les dizaines de vidéos en provenance de Syrie qu'il visualise chaque jour ne lui laissent aucun doute sur l'importance des événements.
"Les manifestants s'organisent pour restituer au mieux ce qui se passe dans les cortèges. Ils les filment de dos pour ne pas montrer les visages, ils captent les violences de la répression et surtout, ils montent sur les toits pour tourner des plans larges qui montrent la foule", explique-t-il. "Évidemment, les manifestants ont tout intérêt à gonfler les chiffres. Entre eux et le régime se joue une vraie guerre de communication. Mais l'ampleur du mouvement, et les violences de la répression sont indéniables."
Pendant ce temps, l'agence officielle syrienne Sana annonce des meurtres de policiers ou de militaires et des sabotages multiples qu'elle attribue à des bandes "subversives" ou "terroristes". Elle s'est aussi empressée de relayer le témoignage (en anglais) du professeur belge Pierre Piccinin. Et pour justifier la répression, la télévision gouvernementale diffuse des images qui montreraient des manifestants armés et agressifs.
Donald Walther
Le Monde, 4 août 2011
Nota de Jean Corcos :
L'auteur de cet article parle en termes fort diplomatiques du site "Infosyrie.fr", qui fait en fait du lobbying grossier en faveur du régime de Damas. Sans surprises on notera que certaines de leurs publications sont reprises par les sites et blogs militants de l'antisionisme radical, et en particulier celui de Michel Collon (adresse : http://www.michelcollon.info/), auteur d'un ouvrage au vitriol sur Israël !