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01 février 2010

Les Forces du 14 mars après la formation du nouveau gouvernement libanais : de la victoire électorale à la défaite politique ...

Introduction

Le 7 Juin 2009, les Forces du 14 mars remportaient les élections législatives libanaises. Cinq mois plus tard, le 9 novembre 2009, l´opposition réussissait à renverser sa défaite électorale, avec l´approbation par le président libanais Michel Suleiman d´un gouvernement représentant une victoire pour l´opposition. En outre, avec le nouveau gouvernement, la Syrie reprenait les rennes du Liban, cette fois dans le cadre d´un arrangement entre l´Arabie saoudite et la Syrie. Nicolas Nassif, chroniqueur du quotidien libanais d´opposition Al-Akhbar, commente : "Il est dorénavant clair pour toute la communauté internationale que la clé de la stabilité du Liban et de son régime ... se trouve entre les mains de son voisin [la Syrie]." [1]

Ci-dessous une analyse des raisons de ce revirement, au vu des concessions faites par les Forces du 14 mars.

Comment les Forces du 14 mars sont passées de la victoire électorale à la défaite politique et à la désintégration

1. Beyrouth tombe aux mains du Hezbollah en mai 2008
La prise de Beyrouth et d´autres régions du Liban par le Hezbollah, le 7 mai 2008, ont eu et continuent d´avoir un impact profond sur la population libanaise, en particulier sur les leaders des Forces du 14 mars. Le fait que le Hezbollah ait retourné ses armes contre ses rivaux au sein du pays, et l´Accord de Doha du 21 mai 2008, conclu avec la médiation de pays arabes, qui a résolu la crise à l´avantage du Hezbollah, ont poussé les Forces du 14 mars à éviter toute nouvelle confrontation directe avec le Hezbollah - même au niveau politique - de peur qu´il ne recoure une fois de plus à la force. Les menaces voilées ou explicites des dirigeants du Hezbollah de répéter les événements du 7 mai n´ont fait que confirmer ces craintes. [2] Le refus du Hezbollah de rendre les armes, et sa volonté de les utiliser contre ses adversaires politiques, ont contraint les Forces du 14 mars à des concessions considérables. [3]

2. L´Accord entre l´Arabie et la Syrie pour que le Liban ait un gouvernement d´union nationale, quel que soit le résultat des élections
Après les élections de juin 2009, la Syrie et l´Arabie saoudite auraient convenu à l´avance qu´un gouvernement d´unité nationale, plutôt qu´un gouvernement de la partie gagnante, serait établi au Liban. [4] Le président libanais Michel Suleiman a ajouté à cette pression en affirmant à plusieurs reprises qu´il n´approuverait aucun autre type de gouvernement. [5]

3. Le retrait de Walid Joumblatt de la coalition des Forces 14 mars
Depuis mai 2008, et suite à la prise (par les armes) de Beyrouth et d´autres régions du Liban par le Hezbollah - laquelle a entraîné de violents affrontements entre druzes et chiites au Mont-Liban, Joumblatt a pris la décision stratégique de céder face à la puissance dominante au Liban - les chiites - et de rejoindre l´opposition. Il a annoncé ce volte-face lors d´une réunion à huis clos tenue en la présence de loyaux cheiks druzes, auxquels il a expliqué que face à la montée en puissance des chiites, les druzes n´a vaient d´autre choix que d´accepter la coexistence - s´ils voulaient assurer leur propre survie. [6] Ce rapprochement a donné lieu à des entretiens entre Joumblatt et ses hommes d´une part, Hassan Nasrallah et d´autres dirigeants du Hezbollah de l´autre. Les récentes déclarations faites par le leader druze en faveur de la résistance et de son droit à porter les armes indiquent clairement la réalité de ce rapprochement. Joumblatt a également changé de position vis-à-vis de la Syrie. Le leader druze, qui jusqu´alors était considéré comme un fervent adversaire de la Syrie au Liban, ne cesse a présent de répéter que "la Syrie est la profondeur [stratégique] naturelle du Liban" et que les relations avec elle doivent être excellentes. [7] Au cours de l´année écoulée, M. Joumblatt a échangé des messages avec les dirigeants syriens, et il prépare actuellement un voyage à Damas dans le but de renouer avec les dirigeants syriens. [8] Le volte-face de Joumblatt a eu un impact très important sur la scène politique libanaise, en particulier au lendemain des élections parlementaires de juin 2009. Aujourd´hui, Joumblatt se déclare non affilié aux Forces du 14 mars, mais en même temps, il soutient Saad Al-Hariri, leader de faction Mustaqbal, et affirme faire partie du bloc de la majorité parlementaire. Ces déclarations n´ont toutefois aucun poids, puisque Joumblatt, compte tenu de sa nouvelle alliance et de la priorité accordée à la survie de la communauté druze, est susceptible d´adopter le point de vue du Hezbollah et de l´opposition parlementaire lors de futurs scrutins. En effet, ces derniers mois, M. Joumblatt semble s´être encore davantage rapproché de l´opposition, et en particulier du Hezbollah, soutenant les positions et les exigences du mouvement chiite. Par conséquent, le volte-face politique de Joumblatt a complètement neutralisé les Forces du 14 mars en tant que majorité parlementaire, rendant vaine leur victoire aux élections.

4. L´abandon par l´Arabie saoudite des Forces du 14 Mars au profit de la Syrie
En janvier 2009, lors du sommet économique arabe qui s´est tenu au Koweït, le roi d´Arabie saoudite Abdallah bin ´Abd Al-Aziz, s´efforçant d´écarter la Syrie du camp iranien, a lancé une initiative de réconciliation entre l´Arabie saoudite et la Syrie, après des années de tension et de désaccords entre les deux pays. L´initiative saoudienne tentait de parvenir à un accord sur plusieurs questions régionales, dont celle du Liban. Le dialogue entre les deux pays a pris la forme d´une succession de réunions entre le président syrien Bachar Al-Assad et le roi Abdallah, et à Damas entre Assad et des émissaires du roi d´Arabie Saoudite, notamment le fils du roi, le prince Abd Al-Aziz ben Abdallah. Avant déjà les élections libanaises, la Syrie et l´Arabie saoudite s´étaient entendues pour créer un gouvernement d´union nationale au Liban. Depuis les élections de juin 2 009, la Syrie et l´Arabie saoudite sont intervenues directement pour influer sur les efforts de Saad Al-Hariri visant à créer un nouveau gouvernement, et se sont entretenues à plusieurs reprises pour parvenir à un arrangement.
Au début, il était évident que l´Arabie saoudite défendait les intérêts de ses alliés au Liban et s´efforçait de préserver leur victoire aux élections. En effet, les exigences de l´Arabie saoudite, telles que formulées dans le cadre du dialogue saoudo-syrien, coïncidaient avec celles des Forces du 14 mars. Celles-ci incluaient notamment la délimitation de la frontière syro-libanaise et l´abolition du Conseil suprême syro-libanais. La Syrie, pour sa part, a refusé d´acquiescer à ces demandes. [9] Il semble toutefois que les développements régionaux au Moyen-Orient - la puissance grandissante de l´Iran, la menace chiite yéménite contre l'Arabie saoudite, soutenue par l´Iran, les efforts du président américain Obama pour parvenir à un accord avec l´Iran, marginalisant ce faisant l'Arabie saoudite et le camp arabe sunnite, et la consolidation du régime chiite en Irak - tous ces éléments ont conduit l´Arabie saoudite à la conclusion de la nécessité d´encourager le dialogue et le rapprochement avec la Syrie. En conséquence, elle a exercé des pressions sur les Forces du 14 mars pour que celles-ci fassent des concessions en vue d´un accord qui placerait à nouveau le Liban sous tutelle syrienne. Dans un article du 14 novembre 2009, le chroniqueur Nicolas Nassif révèle qu´au cours du sommet des 7 et 8 octobre 2009 entre le président syrien Bachar Al-Assad et le roi Abdallah, ce dernier a exprimé le souhait que la Syrie reprenne son ancien rôle au Liban. Selon Nassif, après ce sommet, Assad aurait exercé des pressions sur ses alliés de l´opposition libanaise et accéléré la création d´un gouvernement au Liban. [10] En outre, Ibrahim Al-Amin, président du conseil d´administration d´Al-Akhbar, a récemment publié un article où il affirme que suite au sommet d´octobre, le roi Abdallah avait clairement fait savoir à Saad Hariri qu´il souhaitait accélérer la mise en place du gouvernement et que des concessions étaient nécessaires, alors qu´Assad avait fait comprendre à ses alliés qu´il n´attendait aucune concession de leur part. [11] Le 6 novembre 2009, Al-Safir et Al-Akhbar rapportaient que le président Assa d avait demandé au roi Abdallah de convaincre Hariri de confier à Michel Aoun le portefeuille de l´Energie. [12] Le 7 novembre 2009, Ibrahim Al-Amin écrivait que c´était le fils du roi d´Arabie saoudite, le prince Abd Al-Aziz ben Abdallah, qui avait fait pression sur Saad Al-Hariri pour qu´il confie à Michel Aoun les portefeuilles des Télécommunications et de l´Energie. [13] Un article publié par le rédacteur en chef du quotidien gouvernemental saoudien Al-Riyadh, Turki Al-Sudairi, le 13 octobre 2009, a ajouté aux pressions de l´Arabie saoudite sur Saad Al-Hariri, lequel campait sur ses positions et refusait de céder aux exigences de l´opposition. L´article suggère que l´instabilité chronique dont souffre le Liban pourrait être atténuée par la restauration du Liban à la Syrie, dont il a été séparé en vertu de l´accord Picot-Sykes des empires colonialistes. [14]

H. Varulkar
Source : MEMRI, Enquête et analyse n° 565,
22 novembre 2009

Se reporter à l’article original en anglais sur ce lien pour les référence numérotées.


Nota de Jean Corcos :
Les analyses de cet article publié à la fin novembre ont été, hélas, tout à fait confirmées par l'actualité de la fin 2009 : les 19 et 20 décembre, en effet, Saad Hariri le nouveau Premier Ministre et leader du "Forces du 14 mars", devait se rendre à Damas comme on va à Canossa ; et y faire allégeance à Bashar al-Assad, dans une déclaration commune orientée - quelle surprise ! - contre "l'ennemi commun", Israël ...