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24 août 2006

Une victoire stratégique et historique - de Kippour 1973 au Liban 2006

Le sheikh Hassan Nasrallah
(photo tirée du site www.checkpoint-online.ch)

On s’en souvient peut-être, c’était le lundi 14 août, le jour même du cessez-le-feu. Sheikh Hassan Nasrallah diffusait un message télévisé, filmé dans la cachette où il se terre depuis un mois et demi, et c’était un message à la fois de victoire et de mépris pour les peuples et armées arabes du Moyen Orient. En résumé disait-il, je suis arrivé moi Nasrallah, le chef d’une petite milice de quelques milliers d’hommes, à faire ce que personne d’autre à part moi était arrivé à faire dans la région : tenir tête à Tsahal. Et nous avons remporté une victoire stratégique et historique.

Que ceci ait été accepté par les opinions publiques arabes est peu étonnant, car avant lui Nasser, Saddam et Arafat furent aussi plébiscités comme vainqueurs après chaque défaite sur le terrain. L’absence de presse faisant preuve d’esprit critique dès qu’Israël est concerné, le parti pris sans complexes des télévisions satellitaires comme Al-Jazeera, la propension des foules à gober n’importe quoi comme au moment de « l’affaire des caricatures de Mahomet », tout ceci constitue hélas des avaries connues. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire découvrir l'article de Rafik Halabi, journaliste arabe dont l’article a été publié dans le journal israélien « Haaretz » ! Il dénonce la partialité choquante d'Al-Jazeera au cours du conflit ; en voici la fin (dans sa traduction anglaise) :
"Al Jazeera apparently has two distinct codes: The one relating to the Arab world is based on journalistic values of fairness and search for the truth; the other has to do with Israel. All of the commentators who appeared in the Al Jazeera studios in Egypt and in Beirut saw only Israeli failures. And what about the suffering of the hundreds of thousands of Lebanese refugees whose world had come tumbling down on them? (...) The impression emerged that Al Jazeera has an ideological line that is nourished by "the Arab nationalists" and "the Islamic resistance." Al Jazeera, my favorite channel, severely disappointed me during the Lebanon War when it fled from fulfilling its journalistic obligation and preferred to serve as a bulletin board on which the Hezbollah hung its statements."

Plus grave que la proclamation de victoire d’un chef de guerre aussi calculateur que fanatique, plus étonnante que les comptes-rendus fantaisistes des médias arabes, il y a en Israël - surtout depuis le début de la semaine - une vague de mécontentement qui semble prête à balayer toute l’équipe gouvernementale. En gros, une grande partie du public semble maintenant accepter la thèse d’une victoire du Hezbollah, alors qu’une majorité relative pensait le 14 août qu’il s’agissait d’un demi-succès. Un tel défaitisme me semble particulièrement dangereux, alors que pointe l’ombre d’un conflit beaucoup plus large et meurtrier, celui-là avec les mentors de Nasrallah, Syrie et/ou Iran ... En ce sens, et même si je ne partage pas son idéologie, je suis tout à fait d’accord avec l'article du Rabbin Yoel Bin-Nun publié sur le site Internet du "Yediot Aharonot" : en résumé, « à force de dire que l’ennemi a gagné, nous allons rendre réelle leur victoire ». Sur le même journal, un auteur tout à fait opposé à la tendance du précédent, Gadi Taub, présente une théorie très fine : la survie d’Israël étant basée à la fois sur des frontières stables et sur une majorité juive, il n’y a pas dans le fond d’autres solutions que des évacuations unilatérales face à des ennemis qui ne veulent pas négocier ; mais la menace des missiles rendra impossible le « plan de convergence » du parti Kadima ; donc elle condamne à terme le parti centriste. Autrement dit, par ses milliers de roquettes lancées sur la population civile, le Hezbollah a « voté » pour le Likoud - comme le Hamas l’avait fait lors de la campagne d’attentats suicides qui avait conduit Netanyahou au pouvoir il y a dix ans !

Et ceci me conduit à me souvenir d’une autre guerre, celle-là vieille de 33 ans et qui ne me rajeunit pas ... On parle de la guerre du Kippour à propos de la « Commission d’enquête » qui va analyser les fautes éventuelles du gouvernement - comme celle qui entraîna la chute du gouvernement de Golda Meir en 1974. Après cette guerre, il y eut une vague de contestation en Israël pour dénoncer l’impréparation de l’armée et la défaillance du gouvernement, qui n’avait pas voulu prendre au sérieux les avertissements de ses services de renseignement. Exactement comme aujourd’hui sont dénoncées par des réservistes démobilisés les défaillances en matière de logistique, défaillances étalées aux yeux du monde - vive la démocratie ! - par la presse israélienne ! On peut se féliciter, après coup, que cette « mini - guerre » les ait révélées avant un conflit plus sérieux. Même chose aussi en ce qui concerne les pertes de blindés dues à l’armement anti-chars perfectionné dont disposait le Hezbollah : Tsahal en tirera rapidement les leçons, et améliorera ses capacités tactiques. Mais si on tire un parallèle jusqu’au bout avec Kippour 1973, le Liban 2006 aboutira ... à la prochaine victoire électorale de la Droite nationaliste, comme ce fut le cas en 1977, où les travaillistes perdirent le pouvoir pour la première fois !

Mais poursuivons sur cette analogie historique, pour montrer que les prophéties à chaud peuvent s’avérer erronées : aux lendemains de ce qu’ils appelèrent « la guerre du Ramadan », les peuples arabes - déjà ! - crièrent à la fin du mythe de l’invincibilité israélienne. On pouvait lire (comme maintenant) de sombres articles dans la presse française, où d’éminents experts vous expliquaient que l’état juif ne survivrait pas s’il était régulièrement saigné tous les cinq ou six ans ... La réalité fut tout autre au niveau des décisionnaires politiques : en Égypte, Anouar El Sadate décida de faire la Paix, jugeant insupportable le prix à payer pour une nouvelle guerre ; en Syrie, Hafez El Assad, lui, décida de geler la situation sur le Golan, où le canon a cessé de tonner depuis 1973 ! Seuls convaincus que « la victoire était au bout du fusil », les différentes organisations palestiniennes lancèrent au cours des années 70 une campagne d’attentats meurtriers à partir de leurs bases du Liban ... campagne qui n’aboutit à rien mais qui finit par entraîner l’invasion israélienne de 1982. Ceux qui se délectent de la soit disant victoire de Nasrallah souhaitent-ils vraiment que l’on revive de tels épisodes ?

Toujours à propos du parallèle avec la guerre du Kippour, Edward Luttvak (qui est un analyste militaire basé à Washington), a publié un article percutant dans le « Jerusalem Post » sous le titre "Mal lire la guerre du Liban". Il rappelle que la guerre de 1973 fut, aussi, vécue comme une défaite, alors qu’il y eut un redressement de la situation sur le terrain après des pertes terribles sur le front (plus de morts par jour que pendant la dernière guerre qui dura un mois) ; et il se montre indulgent vis-à-vis du gouvernement israélien, qui ne pouvait imposer une mobilisation générale alors que les pertes civiles dues aux missiles du Hezbollah restaient supportables. Comme l'écrit très justement Ludovic Monnerat, officier suisse d’active qui édite un blog remarquable, « les tergiversations politiques et la timidité opérative des Israéliens sont la principale cause de leur succès limité. Ils ont réagi rapidement face à l'ouverture stratégique que le Hezbollah leur a fournie sur un plateau, mais ils n'ont pas su pleinement adapter le rythme et la modalité des opérations au caractère ponctuel de cette ouverture. Ce qui est une constante : dans un affrontement du fort au faible, ce sont les faiblesses du fort qui sont décisives, et pas les forces du faible ».

Voilà donc quelques biscuits pour celles et ceux qui se seront laissés impressionner par la rhétorique du leader du Hezbollah ! Et si ces provisions ne vous suffisent pas, je recommande la lecture :
- de l'article du journal anglais "The Times" intitulé « Si cela est une défaite, les Israéliens devraient prier pour en avoir d’autres » ;
- de l'article de Ram Zenit dans le blog « PAF », qui critique l’article pessimiste d’Elisabeth Schemla dont je vous avais parlé.

J.C