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21 août 2006

Le réveil chiite – suite

Femme chiite d'Irak, photo prise à la sortie des urnes

J’avais choisi ce titre pour ma dernière émission avec l’orientaliste Antoine Sfeir, émission qui sera rediffusée sur Judaïques FM dimanche prochain 27 août. A l’époque, tout le monde s’inquiétait déjà beaucoup de la menace iranienne avec sa course à la bombe, et pas tellement de celle du Hezbollah qui a déclenché la guerre sur la frontière Nord d’Israël.

Aujourd’hui, les observateurs remarquent tous le paradoxe dans lequel semblent piégés les États-Unis. D’un côté, leur occupation de l’Irak ne tient que grâce au soutien des dirigeants chiites « modérés », qui ont accueilli avec bienveillance une invasion venue les débarrasser de Saddam Hussein. Il y a certes la tendance « dure », celle du Moqtada El Sadr, qui a défié le pouvoir de Bagdad et entamé une mini - révolte il y a deux ans, mais sur le fond les choses sont claires là-bas : l’ennemi, c’est l’intégrisme sunnite avec la branche irakienne d’Al-Qaïda et ses terribles attentats. D’un autre côté, à quelques centaines de kilomètres de là, entre Beyrouth et la plaine de la Bekaa, le paysage s’inverse complètement : les Sunnites soutiennent le gouvernement anti-syrien (lui-même répressif envers sa majorité sunnite) et plutôt pro-occidental de Fouad Siniora - même si le rapport de forces est difficile envers la minorité libanaise chiite, devenue elle-même la majorité des Musulmans du pays ... Ennemi d’Israël, donc des États-Unis, le Hezbollah appartient clairement à « l’axe du mal », même si - prudente - l’administration Bush ne veut pas participer à l’UNIFIL, histoire de ne pas s’aliéner les cousins chiites irakiens !

Mais au-delà de ce paradoxe géostratégique, y aurait-il dans la tradition chiite deux courants, l’un libéral, l’autre obscurantiste ? Antoine Sfeir le pense, et il l’a dit à notre micro. Alexandre Adler le pense aussi, et y a consacré un article dans « Le Figaro » du 10 août, en voici un extrait pour avoir un éclairage historique :
« Les deux versions opposées du chiisme partent de deux sources bien distinctes. À l'est, l'intégrisme sunnite indo-pakistanais a ciblé, depuis fort longtemps, le chiisme local comme une doctrine «semi-païenne». Or, il se trouve que de Jinnah à la famille Bhutto, nombreux sont les chiites à avoir participé dans un rôle de premier plan à la naissance et au développement du Pakistan, tandis que d'autres aristocrates de même obédience ont demeuré dans des positions enviées en Inde. L'idéologie populiste et intolérante d'une armée pakistanaise de plus en plus influencée par l'Arabie saoudite aura fait le reste. La persécution des chiites est l'article de foi numéro un des talibans et de leur soutien saoudo-pakistanais.
Tout à l'opposé, se situe la doctrine d'une partie de l'intégrisme iranien qui, derrière l'association du clergé combattant, contrôle une bonne part de l'État persan. Pour cette génération de clercs formés dans la haine tout ensemble du régime impérial et du marxisme, la source principale d'inspiration a souvent été sunnite, celle des Frères musulmans égyptiens. Nous retrouvons intacts ces deux courants dans la mêlée actuelle. Le président iranien Ahmadinejad, héritier explicite du clergé combattant du défunt ayatollah Behechti, voudrait à toute force effacer le conflit sunnite-chiite qu'attisent, au contraire, Pakistanais et Saoudiens. »


Pour finir, je voudrais vous faire partager la perplexité dans laquelle m’a plongé un article lu dans le « Wall Street Journal » le 4 août, encore une lecture de vacances ... L’auteur, Peter Waldman, a illustré son papier par des « camemberts » édifiants donnant le pourcentage de Chiites dans les pays arabes, ils sont aujourd’hui 45 % au Liban, 63 % en Irak, 25 % au Koweït et majoritaires à Bahreïn. Principal interviewé, le professeur Vali Nasr, d’origine iranienne, dit que les États-Unis en renversant Saddam ont puissamment renforcé le régime chiite clérical de l’Iran. Aujourd’hui - son analyse fait frémir -, Le Caire, Amman et Riyad ont perdu le contrôle de la région, ce sont les Chiites qui ont le vent en poupe. L'antagonisme ethnique entre Perses et Arabes n'a plus d'importance, lorsque le leader religieux suprême en Irak est un Iranien (l'Ayatollah Sistani), et le responsable de la justice en Iran (Mahmoud Shahroudi) un Irakien. Il faut donc d’urgence reprendre langue avec l’Iran, qu’il compare à la Prusse du 19ème siècle. L’Iran a déjà un vaste réseau d’influence en Irak, sa coopération est donc indispensable pour maintenir l’ordre là-bas. Quand au Hezbollah, son succès s’explique par le fait que la constitution libanaise, basée sur une démographie dépassée, lui accorde une portion congrue du pouvoir : il faut donc essayer de changer - pacifiquement - les choses dans ce pays.

Autant de propositions qui me laissent bien perplexe, alors que l’odeur de la poudre ne s’est pas encore évanouie au dessus de la frontière Nord d’Israël. Car une chose est d’avoir une vision géopolitique à moyen terme. Une autre de gérer des fanatiques comme Ahamadinejad ou Nasrallah, dont « l’agenda » politique est uniquement conflictuel !

J.C