Introduction :
La revue « Le Monde des religions » a publié, dans son numéro de septembre octobre 2007 (voir illustration), un dossier synthétique intitulé « Ce que dit vraiment le Coran ». Un sujet potentiellement explosif, où les grands médias oscillent toujours entre le « politiquement correct » prêt à tous les discours les mielleux, et la critique acerbe - qui voue aux gémonies une foi monothéiste, en n’en retenant que les facettes les moins sympathiques. Or, et c’est une agréable surprise, cette revue a évité les deux écueils en faisant appel à des contributions érudites - et surtout, souvent musulmanes, par leur foi ou leur culture.
C’est le cas de mon ami Mezri Haddad, qui a été plusieurs fois mon invité sur Judaïques FM, et dont j’ai déjà publié des articles sur le blog. Philosophe tunisien et auteurs de plusieurs ouvrages sur l’islam, il est d’abord théologien et enseigne à la fois à l’Université de Tunis et à la Faculté catholique de Paris. Et il s’est attaqué à un sujet délicat, celui de la présentation des Juifs et des Chrétiens dans le texte le plus sacré de l’islam, le Coran. Il l’a fait sans langue de bois, et il faut l’en féliciter !
Avec son aimable autorisation, je publie ici en deux parties sa contribution (il s’agit du texte complet, un peu plus long que l’article publié dans « Le Monde des religions »).
J.C
La revue « Le Monde des religions » a publié, dans son numéro de septembre octobre 2007 (voir illustration), un dossier synthétique intitulé « Ce que dit vraiment le Coran ». Un sujet potentiellement explosif, où les grands médias oscillent toujours entre le « politiquement correct » prêt à tous les discours les mielleux, et la critique acerbe - qui voue aux gémonies une foi monothéiste, en n’en retenant que les facettes les moins sympathiques. Or, et c’est une agréable surprise, cette revue a évité les deux écueils en faisant appel à des contributions érudites - et surtout, souvent musulmanes, par leur foi ou leur culture.
C’est le cas de mon ami Mezri Haddad, qui a été plusieurs fois mon invité sur Judaïques FM, et dont j’ai déjà publié des articles sur le blog. Philosophe tunisien et auteurs de plusieurs ouvrages sur l’islam, il est d’abord théologien et enseigne à la fois à l’Université de Tunis et à la Faculté catholique de Paris. Et il s’est attaqué à un sujet délicat, celui de la présentation des Juifs et des Chrétiens dans le texte le plus sacré de l’islam, le Coran. Il l’a fait sans langue de bois, et il faut l’en féliciter !
Avec son aimable autorisation, je publie ici en deux parties sa contribution (il s’agit du texte complet, un peu plus long que l’article publié dans « Le Monde des religions »).
J.C
Il convient d’abord de préciser qu’à l’égard des Juifs et des Chrétiens, les prises de position du Coran ne sont ni définitives, ni univoques. Et pour cause : elles reflètent souvent l’état des relations entre Mouhammad et « les gens du Livre », qualification coranique qui désigne ces deux principales ramifications du monothéisme biblique avec lesquelles l’islam a été d’emblée en contact et dont il a probablement subi quelques influences avant de s’en démarquer radicalement. Les propos tenu par le Coran à l’endroit des Juifs et des Chrétiens - tantôt conciliants et affables, tantôt virulents et vindicatifs - correspondent précisément à ces deux grands moments dans la genèse de l’islam : le moment inaugural à la Mecque et le moment constitutif à Médine. C’est que dans son apostolat mecquois (610-622), où sa cible principale était le paganisme arabe, Mouhammad reconnaissait les Hanifs, les Juifs et les Chrétiens sans doute pour les ramener à sa cause contre les polythéistes de Quraysch. Dans son apostolat médinois (622-630), où il a pu rassembler sa communauté et fonder sa cité, il n’avait plus besoin du soutien des Juifs que certains accusent de trahison et contre lesquels s’abattra bientôt la violence d’une armée impitoyablement puissante.
Dès lors, toute la difficulté - notamment lorsqu’on traite de questions relatives au dialogue des religions, à la tolérance ou à la liberté religieuse - consiste à distinguer, dans les 6226 versets qui composent le Coran, ce qui est essentiel et ce qui est conjoncturel, ce qui s’inscrit dans l’absolu et ce qui relève du relatif, ou encore ce qui est de l’ordre du « péremptoire »(muhkam) et celui de l’ « ambigu »(mutachâbah), pour emprunter ces deux catégories à Averroès dans son magistral Traité Décisif.
Le moins qu’on puisse dire est que, en contexte islamique, une telle démarche exégétique n’est pas toujours évidente. C’est qu’elle présuppose le postulat théologique et philosophique lourd de sens et de conséquences, qui a été jadis et naguère défendu par les mutazilites, à savoir que le Coran est un texte crée. Or, c’est sur l’opposé radical à cette affirmation « hérétique » que repose toute la dogmatique islamique : le caractère totalement incréé du Coran. C’est en effet la transcendance absolue du Coran, le caractère exclusivement divin de ce Livre qui constituent le dogme fondateur de l’islam ... et son handicap majeur dans toute tentative de réforme.
Si le point de vue coranique sur les Juifs et les Chrétiens découle indubitablement de situations historiques précises et plus exactement de l’état des relations entre le prophète de l’islam et ces deux communautés religieuses, la méthode exégétique à laquelle l’on doit recourir dans une telle problématique doit être forcément l’explication du texte par le contexte.
Dès lors, toute la difficulté - notamment lorsqu’on traite de questions relatives au dialogue des religions, à la tolérance ou à la liberté religieuse - consiste à distinguer, dans les 6226 versets qui composent le Coran, ce qui est essentiel et ce qui est conjoncturel, ce qui s’inscrit dans l’absolu et ce qui relève du relatif, ou encore ce qui est de l’ordre du « péremptoire »(muhkam) et celui de l’ « ambigu »(mutachâbah), pour emprunter ces deux catégories à Averroès dans son magistral Traité Décisif.
Le moins qu’on puisse dire est que, en contexte islamique, une telle démarche exégétique n’est pas toujours évidente. C’est qu’elle présuppose le postulat théologique et philosophique lourd de sens et de conséquences, qui a été jadis et naguère défendu par les mutazilites, à savoir que le Coran est un texte crée. Or, c’est sur l’opposé radical à cette affirmation « hérétique » que repose toute la dogmatique islamique : le caractère totalement incréé du Coran. C’est en effet la transcendance absolue du Coran, le caractère exclusivement divin de ce Livre qui constituent le dogme fondateur de l’islam ... et son handicap majeur dans toute tentative de réforme.
Si le point de vue coranique sur les Juifs et les Chrétiens découle indubitablement de situations historiques précises et plus exactement de l’état des relations entre le prophète de l’islam et ces deux communautés religieuses, la méthode exégétique à laquelle l’on doit recourir dans une telle problématique doit être forcément l’explication du texte par le contexte.
A l’égard des Juifs
« Abraham n’était ni juif, ni chrétien » (3, 67). Dans cette affirmation coranique, se trame les deux principaux griefs à l’égard des Juifs : le fait de se considérer comme étant le peuple élu par Dieu et le fait de ne point reconnaître Mouhammad comme un authentique prophète qui, selon certaines légendes,avait été annoncé par Moïse. Le Coran reconnaît toutefois l’alliance entre Dieu et les Juifs : « Nous avons fait alliance avec les fils d’Israël : Vous n’adorez que Dieu ... »(2, 73). Mais la suite du verset montre clairement que cette alliance n’est pas celle dont parle la Bible, ce qui délégitime les prétentions juives à l’exclusivisme. « O fils d’Israël ! Souvenez-vous des bienfaits dont je vous ai comblé. Accomplissez Mon pacte »(2, 40). Selon les exégètes musulmans, ces bienfaits sont d’abord la sortie d’Egypte, le passage de la mer rouge, la colonne de nuée ... Et pour eux, le pacte (ahd) n’est que le synonyme de l’alliance (mithâq) évoqué par le Coran (2, 73). D’autres exégètes croient qu’il s’agit de la promesse faite par les juifs en recevant la Torah : suivre le futur prophète annoncé, en l’occurrence Mouhammad.
Si ses reproches aux juifs semblent relever du dogme coranique, d’autres sont tout à fait circonstanciels : « Les juifs disent : la main de Dieu est fermée ... Bien au contraire les mains de dieu sont largement ouvertes et Dieu accorde Ses dons comme Il veut »(5, 64). Pour certains commentateurs, les juifs n’ont dit que la main de Dieu était fermée que parce qu’ils avaient de grands biens qu’ils perdirent lorsqu’ils ont rejeté l’apostolat de Mouhammad. Pour d’autres, les juifs constataient le dénuement du prophète malgré le verset 2, 245 suivant lequel « A celui qui fait à Dieu un prêt généreux, Il le rend en le multipliant de nombreuses fois ». De ce fait, candidement ou ironiquement, ils ont considéré que le Dieu de Mouhammad est ou bien pauvre, ou bien avare.
L’aboutissement « logique » de cette série de blâmes à l’encontre des Juifs est le verset 5, 82 : « Oui, tu trouveras vraiment que les hommes qui sont les plus violents dans l’hostilité envers les croyants sont les juifs et les polythéistes ». A noter que les exégètes classiques n’ont pas essayé de relativiser la dureté de ce jugement assertorique. Ainsi, pour Al-Râzi, « La doctrine des juifs est qu’ils ont l’obligation de faire le mal à ceux qui diffèrent d’eux dans la religion, de quelque manière que ce soit : si c’est possible, en tuant, sinon par la spoliation, le vol ou par une quelconque espèce de ruse, de machination et de stratagème ». La même subjectivité se trouve chez le célèbre Zamakhschari pour lequel « Les juifs sont les hommes les plus cupides ». Tout en s’abstenant d’infirmer ce qui a été dit par leurs prédécesseurs, d’autres commentateurs modernes ont essayé de minimiser sa portée en recourant au procédé contextuel. C’est le cas de Rachid Ridâ qui, dans son Commentaire du Manar, défend la thèse suivant laquelle la condamnation ne concerne que les juifs contemporains du prophète à Médine, que par conséquent, elle est obsolète pour les générations suivantes. Rachid Ridâ invoque d’ailleurs le verset 5, 82, déjà cité et dans lequel les juifs sont stigmatisées, et il relève ce qu’il considère comme un paradoxe : « les chrétiens sont les plus proches des croyants par l’amitié ». En pensant probablement aux Croisades et à la colonisation, il laisse entendre que les chrétiens ont été bien plus hostiles aux musulmans que les juifs visés par le Coran.
Mezri Haddad