Benjamin Stora est né en 1950 à Constantine, ville qu’il a quittée enfant avec ses parents, comme des centaines de milliers de Français, pieds noirs et juifs naturalisés qui ont du fuir leur terre natale. Cela a été un choc car ses parents ont tout perdu, commerçants là-bas ils sont devenus prolétaires ici, peut-être cela explique-t-il en partie pourquoi il a attrapé le virus révolutionnaire en mai 1968, et pourquoi il a été ensuite un militant trotskyste convaincu. Et puis, progressivement, sa passion pour l’histoire contemporaine va s’affirmer, et il s’est intéressé à sa terre natale, l’Algérie, en particulier à la sanglante guerre d’indépendance. Il a écrit une vingtaine d’ouvrages autour du sujet, réalisé des documentaires pour la télévision, et publié d’innombrables articles. Au fil de son travail, il a consolidé de nombreuses amitiés algériennes, en particulier avec l’historien Mohamed Harbi avec lequel il a publié en 2004 un monumental ouvrage intitulé « La guerre d’Algérie. La fin de l’amnésie », chez Robert Laffont. Lors de notre émission du 16 janvier dernier, nous avons parlé des mémoires plurielles de ce conflit, en prenant comme fil conducteur "La gangrène et l’oubli", œuvre magistrale qui a été publiée en 1991 aux Editions de la Découverte.
La mémoire coloniale est redevenue une des lignes de fracture qui fragilise la société française, comme le blog s’en est fait l’écho tout au long des dernières semaines. Or ce ne fut pas le cas dans les années qui ont suivi la guerre d’Algérie. Benjamin Stora rappelle dans son livre combien après 1962, les commémorations d’autres guerres, puis mai 68 vont aider à l’oubli de ce passé immédiat. Et plusieurs autres raisons expliquent cette amnésie : conspiration du silence pour ne pas voir à quel point l’état et toutes ses institutions (armée, police, justice) s’étaient salis, d’abord dans la répression du F.L.N avec l’usage généralisé de la torture ou les exécutions sommaires, puis quand l’indépendance a été acceptée, en accueillant tellement mal les rapatriés, et en abandonnant les harkis à une mort horrible ; réécriture gaulliste de l’histoire contemporaine, pour donner aux Français l’illusion d’une nation toujours unie, comme après le triste épisode de l’Occupation ; entrée du pays dans la société de consommation, et désir d’oublier des années amères ...
Mais cette réécriture de l’histoire ne fut pas uniquement française, et Benjamin Stora a eu l’immense mérite (malgré son passé militant et son profond amour de l’Algérie), d’analyser aussi dans « La gangrène et l’oubli », combien les nouvelles autorités algériennes ont nié la guerre civile secrète qui opposa le F.L.N et le M.N.A, ou le massacre en masse des harkis à l’été 1962. Au nom d’un peuple mythique, réduit à sa composante arabe et musulmane, qui n’aurait jamais eu d’influence française autre que la mémoire d’une oppression, prisonniers d’une idéologie à la fois millénariste et totalitaire, Ben Bella puis Boumediene ont légué un lourd passif à la mémoire algérienne, et laissé des fractures profondes au sein de leur peuple, y compris parmi les centaines de milliers devenus des franco-algériens avant et après l’indépendance.
Une interview passionnante, et un livre à (re)lire !
J.C
J.C