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17 mai 2020

Trump contre Xi, qui va caler ?


 Alain Frachon

L’antagonisme entre le président américain et son homologue chinois a rarement atteint pareil niveau. Jusqu’où ira la confrontation idéologique, économique et technologique entre les Etats-Unis et la Chine ?

Chronique. 

De Donald Trump, l’histoire retiendra qu’il a été le premier dirigeant occidental, depuis la fin des années 1970, à s’opposer frontalement à Pékin. Aucun président américain n’a manifesté pareille hostilité à la Chine post-maoïste. Aucun ne s’est entouré de tant de collaborateurs décidés à contrer l’empire du Milieu. Avec Xi Jinping aux commandes, la Chine elle aussi a changé de profil : la deuxième économie du monde défie l’Amérique. Jusqu’où ira cette bataille ?
La pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques sont venues ajouter un grief de plus à l’acte d’accusation dressé par les Etats-Unis à l’encontre des dirigeants chinois : non-respect systématique des règles de la concurrence ; piraterie numérique industrielle et technologique ; refus de la réciprocité dans nombre de transactions économiques ; emploi de la force en mer de Chine du Sud ; divergence sur Taïwan – parmi d’autres sujets de querelle. Depuis près d’un demi-siècle, l’antagonisme entre les deux pays a rarement atteint pareil niveau. Trump a chauffé au rouge la relation sino-américaine.
Même après la répression sanglante du mouvement prodémocratie place Tienanmen, à Pékin, en 1989, la doxa chinoise à Washington, partagée par les deux grands partis, ne changea pas. C’était une proposition simple. Le développement continu des échanges avec la Chine allait inexorablement conduire à une forme de libéralisation politique à Pékin. La démocratie jeffersonienne devait continuer à soigner ses relations économiques avec le dernier des grands partis communistes au pouvoir. L’enrichissement d’une vaste classe moyenne chinoise amènerait le régime à évoluer. Gagnant-gagnant.

Puissance retrouvée de la Chine

La Chine de Xi Jinping a fait voler en éclats les illusions entretenues au bord du Potomac. Sûre d’elle, cette Chine assume une puissance retrouvée grâce à des performances historiques. Elle réaffirme le rôle central du PC dans toute la société, économie comprise. Elle soumet le pays au culte d’un chef – au pouvoir pour la vie, s’il le souhaite – et à une cure de marxisme-léninisme revu à la sauce Mao. Société de surveillance numérique accomplie, elle supprime toute esquisse de dissidence. Elle ne « libéralise » pas plus son économie que son système politique : elle devient plus autoritaire. Vieille tradition chinoise, elle est fermée à toute critique extérieure, assimilée – pas toujours à tort – à un refus des Occidentaux d’admettre le retour de la Chine à son rang de superpuissance.
Xi a le sens du long terme. La rentabilité immédiate du capital n’est pas son souci. Il croit dans la supériorité d’un « modèle chinois » aux réalisations déjà exceptionnelles. Il affiche ses objectifs : faire du pays la puissance prépondérante dans certaines des technologies qui dessineront le paysage économique de l’avenir. Comme l’ont fait les Etats-Unis après 1945, la Chine se sert de son poids économique pour façonner un monde le plus conforme possible à ses intérêts. Parmi ceux-ci, et prioritaire, la préservation de son mode de gouvernement – parti unique, etc. – suppose d’en vanter les mérites et de dénigrer le régime qui, depuis la fin de la guerre froide, passait pour la référence en la matière : la démocratie libérale. D’où la diplomatie Xi Jinping, celle dite du « guerrier combattant », qui dénigre la démocratie et chante l’efficacité de l’autocratie. Rhétorique militante à des fins strictement intérieures ou réponse d’un PCC expansionniste au missionarisme américain post 1945 (et plus encore post 1989) ? Utilitarisme politique ou conviction idéologique ? Les deux à la fois.

Guerre du vaccin contre le Covid-19

La lutte idéologique avec l’Occident, et notamment les Etats-Unis, complète la bataille pour la prééminence économique, technologique, navale et spatiale. Front le plus actuel : la guerre du vaccin contre le Covid-19. « Le vaccin contre le coronavirus, c’est le Saint Graal d’aujourd’hui », dit au New York Times John C. Demers, ministre adjoint de la justice de Trump. « Etre le premier à développer un traitement ou un vaccin contre la Covid-19, ajoute Demers, aura une grande importance géopolitique. » Il va sans dire qu’Américains et Chinois ne coopèrent pas, ils s’espionnent.
Barack Obama, le prédécesseur de Trump, avait, le premier, éprouvé le besoin de tenir tête à cette Chine conquérante. Obama sollicitait l’appui coordonné de ses alliés européens et du Pacifique pour « contenir » la Chine. Au nom de « l’Amérique d’abord », Trump, lui, mène une « stratégie » d’expert-comptable de quartier. Il méprise ses alliés. Ce qui lui importe, c’est l’équilibre de sa balance commerciale. Il bataille d’autant plus seul contre Pékin qu’il a promis, dans l’hypothèse d’un deuxième mandat, de mener contre l’Union européenne la même guerre tarifaire que celle qu’il a engagée avec la Chine ! Les Européens ont pourtant à l’adresse de Pékin des griefs similaires à ceux des Américains.
Jusqu’où Trump peut-il aller dans sa volonté de « découpler » l’économie américaine de celle de la Chine ? Interdire Wall Street aux sociétés chinoises ? Limiter drastiquement, et soumettre à autorisation, les relations de la Silicon Valley avec la « high tech » chinoise ? Supprimer toute coopération scientifique entre les deux pays ? Limiter les investissements en Chine d’un fonds de pension public fédéral ? Le candidat démocrate Joe Biden soutiendrait volontiers certaines de ces mesures. Mais Trump, pour masquer ses échecs dans la lutte contre le Covid-19, est décidé, lui, à mener, pour le scrutin présidentiel du 3 novembre, une campagne hystériquement antichinoise.
Trump et Xi ; deux nationalismes survitaminés ; les deux plus grandes puissances face-à-face : dans l’histoire, cette configuration a rarement été très favorable.

Alain Frachon,

Le Monde, 14 mai 2020