Respect de la distance de sécurité
lors de la
prière du vendredi, le 24 avril à Karachi (Pakistan)
Les médecins du Pakistan craignent le pire : les
autorités de ce pays musulman de 220 millions d’habitants ont autorisé l’ouverture
des mosquées pour les prières collectives durant le ramadan. Le président Arif
Alvi a annoncé cette décision, samedi 18 avril, à l’issue d’une
rencontre avec les chefs religieux qui faisaient pression pour obtenir que les
mosquées soient exemptées de toute mesure de confinement. Le premier ministre,
Imran Khan, l’a justifiée en expliquant qu’on ne peut « empêcher par la
force les gens d’aller à la mosquée ». « Je connais ma nation. Le
ramadan est un mois de culte », a-t-il dit. Cette période est aussi
pour les religieux un moment privilégié de collecte d’argent.
Les fidèles pourront prier chaque soir ensemble et
célébrer la rupture du jeûne. Une vingtaine de règles de bonne conduite ont été
édictées par les autorités, comme respecter 2 mètres de distance, apporter
son tapis de prière, désinfecter le sol des mosquées, ne pas discuter, ne pas
se serrer la main, faire ses ablutions à la maison. Les personnes âgées et les
malades devront rester chez eux.
« Le gouvernement a pris une très mauvaise
décision », s’est
emporté Qaiser Sajjad, secrétaire général de l’Association médicale du
Pakistan, au cours d’une conférence de presse à Karachi, pourfendant l’attitude
des oulémas « qui jouent avec des vies humaines ».
L’association a adressé une lettre au gouvernement pour lui demander de limiter
l’accès des mosquées à cinq personnes maximum. Selon les praticiens, les
hôpitaux désignés pour traiter l’épidémie sont déjà presque à saturation, alors
que l’épidémie n’a pas atteint son pic. Officiellement, 11 700 cas et
250 morts étaient recensés au samedi 25 avril, principalement dans le
Pendjab et dans le Sindh.
Système en déshérence
Le système de santé du pays, après des années de
sous-investissement, est en déshérence. Les personnels des hôpitaux, qui ne
disposent pas d’équipements de base, masques ou gants, ont déjà payé un lourd
tribut : 253 ont été contaminés, dont 124 médecins. « Comment
l’administration va-t-elle faire appliquer les règles de bonne conduite ?
C’est impossible », a rappelé le docteur Saad Niazi.
Ces derniers jours, l’accès aux mosquées avait été
restreint dans plusieurs régions, mais les fidèles ont continué de prier dans
la rue, serrés les uns contre les autres. La police est intervenue, donnant
lieu à des heurts entre fidèles et forces de l’ordre. Depuis le début de la
crise sanitaire, le premier ministre tente de ménager une économie déjà à genou
et défend le principe « d’un confinement intelligent », c’est-à-dire
souple. Mais certaines provinces ont ordonné des mesures plus strictes, avec
fermetures des écoles, des lieux de culte, des entreprises, des commerces.
Après l’appel des médecins, la province du Sindh, dont la capitale est Karachi,
dans le sud du pays, et dirigée par l’opposition, a interdit les prières
collectives du ramadan.
Bilawal Bhutto Zardari, le fils de l’ancienne première
ministre assassinée en 2007 et l’un des principaux opposants de Khan,
estime que le pays, ignorant la science, « se dirige en somnambule vers
un désastre ».
Sophie Landrin
Le Monde, 25 avril