Au Liban, des centaines de milliers
de réfugiés syriens et palestiniens vivant dans le dénuement sont
particulièrement fragiles face au nouveau coronavirus, même si l'ONU et des ONG
leur viennent en aide. La situation matérielle des camps s'est aggravée avec la
mise en place d'un couvre-feu destiné uniquement aux réfugiés par des
municipalités.
C’est un
suicide qui met en lumière les difficultés supplémentaires des réfugiés au
Liban, provoquées par le coronavirus. Bassam était un réfugié syrien. Il
s’est aspergé d’essence ce samedi 4 avril dans la région de la Bekaa, à l’est
du pays, non loin de la frontière syrienne. Puis il s’est immolé. L’homme,
transporté vers l’hôpital, est décédé peu de temps après. Il entendait
protester contre le manque de travail disponible en raison des mesures prises
pour freiner la propagation du coronavirus. Cet homme, selon Beyond
Association, une association libanaise d’aide aux réfugiés, n’arrivait plus à
subvenir aux besoins vitaux de sa famille. Un cas isolé ?
Une situation fragilisée par les
mesures de confinement
Lisa Abou Khaled, porte-parole du Haut Comissariat aux Réfugiés (HCR) au Liban ne cache pas son inquiétude. La pandémie fragilise une économie libanaise déjà à bout de souffle. Le gouvernement a mis en place un confinement assorti d’un couvre-feu nocturne, réduisant de fait fortement l’activité du pays. Et la très grande majorité du quelque million de réfugiés syriens répertoriés par le HCR ne peut compter uniquement sur l’aide des ONG pour survivre. Ils doivent travailler.
L'enjeu est important. Ce pays de 6 millions d'habitants compte, en proportion de sa population, la plus grande concentration de réfugiés au monde. Un million et demi de réfugiés syriens vivent dans le pays du Cèdre. Quelque 200.000 Palestiniens vivent également en tant que réfugiés dans le pays depuis des décénnies.
« La situation économique des réfugiés syriens était déjà très difficile et très compliquée pour les réfugiés syriens avec la crise économique actuelle au Liban. Les mesures actuelles de confinement au Liban ont encore aggravé la situation personnelle de ces réfugiés », explique la porte-parole au Liban du HCR, Lisa Abou Khaled.
Selon les données du HCR, quelques mois avant le déclenchement de la crise sanitaire dans le pays, plus de 55% des réfugiés vivaient avec moins de 3 dollars par jour. Ce chiffre ne dépassait pas les 50% en 2017, d'après l'agence onusienne.
Le couvre-feu, une mesure
"discriminatoire"
Cette situation est aggravée également par des mesures spécifiques prises par certaines municipalités vis-à-vis des réfugiés. Dans 21 municipalités, le couvre-feu nocturne est prolongé de 9 h à 13h pour les réfugiés. Dix-huit de ces localités, dont Brital dans le district de Baalbek - fief du Hezbollah, sont situées dans la vallée de la Bekaa. Plus d’un tiers des réfugiés vivent dans cette vallée.
L’association de défense des droits humains, Human Rights Watch, n’hésite pas de son côté à parler de "mesures discriminatoires". Comment conserver un travail lorsqu’on ne peut pas sortir le matin ?, s’interroge l’ONG. Ce couvre-feu spécifique pose également la question de l’égalité d’accès aux soins pour les réfugiés. « Les réfugiés, tous comme le reste de la population au Liban, ont conscience qu’il faut limiter ses déplacements, garder une distance sociale, mettre en place des gestes barrières. Les réfugiés ont besoin d’avoir accès à des infrastructures sanitaires à l’extérieur des camps. Pourquoi ajouter de telles mesures ? Le virus touche tout le monde, quelque soit sa nationalité », explique Lisa Abou Khaled du HCR.
Les municipalités se justifient en affirmant qu’elles craignent que la surpopulation dans les camps favorisent la constitution de foyers épidémiques. « Il faut mettre en place dans les camps de réfugiés des structures qui permettent d’isoler les cas et les patients atteints du coronavirus, qui n’ont pas besoin d'une hospitalisation immédiate, des autres réfugiés. C’est ce que nous sommes en train de faire », estime la porte parole du HCR.
Des « centres d’isolation » sont en train d'être mis en place pour mettre en quarantaine les malades. Pour l’instant, selon l’agence onusienne, aucun cas grave demandant une hospitalisation n’a été répertorié dans un des camps de réfugiés que compte le Liban.
800 lits d'hôpitaux supplémentaires
Officiellement, au moins trois ressortissants syriens ont contracté le virus, selon les statistiques gouvernementales à dater de ce 8 avril. Et un Palestinien, qui ne vivait pas dans un camp de réfugiés, a également été contaminé, d'après l'Unrwa, l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens.
Plusieurs ONG, à l'instar du NRC (Conseil norvégien des réfugiés), distribuent désormais des produits sanitaires: savon, désinfectant, eau de javel dans les camps. "Nous avons augmenté le volume d'eau que nous fournissons aux communautés de réfugiés, palestiniens ou syriens", dit Elena Dikomitis, porte-parole du NRC au Liban, interrogée par l’Agence France-Presse.
Le Liban, qui s’est déclaré en cessation de paiement le 9 mars 2020, aura t-il la possibilité de prendre en charge, hors des camps, les réfugiés malades ? Le HCR a décidé de fournir une aide afin d'augmenter de 800 lits les capacités des hôpitaux libanais. Cela sera-t-il suffisant ? Le HCR, par l’intermédiaire de sa porte-parole Lisa Abou Khaled, reconnaît qu'il faudra un soutien exterieur d'envergure. « Il faudra une aide internationale, un appel aux dons pour faire face. »
Pierre Desorgues
Site de TV5 Monde, 11 avril
2020