Khalifa Rashid Al-Shaali
Dans un article publié le 6 juin 2015 dans le quotidien des Émirats arabes unis en anglais, Gulf News, l’auteur Khalifa Rashid Al-Shaali rejette l’engouement arabe pour les théories du complot, partagé selon lui par les élites, les masses et les médias. Ainsi, écrit-il, les Arabes pensaient jadis que « l’entité sioniste » et les États-Unis étaient leurs ennemis suprêmes, avant de s’apercevoir qu’il est en réalité possible de coopérer avec eux. Une telle pensée conspirationniste, écrit-il, est responsable de nombre d’échecs et problèmes rencontrés par les Arabes – y compris la perte de la Palestine en 1948 – parce que les théories du complot fournissent une excuse commode aux gouvernements arabes, qui leur permet d’expliquer leurs échecs. En outre, avec la pensée conspirationniste, les Arabes sont incapables de trouver un compromis avec leurs ennemis pour garantir leurs intérêts supérieurs, comme les autres nations sont capables de le faire – les États-Unis et l’Iran, par exemple, dans le cadre de leurs relations actuelles. Al-Shaali conclut que les Arabes doivent trouver un terrain d’entente avec ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis, afin « d’épargner à leurs sociétés le fléau des guerres, des destructions et des invasions ».
Extraits
: [1]
Je
me demande quand les Arabes se débarrasseront de notre « complexe de la
conspiration » ! Depuis la Première Guerre mondiale, nous croyons que
l’Orient et l’Occident conspirent tous deux contre nous. La période qui a suivi
la Seconde Guerre mondiale a fait germer dans nos cerveaux l’idée que tous les
maux qui nous assaillent sont la conséquence de conspirations ourdies par les
autres. En conséquence, la Palestine a été perdue et ses habitants ont été
dispersés. Certains ont émigré, et d’autres sont restés en Palestine
occupée ; certains ont été contraints de devenir citoyens de l’entité
sioniste. De nombreuses guerres et batailles se sont ensuivies pour chasser les
Palestiniens dans les pays voisins ou dans d’autres endroits où ils ont pu
trouver une bouffée d’oxygène politique.
Nous
sommes convaincus que la raison de tout cela était une conspiration contre
nous, et que nos gouvernements sont totalement innocents de tous les malheurs
qui assaillent les communautés arabes. Nous étions aussi certains que nos
gouvernements étaient impuissants – comme nous – et incapables de contrer cette
conspiration. Après la Palestine, d’autres pays ont été perdus ; les
Arabes ont été soumis aux déplacements forcés, aux expulsions, aux assassinats,
aux vols et à la perte de leurs identités nationales et de leurs passeports, et
aux violations de leurs droits par des tiers.
Nous
savions qui était notre ennemi, à un certain stade de l’histoire. Nous étions
certains que le fer de lance était l’entité sioniste et tous ceux qui la
soutiennent. Récemment, nous avons découvert que ceux que nous considérions
comme l’ennemi et son fer de lance n’étaient pas nos ennemis. Il nous a été
prouvé que nous rêvions, et que l’ennemi escompté était en fait un ami, avec
lequel de nombreux pays arabes coopèrent ! En fait, la réalité et la
coopération existante à tous les niveaux et dans tous les domaines entre les
systèmes de gouvernement arabes et les États-Unis – par exemple – confirment le
fait que les États-Unis ne sont pas un ennemi des Arabes ou des musulmans.
Si,
en théorie, nous acceptons le fait qu’il puisse y avoir des conspirations
contre nous, la question qui se pose est de savoir : qu’ont fait nos
dirigeants et nos élites pour débarrasser nos pays et nos sociétés des
problèmes engendrés par ces conspirations ? Ou bien ont-ils tout
simplement capitulé ? En supposant que cela soit vrai, les Palestiniens
continueront de souffrir comme les Somaliens, les Irakiens, les Syriens, les
Yéménites et les autres.
L’autre
hypothèse est que la conspiration est le fruit de notre imagination, une sorte
de porte-manteau auquel les Arabes accrochent tous leurs échecs. Beaucoup de
nos intellectuels et membres de nos élites politiques ont cru à cette farce, de
même que nos médias officiels et privés, parce que les « masses »
l’avaient demandé. Malheureusement, nos médias sont habitués à publier ce que
les masses demandent ; ils n’ont jamais été des meneurs de masses et n’ont jamais
guidé le discours politique.
La
vérité est qu’au niveau individuel, politique, socio-économique et culturel,
nous sommes en conflit avec nous-mêmes et avec les autres. Nous créons des
démons, afin de les combattre et de les maudire. Nous ignorons comment résoudre
les différends par le dialogue, pour trouver un terrain d’entente avec ceux que
nous considérons comme nos ennemis, afin d’épargner à nos sociétés le fléau des
guerres, de la destruction et des invasions. Notre plus grave erreur est que
nous ne faisons pas la différence entre les conflits existentiels et ceux
portant sur les intérêts. Nous ignorons ce que nous voulons de l’autre, et ce
que l’autre attend de nous. Nous sommes aveugles devant le fait que nous vivons
dans un monde en mutation, où les intérêts évoluent à chaque seconde. Nous ne
comprenons pas qu’en raison de cette ignorance, nous ne pouvons prendre les
bonnes décisions. Les politiques nationales ne sont pas guidées par les
émotions mais par les intérêts de leurs populations. Si nécessaire, elles
sacrifieront l’autre, si c’est dans l’intérêt de leur sécurité nationale.
Si
nous appliquons cette perception à nos relations avec l’Amérique et l’Iran,
nous pourrons trouver des compromis sur certains intérêts en discutant avec ces
deux pays qui sont contre nous, car les deux pays menacent notre existence en
tant qu’Arabes. Si nous appliquons cette perception aux relations entre
l’Amérique et l’Iran, alors nous comprendrons que les problèmes entre ces deux
pays sont liés aux intérêts et que les deux côtés comprennent précisément ce
qu’ils attendent de l’autre. Les compromis sont conformes à leurs intérêts, et
pour garantir leurs intérêts, ils sont pleinement disposés à nous sacrifier,
parce que nous ignorons tout simplement sur quoi faire des compromis ;
nous avons épuisé toutes nos cartes et n’avons plus rien à offrir en compromis.
Ainsi, la réunion de Camp David [N.d.T.
entre les Etats-Unis et le Conseil de Coopération du Golfe, le 14 mai] le mois
dernier était une conclusion douloureuse à notre relation avec une puissance
dont l’amitié nous semble suspecte, mais dont nous ne pouvons nous passer pour
garantir notre existence.
Note
:
[1] Gulfnews.com,
6 juin 2015.
Source : Memri, 23 juin 2015