Nous le voyons ici, Daech instrumentalise, ment et ne cache absolument rien des crimes qu'il commet
C'est
ainsi que dans l'édition française de Dabiq, nous voyons cette photographie :
une tête décapitée a été placée en plein milieu de la quatrième marche d'un
escalier, au milieu de ruines diverses. Il s'agirait selon Daech d'un
"apostat". Dans l'Express (2 octobre 2014), le politologue Asiem El
Difraoui explique la stratégie menée: "L'ultra-violence constitue la
marque de fabrique du mouvement.
Les
mises en scène de décapitation ou d'assassinats en masse, filmés en gros plan,
ont pour but de terroriser ses ennemis dans la guerre psychologique. En
interne, elles assurent aussi la cohésion du groupe, en montrant qu'il met ses
menaces à exécution. Cette brutalité permet de maintenir une pression omniprésente
et diffuse." Pour autant, Daech n'a rien inventé. Rappelons ici qu'en son
temps, le souverain Mongol Gengis Khan s'amusait à élever des pyramides de
têtes décapitées et toute notre histoire est marquée par des procédés et crimes
violents et monstrueux qui ont tous le même but: semer la terreur.
Justement,
dans une autre photographie, on voit des prisonniers, ils sont debout,
terrorisés, le regard hagard. Ils vont être assassinés. Puis, on voit une
quinzaine de djihadistes, puis dans une autre photo, une dizaine d'entre eux.
Ils exécutent alors froidement une dizaine d'hommes qui sont à genoux avec la
légende suivante : "Exécution des traîtres Chou'aytât" (de la Tribu
des Chou'aytât). Un rédactionnel revient largement sur ce crime de guerre afin
de tenter de l'expliquer. Selon Dabiq, ces clans (Chou'aytât) auraient accepté
de se soumettre à Daech. Ils auraient ensuite rompu leur pacte parce qu'ils
s'opposeraient à l'application de la Charia (Loi canonique islamique).
En
réalité, ces textes s'adressent notamment et principalement à des musulmans ou
à des convertis. C'est pour cette raison que Dabiq est truffé de récits
multiples souvent décontextualisés, de commentaires farfelus, de versets
trafiqués et/ou de hadiths (traditions relatives aux actes et aux paroles de
Mahomet et de ses compagnons, considérés comme des principes de gouvernance
personnelle et collective pour les musulmans que l'on désigne généralement sous
le nom de "tradition du Prophète").
Au
final, c'est là, la force terrifiante de Dabiq pensé et conçu comme un puissant
outil de propagande. Leur cible ? Des jeunes ayant grandi avec Internet depuis
leur prime enfance.
Qui
sont les probables lecteurs de Dabiq?
Dounia
Bouzar qui dirige le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à
l'islam (CPDSI), explique dans un entretien (Libération, 14 septembre 2014) que
les personnes qui sont endoctrinées par cette propagande ne connaissent pas le
Coran et ne parlent pas l'arabe. "La majorité des candidats sont des
convertis. Le phénomène de radicalisation est tellement extrême et rapide
qu'ils sont parfois dans une dichotomie étonnante entre manger du porc et
partir faire le djihad le lendemain." Ce que le politologue Asiem El
Difraoui résume en une formule: "Aujourd'hui, Daech récupère plutôt les
rejetons des sociétés occidentales, tels Mohamed Merah ou Mehdi Nemmouche: des
jeunes en marge, des petits voyous, des gens largués cherchant un sens à leur
vie.
Le
mythe du salut est au cœur de cette imagerie apocalyptique et cauchemardesque:
Daech fait croire à ceux qui le rejoignent qu'ils peuvent racheter leur
conduite passée en devenant djihadistes. Récompense ultime: il promet un accès
direct et immédiat au paradis si les recrues acceptent de participer à des
attentats suicides". Exemple? "Flames of war", un documentaire
de propagande de 55 minutes, filmé en HD avec un montage agressif, montre un
djihadiste qui meurt... le sourire aux lèvres.
Car,
la véritable révolution numérique pour ces groupes, comme l'explique Rania
Makram, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) du
quotidien égyptien Al-Ahram (20 août 2014), est apparue avec les réseaux
sociaux, en 2006. Selon elle, Daech a réussi à moderniser la propagande
djihadiste. Le montage de son film intitulé "Le Choc des épées IV",
avec des prises de vues aériennes, zooms, effets sonores, respecte même les
codes du cinéma d'action.
Nous
le voyons donc ici, Daech utilise avec une parfaite maîtrise les réseaux
sociaux. Il s'agit là d'un puissant outil au service de leur cyber-guerre et
cette propagande haineuse fait donc le tour du Web. Le djihad numérique a donc
devant lui de nombreux et terrifiants boulevards. Terrifiant.
Marc
Knobel,
Le
Huffington Post, 13 octobre 2014