Pièces de monnaie de l’État Islamique
Exploitation du pétrole,
racket, rançons… L’organisation possède assez d’argent pour payer correctement
ses dizaines de milliers de combattants.
«Jamais
autant d’argent n’a été concentré en de si mauvaises mains.» C’est le leitmotiv de tous ceux -
diplomates, membres des services de renseignement et chercheurs - qui observent
la progression fulgurante de l’État islamique. Une première indication de la
richesse de l’organisation que dirige Abou Bakr al-Baghdadi, alias le calife
Ibrahim : les Syriens et les Irakiens gagnent un solde mensuel de
400 dollars (environ 310 euros). Mais pour les mouhadjiroun, qui viennent
de France, d’Europe, du Maghreb, s’ajoute une prime supplémentaire de
700 dollars. Soit une somme globale de 1 100 dollars pour les
étrangers. D’autres bonus sont distribués aux combattants mariés :
100 dollars par épouse et 50 dollars par enfant.
Ces chiffres, collectés par l’économiste syrien Samir Seifan, chercheur au
prestigieux Cercle des études syriennes de l’université St Andrews,
attestent que l’argent n’est nullement un souci pour l’État islamique.
Incompétence.
Cette richesse l’a d’ailleurs aidé à
rallier bon nombre de combattants qui appartenaient à d’autres groupes
islamistes, comme Ahrar al-Cham. A ce jour, si l’on en croit la CIA, l’Etat
islamique rassemble entre 20 000 et 31 500 combattants en Irak et en
Syrie, une nouvelle estimation sans aucun rapport avec la précédente, qui
faisait état de 10 000 jihadistes. Ces évaluations sont cependant sujettes
à caution, la centrale américaine du renseignement ayant montré sa totale
incompétence en Irak où, en dépit d’un budget phénoménal, elle a été incapable
de prévoir la prise de Mossoul et, auparavant, celle de Fallouja, aux portes de
Bagdad. Sur ces 25 000 ou 30 000 combattants, la moitié sont des
étrangers, selon d’autres estimations. On le voit : pour entretenir ses
troupes, l’organisation se doit de disposer de ressources considérables.
Ce
qui fait d’abord la richesse du califat proclamé, c’est l’argent du pétrole. En
Syrie, l’Etat islamique contrôle principalement un large secteur pétrolier qui
va de Raqqa à Al-Bukamal, notamment autour de Deir el-Zor. Avant la guerre,
Shell et Total exploitaient ce champ pétrolier qui produisait environ 120 000
barils par jour de light
crude oil. L’Armée syrienne libre (ASL) ayant chassé les forces du
régime, les rebelles reprirent l’exploitation en creusant le sol et en
procédant à une extraction sauvage, cause d’une pollution phénoménale. A
présent, ce sont les forces de l’État islamique qui, après avoir défait l’ASL,
se sont emparées de ces gisements. Aujourd’hui, la production se situerait
autour de 30 000 barils par jour. Elle est essentiellement destinée aux besoins
des jihadistes et aux marchés locaux, syrien et irakien. Prix du baril :
entre 20 et 25 dollars. L’État islamique contrôle aussi le pipeline
qui relie les champs pétroliers proches de Palmyre à ceux du nord-est de la
Syrie, deux zones contrôlées par les forces loyalistes. Pour pouvoir continuer
à exporter son pétrole, Damas doit donc verser une contribution importante à
l’organisation, dont le montant n’est pas connu.
Mais
le pétrole, qui rapporterait 2 millions de dollars par jour, est loin d’être la
seule source de revenus de l’Etat islamique. La deuxième provient de l’argent
qu’elle prélève sur les produits à destination des populations sous son
contrôle, en particulier sur le blé et le coton. Contrairement aux apparences,
les revenus des rançons, même s’ils sont phénoménaux - jusqu’à 10 millions
de dollars par otage -, ne jouent qu’une part mineure dans le budget du califat
: environ 5%, selon diverses estimations. A cela s’ajoute encore l’argent
du racket.
Générosité.
Au départ, l’État islamique, qui
s’appelait alors l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), a bénéficié de
fonds de donateurs privés du Golfe, au même titre que les autres groupes
sunnites - environ 2 000 - qui se battaient en Syrie contre le régime. «Les Koweïtiens ont toujours beaucoup
financé les salafistes», précise l’économiste Samir Seifan. «L’État islamique ne se serait pas
imposé si les pays du Golfe n’avaient pas fermé les yeux sur son financement.
C’est leur mentalité de faire quelque chose et de ne pas songer aux
conséquences. Ils voulaient que Bachar al-Assad s’en aille et, maintenant, ils
sont confrontés à des gens qui veulent aussi s’emparer de La Mecque et de
Médine», explique Toby Matthiesen, chercheur à l’université de
Cambrigde cité par le quotidien britannique
The Guardian.
Depuis,
la volonté hégémonique de l’État islamique a semble-t-il tempéré leur
générosité. Mais l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi a trouvé d’autres
sources de revenus. A Mossoul, le calife Ibrahim a confisqué les avoirs de
trois grosses banques. Montant du butin : 429 millions de dollars
(330 millions d’euros) et plus de 600 milliards de dinars irakiens
(398 millions d’euros), selon une source proche du ministère de la Défense. Ce qui
fait de lui le plus riche des seigneurs de la terreur. Le butin militaire
n’était pas négligeable non plus : un million de dollars en équipements divers,
selon la même source.
Jean-Pierre Perrin
Libération, 14 septembre
2014