Introduction :
J'ai plaisir à publier sur mon blog cet article
remarquable de Richard Prasquier, publié 2 jours après la fête de Kippour qui
tombait cette année là, le même jour que l'Aïd el Adha (ou "El
Kebir"). Je le fais avec un petit décalage, mais nous sommes encore, pour
les Juifs, dans le cycle des fêtes d'automne, cette "convocation" devant
l'Eternel et devant notre conscience. L'ancien président du CRIF a sur
remarquablement resituer la symbolique du sacrifice dans les deux religions, et
nous interroger tous, avec en arrière-plan la lourde actualité d'un Islam
dévoyé par des barbares.
J.C
Cette année 2014 (5775 pour les Juifs, 1435 pour les
Musulmans), les hasards des calendriers ont amené les Juifs et les Musulmans à célébrer le même jour du 4 octobre
leur fête la plus importante: pour les premiers Yom Kippour, pour
les seconds, l'Aid el Adha. L'une, le grand Pardon, clôture le cycle des jours
de pénitence qui commence à Rosh Hachana, le nouvel an, l'autre, la grande fête
de sacrifice, achève le cycle du pèlerinage à La Mecque. Dans les deux cas, il
s'agit d'exalter la grandeur divine et de demander rémission pour les péchés et
les offenses.
Une telle coïncidence de date, qui ne s'était pas
produite depuis 33 ans, incite à la réflexion. C'est peu de dire que le
"climat" y est propice.
L'élément central de l'Aïd est le sacrifice d'Abraham,
le père commun des monothéismes. A Rosh Hachana aussi, le rappel de
l'injonction envers Abraham pour qu'il sacrifie son fils unique (le terme
utilisé est celui de ligature, Akeda) est un élément central de la liturgie.
D'autres éléments peuvent être rapprochés dans les
deux traditions: la lapidation de Satan, à la fin du pèlerinage, qui marque le
rejet des péchés, rappelle la cérémonie de Rosh Hachana, où ces péchés sont
symboliquement rejetés dans une eau vive. Les circumambulations autour de la
Kaaba peuvent être rapprochées de celles qui se déroulent autour de la Thora au
cours de la fête de Soukkot (dont le nom même «hag Soukkot» provient de la même
racine que le hadj arabe et se réfère à un cercle...
Chacun sait que les traditions respectives sont
proches. Le soutien attentif d'une anthropologie fraternelle devrait aider à
avancer dans les voies multiples et tortueuses de la spiritualité en
reconnaissant que le fantasme d'une possession exclusive de la parole divine
est une boursouflure idolâtre de l'ego.
Mais comparaison n'est pas raison et, en matière
religieuse plus qu'ailleurs, les petites divergences font les grands conflits.
Depuis plus de 1000 ans, le christianisme est divisé entre orthodoxes et
catholiques sur un mot (le filioque).
Entre la tradition judéo-chrétienne biblique et la
tradition musulmane du sacrifice d'Abraham, les brûlots théologiques ne
manquent pas: comment s'appelait le fils qui devait être sacrifié et qui, dans
les deux traditions, s'est soumis sans résistance à la décision paternelle
supposée d'origine divine ? Isaac, nous dit la Bible, Ismaël dans la tradition
musulmane.
Où a eu lieu cet événement extraordinaire? Au Mont
Moriah pour la Bible, sur le Mont Arafat pour le Coran. Le premier est à
Jérusalem (sous le dôme du Rocher, appelé Mosquée d'Omar, au Saint des Saints
suivant la tradition), le second, non loin de La Mecque, qui évoque par son nom
une figure emblématique du conflit israélo-palestinien. Le hasard (?) fait mal
les choses...
Les agitateurs religieux peuvent de ces divergences
faire une source irréductible de conflit métaphysique. Les experts pourraient,
sous le compte d'une enquête scientifique, essayer d'en savoir plus sur les
origines des traditions. Ils ne seraient pas entendus. Les hommes de bonne
volonté doivent admettre, au-delà des noms et des lieux, que leur connaissance
spirituelle reste faillible, que le voilement sur le réel est peut-être une
épreuve intentionnelle et une mise à distance nécessaire, et que la leçon
essentielle, celle qui porte sur le sens, n'est pas celle du « qui" ou
celle du « où ».
Or, cette leçon est d'une éloquente simplicité: Dieu
n'a pas admis le sacrifice humain. A la place du fils unique d'Abraham c'est un
banal bélier qui fut égorgé.
Hervé Gourdel a été égorgé le 24
septembre 2014, veille de Rosh Hachana; Alan Henning a été égorgé le
3 octobre 2014, veille de Yom Kippour et de l'Aid.
Rarement des messages ont été aussi clairs. Ces hommes
ont été égorgés au nom de l'Islam et leurs assassins s'en revendiquent avec une
ferveur effrayante.
D'autres religions ont été dévoyées dans le passé vers
des fantasmes de toute puissance, si besoin à la suite de massacres. Ce n'est
plus le cas. Certains textes bibliques aussi feraient frémir si leur violence
n'avait pas été amendée par des interprétations humanistes prenant le texte à
bras le corps. . Mais il est accablant d'observer les contorsions
intellectuelles de ceux qui refusent de s'exprimer sur les égorgements en
prétendant que ce serait une atteinte à leur dignité et que ces faits n'ont
"rien à voir" avec l'Islam: sont-ils très aveugles, très
complaisants, très haineux ou très pervers?
Il est de bon ton aujourd'hui d'écrire que ceux qui
accusent cet Islam-là essentialisent leurs critiques sur « les » musulmans en
tant que tels. C'est faux. Attaquer l'Islamisme radical, s'interroger sur les
potentialités agressives contenues dans certaines parties du vaste corpus
intellectuel de l'Islam, n'a rien à voir avec des accusations contre « les »
musulmans. Cette confusion voulue est une supercherie intellectuelle ressortie
de la boîte à insultes des générations passées, quand on discréditait sous le
nom de fascistes ceux qui critiquaient certains aspects de l'Union Soviétique.
Plus que d'autres, les musulmans qui luttent, parfois avec un courage
admirable, contre le silence confortable, pour faire valoir un Islam de raison
et de paix, savent ce qu'il faut penser de ces faux amis qui voudraient les
orienter dans un combat qui n'est pas le leur, contre un système capitaliste
obligatoirement coupable et dont le sionisme serait la matrice de perversion.
Richard
Prasquier,
Médecin
cardiologue et ancien président du CRIF
Le
Huffington Post, 6 octobre 2014