Pour
Mediapart, l’Occident est coupable de tout;
Le fondateur de Médiapart, en opération de promotion
de son dernier opus Pour les musulmans, promène sa moustache et son
sourire crispé sur les plateaux de télévisions et dans les studios des
principales radios. Son message est simple : tout le mal qui advient
aujourd’hui dans ce bas monde est le résultat, en dernière instance, de
l’indignité de l’homme blanc dominateur, marqué pour l’éternité de la
flétrissure colonialiste, qui se transmet de génération en génération. Les
musulmans sont, de son point de vue, les victimes absolues de ce désordre
universel, en Irak, en Syrie, comme dans les banlieues de nos métropoles.
J’exagère ? Ceux qui ont regardé « Ce soir ou jamais », le soir
du 19 septembre, on pu le voir voler au secours de l’ex-otage en Syrie Pierre
Torres, qui avait écrit, dans une tribune publiée par Le Monde [1] : «
Mohammed Nemmouche est un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par
tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites
humiliations, stigmatisations et injustices. L’empilement sans fin de nouvelles
lois antiterroristes en est l’une des facettes. ». Interpellé à ce
sujet par Elisabeth Lévy, avant que Torrès ait pu bredouiller un semblant de
justification, Plenel s’exclame : « C’est le passage le plus fort
et le plus digne de ce texte ! ». Ce tortionnaire d’Alep, ce
tueur de juifs de Bruxelles est donc « notre monstre », à qui il est
même dénié d’avoir plus d’autonomie de pensée et d’action que celle octroyée par
Mary Shelley à la créature du docteur Frankenstein.
Le jeudi suivant, c’est le jour d’Edwy aux
« Matins » de France Culture, où l’excellent Marc Voinchet lui offre
un créneau hebdomadaire pour administrer aux auditeurs une dose concentrée de
ses délires idéologiques. Ce jeudi là, le 25 septembre 2014, la France est sous
le choc de l’assassinat, par égorgement, du guide de haute montagne
Hervé Gourdel [2] par les émules algériens de Daech.
Comment allait-il s’en sortir ? Difficile, dans ce cas là, de mettre la
barbarie des assassins sur le compte des misères subies par des jeunes victimes
de harcèlement policier, de contrôles au faciès à répétition, de déréliction
sociale dans des cités-ghettos. Lorsque l’actualité vous envoie un uppercut, il
convient, en bonne logique plenelienne, de botter en touche dans le champ de
l’Histoire : « C’est reparti comme en 14 !» claironne
Edwy. Le scandale du jour, pour lui, ce n’est pas l’assassinat de sang froid,
dans des conditions horribles d’un guide de montagne accompagnant des
alpinistes algériens dans le massif du Djurdjura, mais l’union nationale,
sincère et spontanée, qui s’est révélée pour condamner ce crime, et le soutien
quasi-unanime de la classe politique française à la riposte militaire aux
égorgeurs de Daech. L’émotion légitime qui nous étreint relève, selon lui d’un
« bourrage de crâne » à l’image de celui, dénoncé jadis par les fondateurs
du Canard Enchaîné, en 1915, en pleine guerre de 14… À propos de
bourrage de crâne, Plenel passe bien évidemment sous silence celui subi par ces
jeunes déboussolés qui vont chercher dans le djihad un sens à leur mort. Nous
sommes « historiquement » forcément coupable de tout, y compris de la
guerre de religion qui oppose les sunnites au chiites dans un affrontement
sauvage qui dure depuis près de trente ans au Moyen-Orient. Plenel, et ses amis
de Mediapart condamnent toutes les opérations conduites pour limiter
l’expansion de cette idéologie mortifère, au Mali, comme en Irak. Ce n’est pas
la conduite stratégique et tactique de ces interventions qui sont critiquées –
ce qui est parfaitement légitime – mais leur principe même. Quoi que nous
fassions, c’est le mal, renversement de la vision binaire et manichéenne des
Ronald Reagan et George W. Bush…
Plenel veut de l’Histoire ? On va lui en donner.
Plongeons-nous, par exemple dans le passé du trotskisme, dont il persiste à se
réclamer, dans sa version « culturelle », sinon organisationnelle.
L’estampille stalinienne de l’expression « hitléro-trotskiste » ne doit
pas nous empêcher, comme l’ont fait tous les historiens sérieux, de revisiter
le passé de cette mouvance pendant la Seconde guerre mondiale. Dès 1938, le ton
est donné par le patron, Léon Trotsky, dans son article « La lutte
anti-impérialiste » : « Il règne aujourd’hui au Brésil un
régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine.
Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire
avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe
ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du
Brésil “fasciste” contre l’Angleterre “démocratique”. Pourquoi ? Parce
que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de
fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de
Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au
contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la
conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de
la dictature de Vargas ». Après l’assassinat de Trotsky, ses émules de
la IVème internationale mettront cette ligne en application, en substituant
l’Allemagne hitlérienne au Brésil. Les trotskistes français, dans leur grande
majorité1 [3], et jusqu’à la Libération
pratiqueront l’entrisme dans les partis collaborationnistes, notamment le Rassemblement
national populaire de Marcel Déat, et prôneront le « défaitisme
révolutionnaire » face à l’Allemagne nazie. Voici ce qu’on pouvait lire
dans La Vérité, organe du mouvement trotskyste, le 22 août 1944, alors
que la bataille pour vaincre Hitler faisait rage. Sous le titre «
Pourquoi nous n’avons pas adhéré à la Résistance », on peut lire cette
adresse à la classe ouvrière française : « Nous savons que ce
programme n’est pas le vôtre. Vous croyez devoir maintenir votre Union Sacrée
avec les partis de la bourgeoisie, et prendre à votre compte leurs buts de
guerre. Nous croyons qu’une telle politique creuse le fossé entre les ouvriers
français et allemands, qu’elle a, entre autres résultats celui de souder les
ouvriers allemands autour de leur propre bourgeoisie, de prolonger par là
l’existence de Hitler, de paralyser la révolution en Allemagne et en
Europe ».
Les temps ont changé, mais l’esprit reste le
même : l’ennemi, ce n’est pas le fasciste, aujourd’hui le djihadisme
massacreur et égorgeur, mais ceux qui s’unissent pour le combattre.
Luc Rosensweig,
Causeur, 25 septembre 2014
- Une poignée de militants trotskistes, dont le plus connu est David Rousset, rompirent avec cette ligne aberrante, participèrent à la Résistance, notamment dans le travail militant en direction des soldats allemands. Certains d’entre eux furent fusillés et déportés. Mais, comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité de l’espèce… ↩ [4]