Florence Taubmann
Actuellement, des chrétiens sont persécutés dans de nombreux pays, les Coptes d'Egypte subissent des discriminations, et le massacre perpétré à Bagdad, le 31 octobre, a terriblement frappé les esprits.
Au-delà de l'horreur et de l'indignation, l'analyse des discours des meurtriers permet de comprendre leur logique. Dans des pays non chrétiens, et surtout quand ces pays sont fécondés par l'islamisme radical, les minorités chrétiennes sont présentées comme complices d'un Occident honni, représentantes des "Croisés". C'est acte pieux que de les combattre, les pousser à l'émigration et les tuer quand cela ne va pas assez vite. Et la conversion de musulmans au christianisme est passible des pires châtiments, y compris la mort comme cela se passe en Iran.
On rêve du jour où la liberté de religion et de conscience, de croire ou de ne pas croire, sera la règle dans tous les pays. Mais heureusement, les chrétiens ne sont pas seuls. Après la tragédie de Bagdad, des pétitions ont circulé, émanant de non-croyants, de juifs et aussi de musulmans scandalisés par l'utilisation haineuse et violente faite du Dieu de l'islam.
Derrière les causes politiques et religieuses de ces persécutions, on peut avancer une raison théologique et anthropologique : le christianisme, issu du judaïsme, a fait naître le personnalisme, en affirmant la valeur unique de chaque être humain aux yeux de Dieu. Les conséquences de ce personnalisme ont mis des siècles à s'imposer, à travers les aléas et les combats de l'histoire, souvent menés contre l'Eglise catholique elle-même.
Et les acquis restent fragiles : il s'agit de la liberté de conscience, de l'égalité entre l'homme et la femme, de l'abolition de l'esclavage, du soin dû à tout individu et, de manière ultime, de l'abolition de la peine de mort. Dans les pays de culture chrétienne, le personnalisme s'est laïcisé, ainsi que l'idéal chrétien de fraternité et d'amour entre les hommes. Ils ne sont pas pleinement réalisés. Mais les citoyens de ces pays ont le droit et le devoir de pratiquer la critique à l'égard de leurs gouvernements en même temps que leur propre examen de conscience.
Pour ce qui est des chrétiens vivant en minoritaires dans des pays non chrétiens, on peut supposer que leur seule existence de croyants attachés au Christ est ressentie comme la manifestation d'une liberté de coeur et de conscience insupportable à des fanatiques d'une autre religion.
Il ne faudrait pas que les fanatismes actuels nous fassent céder ni au rejet du religieux et de ses expressions publiques ni à l'attrait pervers d'une guerre de religion qui renforcerait l'islamisme radical. Plus que jamais, le dialogue, qui existe déjà, notamment entre les trois monothéismes, doit se poursuivre.
Au-delà de la tolérance indispensable, l'heure est venue d'un enseignement de la connaissance et de la reconnaissance de l'autre et des autres. Dans une société pluraliste, il est nécessaire d'affirmer que chaque famille de foi ou de pensée a une vocation originale à assumer pour construire un monde plus juste et plus fraternel. Et si l'on considère l'histoire et l'imbrication des trois monothéismes, de leurs Livres et de leurs traditions, il apparaît que chacun est irremplaçable, non seulement pour lui-même mais pour les deux autres.
Le judaïsme a donné au monde la connaissance d'un Dieu unique, inséparable de l'exigence de justice et de compassion, et impliqué dans l'histoire humaine à travers l'Alliance. Le christianisme, né du judaïsme, en confessant l'incarnation de Dieu en Jésus-Christ, a étendu l'Alliance à la Terre entière, mais il a également mis en lumière la présence de l'amour de Dieu en chaque personne humaine, y compris la plus misérable.
Et l'islam ? Sans doute l'islam est-il moins bien connu, et la version islamiste actuelle en donne une image détestable et fausse. Le Dieu de l'islam n'est-il pas le Miséricordieux ? Et la religion musulmane n'a-t-elle pas vocation à symboliser une hospitalité universelle, au nom de Dieu, dans le respect de l'altérité et des différences ?
Florence Taubmann,
Pasteure, présidente de l'Amitié judéo-chrétienne de France
Le Monde, 25 décembre 2010