Alors que les foules continuent de défier tous les couvre-feux ; alors que les dizaines de tués ont dressé, en quelques jours seulement, un mur de haine et de sang entre le pouvoir et - semble-t-il - une large majorité de la population ; et alors que, malgré la dissolution du gouvernement et la nomination d'un vice-président - le chef des services secrets Omar Souleiman, déjà de facto le numéro deux du régime -, il semble bien que nous vivions un nouveau bouleversement dans le monde arabe, après la chute de Ben Ali ; il me parait indispensable de dire à chaud ce que j'en pense, avant, bien sûr, de revenir sur tout cela dans une prochaine émission de ma série !
Dans le "Haaretz" - lire en lien -, Avi Issacharoff, un des observateurs les plus fins du journal pour la scène palestinienne et des pays voisins, note les similitudes entre les deux révolutions, tunisienne et égyptienne : "Une dictature, un même dirigeant pendant plus de trente ans, un système gouvernemental corrompu, une économie brisée, des millions de personnes vivant dans une pauvreté humiliante, et voici que toute une génération demande le changement : jeune, éduquée, non affiliée à l'idéologie des Frères Musulmans mais plutôt à la culture occidentale ...".
Comment ne pas sympathiser, dès alors, avec cette nouvelle révolution ? Comme ne pas espérer, pour l’Égypte aussi, l'avènement d'une démocratie ? Mais comment, aussi, ne pas éprouver aussi une inquiétude légitime, en songeant au contexte à la fois de politique interne et de géopolitique régionale ?
1. La Paix avec Israël risque d'être remise en question par les successeurs de Moubarak, ne serait-ce que pour satisfaire les "Frères Musulmans" qui, s'ils ne tirent pas directement les ficelles du soulèvement, seront sûrement tentés de prendre le train en marche si la révolution réussit - lire sur "Le Figaro" ce rappel des relations ambigües du régime avec les Islamistes, dont le "retrait" politique a été acheté, depuis au moins quinze ans, par une main mise de plus en plus lourde sur la société civile. On risque d'avoir, non pas une guerre franche et immédiate, mais par exemple un gel total des relations, avec des gestes dangereux vis à vis des "Frères" de Gaza, en permettant par exemple ouvertement l'afflux d'armes : et il n'est pas anodin que Rafah, à la frontière du "Califat" du Hamas, ait été le théâtre d'affrontements violents avec la police !
2. Alors que les manifestants ne semblent pas mettre en première ligne les relations avec Israël, il ne faut pas oublier que la Paix, vieille déjà de 31 ans, a été le fait de deux militaires, Anouar el-Sadate, puis Hosni Moubarak après l'assassinat du premier : elle s'est faite contre la gauche nassérienne et la mouvance "nationaliste arabe" au pouvoir pendant les années 50 et 60. Cette opposition, ceux qui soutiennent Mohamed El-Baradei évoqué hier, et bien entendu les Frères Musulmans, tous se retrouvent dans la haine d'Israël et des États-Unis.
3. Enfin, si on fait le panorama de l'ensemble du monde arabe, force est de constater que si la liberté y est presque partout absente - les États étant dominés soit par des monarques, soit par des présidents à vie ou des islamistes -, on observe étrangement que c'est dans deux pays pro-occidentaux que la révolution vient de se produire : la Tunisie et l'Egypte. Sans donner dans les théories du complot ou dans la paranoïa, on observe que pour le moment les populations sont tenues d'une main de fer par les régimes algérien, lybien, syrien ... Si on refuse d'y voir une main extérieure, force est alors de penser que les populations sont encore mieux encagées dans ces pays-là - et cela, sans parler de la République Islamique d'Iran, qui se réjouit ouvertement de la chute probable de Moubarak !
J.C