Si je n'habitais pas dans ce pays depuis plus de quarante ans. Si je ne connaissais pas M. Le Pen, si le racisme, la xénophobie, l'exclusion et le national-populisme ne m'horripilaient pas au même titre que l'intégrisme islamiste - car aussi dangereux pour les libertés, la démocratie et la bonne entente entre les peuples -, si je ne considérais pas la Shoah comme une des pires tragédies de l'histoire moderne, si la lutte sans concession que je mène depuis trente ans ne combattait pas toutes les dérives d'où qu'elles viennent, je vous aurais dit que l'incroyable performance de Marine Le Pen lors de l'émission "A vous de juger" m'a littéralement époustouflée. Son aplomb et sa dextérité m'ont attristée avant de m'inquiéter.
Fallait-il attendre la performance de Marine Le Pen pour que les politiques se réveillent ? "La laï.cité revient au centre du débat politique", titre Le Monde du 15 décembre et, depuis, les émissions qui s'annoncent à la queue leu leu à la radio...
L'islamisme triomphant ne doit-il pas une part de sa "superbe" aux erreurs d'appréciation des politiques occidentaux, dont les responsables français, de droite comme de gauche, sans même parler de l'alliance contre nature de l'extrême gauche avec l'islamisme ?
Ce que Mme Le Pen dit sur le recul de la laïcité, les compromis des politiques bradant la laïcité, etc., notre association, MoHa (Mohsen Hachtroudi), le dénonce, avec tant d'autres, depuis des lustres. Des voix, qui, pendant toutes ces années, n'ont pas trouvé tribune, ou si peu, quand de nombreux médias laissaient le champ libre aux Tariq Ramadan et consorts.
Les Lettres d'informations de MoHa (février 2000) l'attestent et nous en sommes fiers... Exemple, cet extrait d'un livre scolaire iranien Vision islamique : "La femme ayant contracté un mariage permanent ne doit pas sortir du domicile conjugal sans la permission de son mari. Elle est tenue au devoir de soumission pour tout ce qui relève des questions conjugales. Si elle obtempère aux ordres de son époux, il incombe à celui-ci de lui fournir nourriture, vêtement, logement. (...) La différence entre le mariage permanent et le mariage temporaire : le premier pour fonder une famille. Le second pour empêcher la débauche. (...) La femme doit cacher son corps et ses cheveux au regard des hommes étrangers à sa famille. (...) Mais afin de miner la famille, le colonialisme occidental a pris pour cible, dans tous les pays islamiques, les femmes. Les gouvernements à sa solde font des promesses mensongères aux femmes. (...) Ces gouvernements donnent les femmes en pâture aux hasards de la rue, les privent de l'abri protecteur du hedjab pour les pousser au dévergondage et à la nudité ! (...)"
Le résultat de ces délires ubuesques pour mes compatriotes en Iran ? Flagellations, lapidations, embastillements, suicides en nombre (autre sujet sur lequel il y aurait beaucoup à dire), mais aussi maltraitance dont coups, blessures et viols à l'encontre de mes compatriotes françaises. Des petites musulmanes d'origine étrangère, comme moi, mais sans défense, et livrées en effet en pâture aux petits caïds de zones interdites de banlieues parisiennes !
Dire que des musulmans laïques - comme moi - n'ont pas cessé d'insister sur les vertus de la laïcité et le danger de ce que l'on appelle communément "l'islamophobie", terme que je récuse tant il est connoté et galvaudé. Durant les vingt dernières années, je n'ai eu de cesse de répéter que l'islamisme infesterait l'Occident qui ne défend plus ses valeurs fondatrices, à savoir l'humanisme, la laïcité et donc l'universalité des droits de l'homme.
Or, en vertu de ces principes, la France laïque et démocratique n'avait pas à déployer le tapis rouge sous les pieds des dirigeants de la théocratie des mollahs iraniens. Encore moins à se plier aux désirs de ses invités qui eurent le culot d'exiger qu'il n'y ait "pas de vin à table !". Devons-nous rappeler que toute femme - y compris les politiques, toutes confessions confondues - se doit de porter foulard ou voile avant de mettre un pied sur le sol iranien ?
Je vous écris, Mesdames et Messieurs les représentants socialistes, car l'inquiétude de l'exilée-naturalisée que je suis (et qui jusqu'à aujourd'hui a voté pour vous), partagée par d'autres, sans doute nombreux, porte non seulement sur mon pays d'origine, l'Iran, mais aussi sur mon pays d'adoption, la France. "Ma douce France" qui n'a plus rien de très douce. La preuve : les attaques verbales d'une violence inouïe à l'encontre de l'écrivain Mohamed Sifaoui lors d'un Salon du livre dans le sud de la France. Un, barbu, lui reprochait de salir l'islam et les musulmans ; un autre lui en voulait d'être maghrébin, "car sa fille a été attaquée dans le métro par des Maghrébins, une calamité" !
Ceci explique-t-il cela ? A savoir l'enthousiasme de nombreux jeunes compatriotes franco-iraniens et amis français d'origine étrangère qui sont littéralement "charmés" par Mme Le Pen, "cette femme courageuse qui ose dire les choses telles qu'elles sont, qui n'a rien à voir avec son père... !, qui n'utilise pas la langue de bois comme les socialistes, qui ne donne pas de gages aux salafistes comme le président Sarkozy. Bref, une femme brillante et tout à fait respectable...", me fait sourire jaune !
Ces "Français d'origine étrangère, anti-islamistes et non pas antimusulmans", au verbe naïf voire impulsif, ne sont qu'une minorité. Mais que dire de l'autosatisfaction d'amis français qui, quant à eux, pensent de plus en plus tout haut ce que Marine Le Pen articule avec une parfaite maîtrise de la rhétorique face à une ex-garde des sceaux qui perd ses moyens en bafouillant pour répéter que l'adversaire n'a "que de la haine" ! Mes amis, que je ne peux soupçonner de sympathie pro-Front national, me disent, hélas, la même chose que Mme Le Pen à Mme Dati : "Mais chère Fariba, si toutes les musulmanes étaient comme toi" !
En résumant le souhait de ces Français, terrorisés par l'islam et non par les islamistes, on pourrait conclure que "si tous les musulmans étaient agnostiques voire athées, le monde serait merveilleux" !
Etrange conception de la laïcité ! En effet, la particularité de la laïcité française, qui n'a rien d'antireligieux, stipule le respect de toutes croyances au même titre que la non-croyance ou l'athéisme. Or, depuis des années, je ne vois en France qu'une tendance fâcheuse voire dangereuse à privilégier la polémique pour la polémique, au détriment de la réflexion et de l'analyse, les seuls moyens qui permettraient d'informer de façon responsable, d'éduquer dans le souci du respect de l'autre et dans l'espoir d'éviter le pire.
Pour expliquer l'islamisme, qui considère la charia comme seule source de légitimité pour les musulmans, il faut que les authentiques musulmans laïques - croyants et non-croyants - aient accès aux tribunes, eux qui, pour avoir combattu l'islamisme dans leur pays d'origine, ont d'autant plus de légitimité pour défendre l'islam contre l'islamisme. Un islam qui sera réformé ou ne sera pas.
Aux musulmans de France, dans leur diversité, de mener ce combat. Ces musulmans existent. Ils sont nombreux. Ils sont actifs. Mais absolument pas soutenus. Je peux, comme tant d'autres, en témoigner, si l'on nous en donnait l'occasion. Pourquoi sommes-nous les oubliées de la République et des médias ? Frilosité des uns ? Calculs électoralistes des autres ? Intérêts économiques en jeux ? Audimat favorable aux "musulmanes emburqanées", bien plus "sexy" que leurs "soeurs" laïques maquillées pour le plateau ? Allez savoir.
En ce qui me concerne, je rêve du jour où la France exportera sa laïcité au lieu de laisser les fondamentalistes importer leur salafisme, leur khomeynisme, leur évangélisme outre-Atlantique.
Je rêve ? Certes. Mais je préfère les rêves aux cauchemars. Car il m'arrive souvent de me demander : "Où me réfugierai-je si la France bascule à son tour dans le national-populisme ?"
Je retournerai probablement en Iran où, au prix de la vie, on lutte contre la théocratie pour accéder à la laïcité. Lors de mes derniers voyages, au risque de ne plus pouvoir sortir, j'ai pu mesurer avec bonheur le réveil salutaire des Iraniens. Je m'afflige aujourd'hui du long sommeil d'une partie des Français, et notamment de ses représentants progressistes.
Fariba Hachtroudi,
écrivaine franco-iranienne
"Le Monde",
Article paru dans l'édition du 23.12.10