Blocage médiatique
Certains périodiques, notamment les journaux, dits « indépendants », en ont parlé mais légèrement, QUATRE jours après la parution d’un communiqué du gouvernement, sans décortiquer davantage les détails. Même si les violences ont augmenté d’une façon inédite - entre les manifestants de Sidi Bouzid et des villes voisines et la police -, d’autres médias, eux, ont continué d’omettre les faits.
Il faut avouer tout de même que les médias regorgent indéniablement de compétences et de journalistes talentueux. Or, les instructions, que petits et grands entendent partout ont tué l’esprit journalistique, proprement dit critique, et ont déformé par conséquent le paysage médiatique, et ce, après avoir opéré un blocage médiatique total.
Dans un climat d’une obscurité claire, où la liberté de presse a été noircie, "le Renouveau" (je respecte toutefois MM. Bouziane et BenAchour et Mme Souissi), et "Al-Horiya", journaux du parti du "Rassemblement Constitutionnel Démocratique" (RCD), "la Presse" et "Assahafa", journaux gouvernementaux, n’ont évoqué aucune information à propos de ce qui se passait à Sidi Bouzid, bien que des témoins et des syndicalistes aient affirmé sur Al-Jazeera.net que les violences continuaient. Ces périodiques ont consacré leurs « Une » à la «valorisation » des décisions du président déchu, à des éloges exagérés, et à la création de nouveaux projets au Kef (nord-ouest du pays) qui regorge de chômeurs.
Dans ce contexte, les journaux de l’opposition ont été retirés des différents kiosques parce qu’ils ont déclaré des vérités sur les événements de Sidi Bouzid, ce qui a exaspéré l’opinion.
Aussi, Naji Baghouri, ex- Président du syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a critiqué le "camouflage" que connait le paysage médiatique dans le pays et déclaré sur Al-Jazeera.net que "le lecteur tunisien n’a confiance ni en certains médias ni en leur langue de bois".
"Assabah" a, par contre, publié, suite à l’évènement, une enquête sur Sidi Bouzid, intitulée "représentants de la société civile et partis analysent la crise". Toutefois, le périodique n’a pas fait état des manifestations et des violences qui ont eu lieu à Sidi Bouzid et dans les villes voisines. Son enquête a compris également des critiques de Raouf Naciri, "RCDiste" bien entendu, président de la filiale de la Ligue des droits de l’Homme à Sidi Bouzid, sur les partis radicaux, les accusant d’exploiter les faits de Sidi Bouzid, pour des fins politiques. Dans le même article, Touhami Hani, secrétaire général de l’Union régionale de travail, a annoncé la libération de toutes les personnes arrêtées dans toutes les régions. Or, les membres de la Commission du soutien des habitants de Sidi Bouzid ont affirmé, sur Al-Jazeera.net, que c’était tout à fait le contraire.
Le quotidien Assarih a publié, quant à lui, un article intitulé : "Sidi Bouzid ... des témoins se confient à Assarih" et où il a incité responsables et administratifs à écouter le citoyen tout en suivant les instructions de l’ex-président.
Ach-chourouk a publié, de sa part, un dossier sur Sidi Bouzid, et c’est le seul quotidien qui a mis l’accent sur les faits de Menzel Bouziane, El Meknessi et Rek’ab mais avec concision. Nombre de syndicalistes et d’hommes politiques, ont souligné, dans ce quotidien, que les problèmes de développement tels que la marginalisation et le chômage étaient la raison majeure de ce qui s’est passé à Sidi Bouzid, ajoutant que les décisions présidentielles, notamment la création de nouveaux projets dans la région, constituaient "le meilleur remède" pour ladite crise.
Cependant, les journaux des partis d’opposition radicale, ont considéré les décisions du gouvernement comme des fausses solutions ayant pour fin de passer sous silence les faits de Sidi Bouzid.
Rachid Khachana, chef de rédaction de l’hebdomadaire "Al-Maouk’if" , journal du parti démocrate progressiste, a souligné, sur Al-Jazeera.net, que le numéro 572, paru le 24 décembre dernier, a été retiré des kiosques, ce fut le cas pour "Attariq Al Jadid", ce qui a poussé TV 7, aujourd’hui rebaptisée la télévision tunisienne nationale, à déclencher une guerre médiatique, attaquant des chaines satellitaires, notamment Al-Jazeera.
Quant à l’Agence Tunis Afrique Presse (TAP), source officielle d’informations dans le pays à l’instar des agences de presse des autres pays du monde, dite privée pour seulement 3% d’actions, elle s’est contentée de publier sur son site le 28 décembre 2010 - après le déclenchement des faits -, le premier discours du Président, suite aux évènements de Sidi Bouzid, dans lequel, il a critiqué les chaines satellitaires "ennemies" qui diffusent "des mensonges" et des "fausses évidences", alors qu’il n’a fait en réalité que pousser, inconsciemment, les gens à suivre les émissions sur ces chaines, notamment Al-Jazeera. Il a ajouté, lors de son discours aux effets soporifiques construit autour de ces "ennemis de l’intérieur et de l’extérieur", qui "jalousent les acquis et la stabilité de la Tunisie", qu’il comprend la situation des chômeurs, affirmant qu’il n’y a pas une crise de chômage en Tunisie et que tous les pays du monde connaissent le problème du chômage. Pourquoi dire qu’il n’y a pas de crise de chômage, alors que plus de 250 000 de diplômés en chômage ne peuvent pas exprimer leur droits? Pourquoi prendre le peuple pour un jeu ? Mais heureusement, tel est pris qui croyait prendre.
A noter que le Président déchu, qui fut également Président du parti dominant, soit le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), a souvent opéré des changements que ce soit au niveau des P.D.G OU au niveau ministériel. Pire encore, il distribue les rôles à tort et à travers. Pour lui les "ersatz", avec le respect de certains responsables, ne manquent pas… on entendait parler de Samir Laabidi, ex-ministre de la jeunesse et des sports, qui devint inexorablement voire inexplicablement ministre de la communication, on entendait aussi parler de la nomination de Chaouki Aloui, ex PDG de la radio tunisienne, PDG de l’Établissement de la télévision tunisienne, et les exemples sont multiples…
Aujourd’hui les évènements de Sidi Bouzid et la fronde populaire qu’ils ont provoqué, leur médiatisation par les relais inégalés comme Facebook et des chaines satellitaires comme Al Jazeera, sont autant d’indicateurs patents qui montrent que même si des changements sont opérés, le discours officiel, qualifié de "classique" et ressassé par les médias et les hommes du pouvoir, n’est plus audible…
Chaimae Bouazzaoui
Tunis