La Syrie n'en finit pas de compter ses morts et ses disparus. La répression implacable, effrayante, y compris à l'arme lourde, contre des manifestants pacifiques est insupportable. Des fosses communes auraient été découvertes et des réfugiés arrivent maintenant au Liban, fuyant le déchainement des violences du régime baasiste. La mollesse des réactions internationales face à ces événements est inacceptable.
La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant le régime syrien a été bloquée par les gouvernements russe et chinois. Pourtant les meurtres, les enlèvements, les bombardements des civils, lorsqu'ils relèvent d'une politique concertée – et il n'y a pas le moindre doute là-dessus – peuvent constituer des crimes contre l'humanité. Il y a là matière pour que le Conseil de sécurité décide d'une saisine de la Cour pénale internationale.
Seul le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a protesté contre la répression organisée par le président syrien Bachar Al-Assad. Pour autant, contrairement à la Libye, la Syrie n'a pas été exclue de cette instance. Elle doit l'être sans tarder. Hillary Clinton qui avait salué, il y a peu de temps, en Bachar Al-Assad "un réformateur", le président Sarkozy qui l'avait invité le 14 juillet, doivent mettre cette question à l'ordre du jour, de toute urgence. Ils sont passibles d'un jugement sévère de l'opinion internationale et de l'histoire quant à leur complaisance avec le bourreau de son peuple.
Les Etats-Unis et la Communauté européenne ont décidé le gel des avoirs d'un certain nombre de dignitaires du régime syrien. Etonnamment, le président Al-Assad n'est pas concerné, pas plus que ceux qui mènent la répression, tels ses ministres de la défense et de l'intérieur. Pourquoi épargner les plus hauts responsables de la barbarie en Syrie ?
Un cauchemar
Comment continuer à entretenir des relations diplomatiques normales avec un régime qui martyrise sa population ? Les Etats démocratiques doivent, au moins, convoquer les ambassadeurs de Syrie pour exiger l'arrêt des violences, et mettre en œuvre des sanctions sérieuses. Les déclarations de l'ambassadeur de France en Syrie, en avril, reprenant la propagande du parti Baas, minimisant la répression et n'excluant pas "que des mains étrangères soient derrière les manifestations", sont inadmissibles. Elles vont encore plus loin que l'ex-ministre des affaires étrangères pendant le soulèvement tunisien.
Dans les villes assiégées ou investies par les tanks et les troupes, les populations civiles vivent un cauchemar : le gaz et l'électricité sont coupés, parfois l'eau aussi. Les vivres et les médicaments manquent. Les soldats et les miliciens frappent, tuent et terrorisent les populations. Fort justement, la Croix-Rouge internationale exige l'accès sans condition d'une aide humanitaire à Deraa. Les grandes organisations humanitaires doivent amplifier cette demande pour toutes les villes concernées par la répression : Homs, Banyas…
Outre les bombardements et les meurtres de manifestants, il y a de très nombreuses "disparitions" qui suscitent les plus vives inquiétudes. Des centaines de militants des droits de l'homme et d'hommes politiques ont été arrêtés. Les Etats démocratiques doivent soutenir fermement les avocats, les ONG de droits de l'homme qui réclament de rencontrer ces personnes afin de les sauver de la torture ou de la mort.
Il faut saluer le courage et l'héroïsme des manifestants qui exigent la liberté et la fin d'un demi-siècle de dictature des Assad sur le pays. Mais le courage et l'héroïsme ne suffisent pas face à la violence sauvage d'un régime féroce et sans scrupules. Des initiatives ont été prises par la société civile tel que l'appel des cinéastes syriens. Il est grand temps que leurs homologues du monde entier les soutiennent. Et pas seulement les cinéastes. Il y a urgence !
Fethi Benslama, professeur à l'université Paris-Diderot,
et Jacky Mamou, ancien président de Médecins du monde
Le Monde
19 mai 2011