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18 mai 2011

« Ah ! les cons » (sur un Munich palestinien), par Bernard Henri Lévy



Mais comment peut-on être aussi « con » ?

Et comment tant de commentateurs, comment telle éminence de telle commission parlementaire, tels ministres ou anciens ministres, comment le Parti socialiste, bref, comment tant d’esprits raisonnables peuvent-ils accueillir comme une bonne nouvelle, un bon signe, comme la réunion trop longtemps différée d’un peuple trop longtemps divisé, cette réconciliation Fatah/Hamas qui est, en réalité, une catastrophe ?

C’est une catastrophe pour Israël qui voit remise en selle une organisation dont le mode d’expression diplomatique privilégié consiste, depuis son putsch de 2007, à tirer des missiles sur les civils de Sderot et qui, il y a tout juste un mois, faisait tirer sur un bus scolaire à l’arme antichar Kornet.

C’est une catastrophe pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui vient de ruiner en quelques instants, le temps d’un paraphe au bas d’un accord auquel lui-même ne croit peut-être pas, tout le crédit politique et moral qu’il avait pu accumuler en tenant bon, depuis des années, face à un Hamas classé « organisation terroriste » par tout ce que le monde compte, Union européenne et États-Unis en tête, de voix autorisées ; le voilà revenu, Mahmoud Abbas, au pire temps des pires doubles langages, quand Yasser Arafat, d’une main, déclarait « caduque » la charte de l’OLP et, de l’autre, en sous-main, encourageait les attaques terroristes diverses et variées.
C’est une catastrophe pour le peuple palestinien lui-même – mais peut-être nos grands réconciliateurs, ces amis du peuple palestinien qui savent mieux que les Palestiniens eux-mêmes ce qui est bon pour eux, n’en ont-ils cure ? –, c’est une catastrophe, oui, pour ce million et demi de Gazaouis qui vivent sous la loi d’un parti, non seulement terroriste, mais totalitaire, ennemi des femmes palestiniennes (ces « usines à hommes », selon l’article 17 d’une charte qu’il faudrait tout de même que l’on se décide enfin à lire…), tueur des libertés et des droits palestiniens (articles 24 et 27, entre autres) et qui a fait le choix de se battre jusqu’à la dernière goutte de sang du dernier Palestinien vivant plutôt que de se joindre à des « conférences internationales » qui ne sont que « perte de temps » et « activités futiles » (article 13 de la même charte).

C’est une catastrophe pour une paix dont il est faux de dire qu’elle était au point mort : une majorité d’Israéliens, tous les sondages l’attestent, y étaient et y sont prêts ; un nombre grandissant de Palestiniens n’en pouvait, et n’en peut, plus de servir de carburant à une très ancienne machine à haine et sont disposés à contrer, en échange d’un État viable, le jusqu’au-boutisme de leurs chefs ; et voici que tout cela tombe à l’eau avec la réhabilitation du seul parti qui, dans l’affaire, proclame (article 7, toujours, de sa charte) que « l’accomplissement de la promesse » ne viendra pas avant que « les musulmans » aient, non seulement « combattu », mais « tué » tous « les juifs ».

Et puis c’est une catastrophe, enfin, pour un printemps arabe dont il n’échappe à personne qu’il est, aussi, un champ de bataille idéologique où s’affrontent deux types de forces : d’un côté, le courant démocratique et libéral, adepte des droits de l’homme, tenant d’un islam modéré ; de l’autre, les vieux crabes de l’islamisme radical, les tyrannies d’hier et avant-hier – l’increvable mouvement des Frères musulmans créé en 1928, en Égypte, dans la foulée de l’hitlérisme naissant et dont le Hamas est, aujourd’hui, la branche palestinienne. Comment ne voit-on pas que, dans ces conditions, cet accord « historique » est une régression préhistorique ? Comment ne comprend-on pas que cette fraternisation à grand spectacle est une insulte à tout ce que les insurrections récentes ont pu apporter de neuf à un monde arabe tenu sous le joug – une insulte aux jeunes de la place Tahrir du Caire qui manifestèrent, pendant des semaines, sans qu’apparaisse l’ombre d’un slogan antioccidental, antiaméricain, anti-israélien ? une insulte aux insurgés de Benghazi qui se battent pour une Libye qui cessera d’être la deuxième patrie, qu’elle fut sous Kadhafi, pour tout ce que le monde compte de négationnistes, de tueurs de juifs, de terroristes ; un crachat à la face des centaines de Syriens massacrés, depuis mars, par le meilleur ami du Hamas ? une offense à Mohamed Bouazizi, le jeune Tunisien par qui tout a commencé et dont je ne sache pas qu’il se soit immolé « en solidarité avec les djihadistes de 1936 » (tiens, tiens, 1936… la même charte du Hamas, article 7 – suivez mon regard…).

Alors je sais bien que l’on nous dit : « attendez, vous verrez, laissez du temps au temps, c’est en remettant les fascistes dans le jeu, c’est en les considérant, en les flattant, qu’on parvient à les modérer et, à terme, à les bonifier ».

Oui. On verra bien. Sauf que la seule chose que l’on ait vue pour le moment, le premier geste fort qu’aient fait, au lendemain de cet accord honteux, les aspirants à la bonification, a été de condamner l’élimination de Ben Laden – ce « crime » (c’est le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, qui parle) dans le droit-fil d’une « politique d’oppression » fondée sur « l’effusion de sang » des anciens peuples colonisés. Tout est dit. Et il y a, non seulement dans ce dire, mais dans l’assourdissant silence qui, ici, lui fait écho, quelque chose d’affligeant.

Bernard-Henri Lévy
La Règle du Jeu, 9 mai 2011