En Turquie, Erdogan fait
emprisonner les journalistes qui ne lui plaisent pas. En France, les partisans
du chef de l'État turc font retirer les affiches des journaux qui ne leur
plaisent pas. C'est ce qui est arrivé au dernier numéro du Point. La scène a été filmée
au Pontet, en banlieue d'Avignon. Sur la vidéo abondamment partagée sur les
réseaux sociaux en France et en Turquie, on voit un groupe de jeunes hommes en
majorité turcs presser un employé de la société JC Decaux de retirer des
affiches du Point
d'un kiosque à journaux. En une de notre journal, une photo du président turc
et ce titre : « Le dictateur. Jusqu'où ira Erdogan ? Enquête sur
le président turc, sa folie des grandeurs, ses réseaux en France, son offensive
sur l'Algérie, ses crimes… » Le titre ne plaît manifestement pas aux
partisans du président turc du Pontet.
Le kiosquier, Sylvain Ali, raconte sa journée de
vendredi : « Le matin, je me suis fait interpeller par un passant qui
me demandait si je n'avais pas honte d'afficher ça sur mon kiosque. Puis
d'autres, majoritairement turcs, sont venus. Ça râlait au café d'en face. Il a
fallu que j'explique que nous, kiosquiers, n'avions ni écrit les articles ni
choisi d'afficher la une du Point sur le kiosque », explique le
commerçant gêné. « J'ai bien essayé de plaider la liberté de la presse,
mais ils n'ont rien voulu entendre. »
Menaces de mettre le feu
Les kiosquiers, qui n'ont pas la clé leur permettant
de retirer eux-mêmes les affiches, ont appelé le prestataire, craignant les
débordements. Au fur et à mesure de l'après-midi, les partisans d'Erdogan
s'attroupent autour du kiosque du Pontet et tentent par tous les moyens de
faire retirer les deux exemplaires de l'affiche. Ils contactent Le Point,
le commissariat, la mairie, la société JCDecaux puis la société Médiakiosk
avant de revenir sur place, un portrait du président turc sous le bras.
« Il y avait de plus en plus de monde, de la police et des jeunes qui
menaçaient de mettre le feu au kiosque. J'ai fini par appeler Médiakiosk pour
qu'ils viennent retirer l'affiche », raconte Julie, l'épouse du kiosquier.
Un employé est dépêché donc depuis Marseille pour
faire retirer l'affiche, encouragé comme le montre la vidéo par des partisans
d'Erdogan au cri de : « Vas-y, c'est comme ça qu'on enlève des
affiches, sois un homme ! » Puis les supporteurs du président turc
promettent de faire retirer toutes les affiches de la région. Un second cas de
destruction d'affiche par des sympathisants de l'AKP est recensé à Valence.
La campagne d'affichage du Point est maintenue
sur tout le territoire. Dès samedi, Le Point a demandé le
rétablissement des affiches dans les kiosques précités, ce qui fut fait dans
les deux heures. Le kiosque du Pontet est désormais placé sous la protection
des gendarmes.
Harcèlement, insultes, injures antisémites
Après une semaine de harcèlement, d'insultes,
d'intimidation, d'injures antisémites et de menaces à notre intention sur les
réseaux sociaux, voici venu le moment où les sympathisants de l'AKP s'attaquent
aux symboles de la liberté d'expression et de la pluralité de la presse. Ce
numéro du Point, consacré au président turc en pleine campagne
électorale, a fait ces derniers jours l'objet d'une intense campagne de
dénigrement dans les médias officiels turcs et de la part d'organisation
politiques franco-turques comme le Cojep (Conseil pour la justice, l'égalité et
la paix), une pseudo ONG servant de faux nez à l'AKP en France, prétendant
organiser « des activités sur la participation démocratique, la
citoyenneté » et qui a interpellé notre journal dans un communiqué :
« Le Mandela du XXIe siècle est Recep Tayyip Erdogan. […] Vous, les
tenants d'une idéologie occidentale hégémonique, qui le qualifiez de dictateur
[…], sachez que nombreux sont ceux, en France, en Europe et dans le reste du
monde, qui le considèrent comme le Nelson Mandela du XXIe siècle. »
Peut-être. Mais Nelson Mandela ne faisait pas enfermer ses opposants, ni des
juges, ni des journalistes. Il ne faisait pas non plus de nettoyage ethnique
chez ses voisins, comme Erdogan le fait en Syrie.
Le Point, 30 mai 2018