Dans une tribune au « Monde », un collectif
de personnalités françaises, dont Beate et Serge Klarsfeld, Pascal Bruckner et
Marek Halter, appelle le gouvernement israélien à surmonter l’obstacle des
relations avec la Turquie et à accomplir un geste qui relève d’une éthique des relations internationales.
Tribune.
En 1915-1916, un génocide
majeur fut perpétré en Anatolie par le gouvernement Jeune-Turc sur la
population arménienne de l’Empire ottoman. Un million et demi d’hommes, de
femmes et d’enfants furent exterminés par épuisement lors de marches de la mort
dans le désert, par assassinats multiples, viols systématiques ou inanition,
des milliers d’enfants étant capturés et convertis de force.
Rescapés, diplomates étrangers, soldats allemands et
même — on l’oublie trop souvent — juges turcs au début des années 1920, d’innombrables
personnes ont livré témoignage de ce crime de masse que les historiens
authentifièrent rapidement et dont s’inspirèrent les juristes internationaux
dans leurs travaux sur les crimes contre l’humanité.
Soutien ancien de l’opinion publique
israélienne
Nous, militants de la mémoire et du combat
anti négationniste, observons avec intérêt la forte progression du nombre de
députés au Parlement israélien favorables à la reconnaissance du génocide des
Arméniens ; trois (sur cent vingt) en 2000, trente en 2010, une
majorité sans doute à présent, y compris le président de la Knesset, l’ancien
refuznik [dissident soviétique] Yuli Edelstein.
Cette évolution positive, qui traduit un soutien
populaire déjà ancien de l’opinion publique israélienne, doit pousser l’exécutif
israélien à cesser de tergiverser et à en prendre acte par-delà les
considérations économiques ou diplomatiques ; dans les relations
internationales, un impératif moral au moins doit prévaloir : le rejet
catégorique des génocides et de leur négation.
Parce qu’il est le pays qui recueillit la majorité des
rescapés de la Shoah, parce qu’il a bâti et abrite le plus considérable
musée-mémorial dédié à un génocide, parce qu’il a reconnu le génocide des
Tutsis rwandais de 1994, nous demandons à l’Etat d’Israël de reconnaître officiellement
— aux côtés de nombreux autres Etats, eux aussi démocratiques — le génocide des
Arméniens.
Les signataires :
Benjamin Abtan, président de l’association
antiraciste EGAM ; Séverine Benayoun, avocate ; Pascal
Bruckner, philosophe ; Alain David, philosophe ; Frédéric
Encel, fondateur et animateur des Assises antinégationnistes ; Marek
Halter, écrivain ; Pierre Fraidenraich, journaliste ; Valérie
Hoffenberg, consultante ; Emmanuelle Hoffman, avocate ; Valérie
Igounet, historienne ; Marcel Kabanda, président
d’Ibuka-France ; Arno Klarsfeld, avocat ; Beate et Serge
Klarsfeld, dirigeants de l’Association des fils et filles de déportés juifs
de France ; Benjamin Orenstein, rescapé de la Shoah, président de
l’Amicale des déportés d’Auschwitz-Birkenau ; Richard Prasquier,
ancien président du CRIF ; Gérard Rabinovitch, directeur de
l’Institut européen Emmanuel-Levinas ; Rudy Reichstadt, fondateur
et directeur de Conspiracy Watch ; Anne-Marie Revcolevschi,
fondatrice du Projet Aladin et ancienne directrice générale de la Fondation
pour la mémoire de la Shoah ; Dominique Sopo, président de
SOS-Racisme ; Mario-Pierre Stasi, président de la Licra ; Antoine
Spire, journaliste ; Yves Ternon, historien ; Meïr
Waintrater, ancien directeur de L’Arche ; Régine Waintrater,
psychanalyste.
Le Monde, 4 juin 2018