L'opposition
pourrait "prendre le dessus" au Parlement
Depuis son émergence sur la scène politique turque, il
y a plus de 15 ans, le président Recep Tayyip Erdogan empile
les victoires électorales. Mais il fait face à une concurrence inédite pour le
scrutin anticipé du 24 juin.
Candidat du Parti républicain du peuple (CHP,
social-démocrate), Muharrem Ince est un habile orateur qui, de meeting en
meeting, rivalise avec M. Erdogan sur un terrain qu'il affectionne:
haranguer les foules et faire vibrer la fibre nationaliste.
Une autre candidate énergique porte les couleurs de
l'opposition, la cheffe du tout jeune Iyi Parti et ancienne ministre de
l'Intérieur Meral Aksener, même si c'est M. Ince qui semble avoir le vent en
poupe et apparaît comme le principal rival de M. Erdogan.
Les partis de l'opposition ont en outre noué une
alliance en vue du volet législatif du scrutin, pour tenter de se donner les
moyens de mettre fin à l'hégémonie de l'AKP au Parlement.
Un rival "qui se ne laisse pas
faire"
"L'opposition affiche pour la première fois un
certain degré de coordination et d'unité", souligne Asli Aydintasbas,
experte au Conseil européen des relations internationales, estimant que
l'opposition pourrait "prendre le dessus" au Parlement.
"Maintenant, Erdogan se trouve face à
quelqu'un (M. Ince) qui ne se laisse pas faire, un peu à son image, et les gens
l'écoutent", dit-elle.
Autre défi pour M. Erdogan: alors qu'il a
largement bâti sa popularité sur la prospérité économique enregistrée lors de
la décennie écoulée, le contexte est désormais plus difficile, avec une
dégringolade de la livre turque et une inflation galopante.
M. Erdogan et l'AKP pourraient en outre être
desservis par un certain malaise dans la société turque créé par la présence de
quelque 3,5 millions de réfugiés syriens dans le pays. "L'opposition en
tire profit", juge Paul T. Levin, directeur de l'Institut des études
turques à l'université de Stockholm.
Habitué à affronter des candidats dociles qu'il
battait aisément, M. Erdogan a affaire avec M. Ince à un rival
pugnace qui n'hésite pas à exhumer des sujets sensibles comme la coopération
passée entre l'AKP et le prédicateur Fethullah Gülen à qui Ankara impute le
putsch manqué en 2016.
Lutte acharnée
Il est même allé jusqu'à affirmer que
M. Erdogan lui-même avait rendu visite à M. Gülen dans son exil
américain pour obtenir sa bénédiction pour la création de l'AKP au début des
années 2000. M. Erdogan a rejeté cette allégation
"infondée" et porté plainte contre M. Ince.
Le candidat du CHP, un bastion de la Turquie laïque créé
par le fondateur de la république Mustafa Kemal Atatürk, n'hésite pas non plus
à chasser sur les terres d'autres partis en courtisant le vote kurde ou celui
des conservateurs religieux.
Après un début de campagne en demi-teinte,
M. Erdogan a mis les bouchées doubles ces derniers jours en
multipliant les meetings à travers le pays au cours desquels il étrille ses
rivaux et vante son bilan.
"Une Turquie forte a besoin d'un leader
fort", proclame un poster de campagne à son effigie.
Mais si ce "leader fort" devait l'emporter
le 24 juin, ou lors d'un éventuel second tour le 8 juillet, ce serait de haute
lutte.
Car il serait "imprudent" à ce stade de
pronostiquer le résultat d'un scrutin qui se présente comme "une lutte
acharnée", souligne Marc Pierini de Carnegie Europe.
"Pour la première fois depuis longtemps,
l'opposition a la chance d'offrir aux électeurs une option radicalement
différente", note-t-il.
I24 News / AFP
7 juin 2018