À chaque
nouvel épisode conflictuel, on pense qu’on a atteint le fond avec les Turcs et
pourtant ils innovent à chaque occasion pour signifier à Israël que d’alliés,
ils sont devenus des adversaires redoutables. On ignore les dessous de la
realpolitik israélienne mais l’on demande à comprendre ce qui pousse Israël à être
systématiquement le paillasson d’un dictateur, apprenti sultan, qui a été jadis
un fidèle ami des Occidentaux. Les insultes sont devenues les seuls éléments de
débat. Erdogan n’avait pas hésité à comparer Israël au régime nazi «l’accusant
d’avoir surpassé Hitler en matière de barbarie».
Depuis l’épopée du Mavi Marmara, le charme est
rompu. Erdogan ressemble de plus en plus à Iznogoud, l’ignoble vizir qui a une
idée fixe : «devenir calife à la place du calife !». Ce faux héros
possède tous les défauts cumulés d’un dictateur : cruel, égoïste, colérique et
hargneux. Il est prêt à tout pour se hisser au sommet de son pays d’abord, puis
à la tête du monde musulman sunnite ensuite. Pour atteindre son objectif, il
est prêt à user de la terreur contre son peuple, contre l’armée, contre les
journalistes, contre les hommes politiques et enfin contre ses citoyens kurdes.
Après avoir touché de substantielles et généreuses indemnités de la part des
Israéliens pour les victimes turques qui s’étaient aventurées au large de Gaza,
et après avoir senti une certaine faiblesse israélienne à son égard, il préfère
à présent user de la matraque.
On ne s’étonne pas de l’entendre annoncer son
soutien au Hamas puisque son parti est une émanation des Frères musulmans : «
même si le monde entier ferme leurs yeux, nous empêcherons le déchaînement de
la cruauté d’Israël. Nous continuerons à soutenir nos frères et nos sœurs
palestiniens non seulement par nos cœurs mais aussi par nos ressources. Nous ne
permettrons jamais à Israël de voler Jérusalem ». C’est une constante chez
lui de soutenir la violence et les systèmes dictatoriaux.
La dernière ignominie d’Erdogan est son annonce du
17 mai 2018 précisant que la Turquie avait acheté des matériels électroniques
pour les céder ensuite à l’Iran, en violation de la résolution 2231 du Conseil
de sécurité de l'ONU qui interdit « la vente de produits et de technologies
liés au développement nucléaire ». Or, des condensateurs électroniques ont
été revendus pour le programme nucléaire iranien. Une enquête a été ouverte
pour analyser le comportement de l’acheteur turc qui a violé les lois de l’ONU.
On s’étonne de la grande dose de naïveté de la part des industriels israéliens
dont le credo est de vendre à tout prix et de faire du chiffre d’affaires sur
le dos de la sécurité d’Israël.
L’attitude d’Erdogan ne justifie plus que l’Israël
vende son âme pour des questions d’équilibre de la balance commerciale d’autant
plus que les produits importés de Turquie n’ont aucune originalité et peuvent
se retrouver partout ailleurs en Europe. Malgré cela, les échanges entre les
deux pays ont doublé de 2009 à 2014 selon l’Institut turc des statistiques. De
2,3 milliards de dollars en 2009, ils se sont élevés à 4,9 milliards en 2014
mais ont baissé à 4,1 en 2015 et 3,9 milliards de dollars en 2016. Cette baisse
s'explique depuis qu’Israël ne fournit plus l’armée turque.
Israël importe du fer, de l’acier, des machines
électriques, des articles ménagers, des véhicules, des minéraux, du textile et
du béton. Israël exporte des produits chimiques, des plastiques, des produits en
caoutchouc et du matériel électronique sensible. Pour l’instant, il n’est pas
prévu de réduire les échanges, au contraire.
Une alerte sur les méthodes turques avait été
lancée par les Émirats arabes unis qui avaient révélé qu’ils avaient intercepté
une cargaison de contrebande de matériel électronique envoyée par la Turquie à
l'Iran en juillet 2017. Il s’agissait justement de condensateurs électroniques
de modèle CSP 180/300, fabriqués par une société de Jérusalem.
L’humiliation imposée à l’ambassadeur israélien,
obligé de passer à la fouille à l’aéroport d’Istanbul et contraint de se
déchausser face aux caméras invitées à cet effet, est une preuve du désarroi
d’Erdogan pour cibler Israël et pour trouver un angle d’attaque politique
efficace. Ce sont des méthodes infantiles indignes d’un gouvernement de
l’Otan.
Mais Israël évite depuis longtemps les représailles
contre la Turquie. Contrairement à de nombreux pays occidentaux, Israël refuse
de reconnaître le génocide arménien de 1915 perpétré par les Turcs
car ils veulent ménager Erdogan et les relations bilatérales. Arrivé au point
de non-retour, les Israéliens doivent décider si les Turcs sont des alliés ou
leurs pires ennemis.
Jacques
Benillouche,
Temps et
Contretemps, 18 mai 2018