Le Parlement européen a rejeté mercredi une motion
demandant le retrait de cette liste de la Tunisie. Le directeur de la banque
centrale va être démis pour sanctionner ce raté.
C’est un camouflet diplomatique pour
la Tunisie. Le Parlement européen a validé, mercredi 7 février, la
présence de la Tunisie sur la « liste noire » des pays « susceptibles
d’être fortement exposés au blanchiment d’argent et au financement du
terrorisme ». Le ministère tunisien des affaires étrangères a aussitôt
déploré une « décision injuste, hâtive et unilatérale ».
Cette mise à l’index survient deux mois après
l’inclusion de la Tunisie dans une autre liste noire, celle des paradis
fiscaux, établie par les ministres européens des finances. Le dommage infligé à
l’image de la Tunisie avait toutefois été ensuite réparé. Le 23 janvier,
l’UE retirait le petit pays d’Afrique du Nord de cette liste de mauvais élèves
en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Entre-temps, la machine
diplomatique tunisienne, initialement peu réactive, s’était remobilisée en
s’engageant à entreprendre les réformes fiscales requises, notamment dans le
secteur des entreprises exportatrices offshore.
Le coup à peine encaissé, le vote du Parlement de
Strasbourg adresse une nouvelle semonce à la Tunisie, cette fois sur la lutte
contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Une motion
déposée par des députés visant à retirer la Tunisie, le Sri Lanka et
Trinité-et-Tobago de la liste noire établie par la Commission n’a pas recueilli
la majorité requise des 376 voix. Les débats, très intenses, se sont surtout
focalisés sur la Tunisie, unique rescapée de la vague des révolutions arabes de
2011. Les défenseurs de la motion n’auront manqué que de 19 voix pour la faire adopter.
« Beaucoup d’élus ont été sensibles, y compris
chez les conservateurs et les sociaux-démocrates, à l’argument selon
lequel il ne faut pas enfoncer une démocratie fragile, rapporte une source interne au
Parlement. Mais il s’agit quand même des risques de financement du
terrorisme. Seuls les arguments techniques devraient prévaloir. » De
fait, c’est l’approche experte et non politique qui s’est imposée au Parlement
européen à travers le rejet de cette motion « pro-Tunisie ».
A Tunis, la conséquence a été immédiate. Le premier
ministre, Youssef Chahed, a fait savoir, mercredi, qu’il entendait limoger le
directeur de la banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari, jugé responsable de
l’impréparation de son pays sur ce dossier. L’inquiétude avait commencé à monter
en novembre 2017, quand le Groupe d’action financière (GAFI) a inclus la
Tunisie sur sa liste des pays à « hauts risques » en raison des
déficiences de son système bancaire à tracer l’origine de fonds, ainsi que de leurs
bénéficiaires effectifs. Le GAFI est un organisme intergouvernemental
spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du
terrorisme.
Vive amertume
Or la Commission européenne s’inspire des travaux du
GAFI pour établir sa propre liste. Dans le cadre de la quatrième directive
européenne anti blanchiment, adoptée en 2015, la Commission s’est engagée à évaluer
les efforts entrepris par les pays tiers (non membres de l’UE) pour lutter contre
ce phénomène. Le Parlement et le Conseil européens doivent donner leur feu vert
dans la foulée. Par deux fois, courant 2017, la commission a proposé ce travail
d’évaluation aux eurodéputés qui l’ont rejeté, estimant que l’institution
communautaire se contentait de « copier-coller » la liste du GAFI
sans mener sa propre expertise.
Aussi la Commission s’était engagée à mener ses
recherches à partir de 2018. En échange, une partie du Parlement avait convenu
de valider mercredi son « copier-coller » de la dernière liste du
GAFI 2017. Mais la Tunisie se trouvant incluse dans cette liste depuis
novembre 2017, l’affaire a pris une autre tournure. D’autant que la
controverse autour de son inclusion sur la liste des paradis fiscaux avait
réveillé le camp pro-tunisien, résolu à éviter un deuxième revers diplomatique.
Les arguments déployés – nécessité d’épargner une « démocratie
naissante », petits cadeaux (dattes et huile d’olive) envoyés à des
élus – n’ont pas suffi à renverser la vapeur.
A Tunis, l’amertume est vive devant ce nouvel échec.
« La diplomatie tunisienne n’a pas fait son travail, elle n’a pas été
assez réactive », regrette un analyste. Les conséquences en termes
d’accès aux marchés financiers internationaux ne sont toutefois pas jugées
évidentes par les professionnels. « Les marchés et les bailleurs ont
déjà intégré l’information depuis l’inclusion de la Tunisie sur la liste du
GAFI, relativise un dirigeant d’une banque tunisienne. Le vote du
Parlement européen n’y change pas grand-chose. » A la suite de ces
atteintes répétées à l’image du pays, d’autres têtes vont rouler.
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen) et
Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
Le Monde, le 08.02.2018