La réalité
est bien plus confuse que ce qu’on voudrait vous faire croire
Par Yair
Rosenberg
La cacophonie ambiante à
chaque recrudescence du conflit israélo-palestinien rend parfois impossible à
un observateur extérieur d’établir les faits. Les événements récents à Gaza ne
font pas exception à la règle. De part et d’autre, les voix les plus stridentes
s’élèvent déjà, chacune avec ses récits exclusifs, reconnaissant certaines
réalités tout en évitant scrupuleusement d’en mentionner d’autres.
Que certaines vérités sur
Gaza soient dérangeantes pour les défenseurs de chaque camp, elles ne doivent
pas pour autant l’être pour tous.
En voici 13. Complexes,
désordonnées et véridiques sur ce qui se passe à Gaza. Elles ne se conforment
pas à un quelconque récit politique et ne cherchent pas à partager les
reproches de manière définitive. Essayez néanmoins de les garder toutes
simultanément à l’esprit.
1. Les manifestations de
lundi n’étaient pas liées à la décision de Donald Trump de transférer
l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, puisqu’elles se déroulaient déjà à la
frontière de Gaza toutes les semaines depuis
le mois de mars. Elles s’inscrivent dans ce que
les manifestants appellent « la
grande marche du retour » , un retour vers
ce qui est en fait maintenant Israël. (La manifestation de lundi, planifiée
depuis plusieurs mois devait coïncider avec la manifestation
annuelle de la Journée de la Nakba. Elle a
par la suite été décalée de 24 heures afin de capter l'attention des médias et
la détourner de l'inauguration de l’ambassade.) Présenter ces traditionnelles
manifestations comme une banale réponse à Trump dans de nombreux médias masque
deux réalités préoccupantes. La première est que le monde entier s’est beaucoup
détourné de la détresse des Gazaouis, sauf lorsqu’elle est liée de près ou de
loin à Trump. La seconde est que de nombreux Palestiniens veulent non seulement
un État, la fin de l'occupation et de la colonisation commencées en 1967, mais
bien la fin de l'État juif créé en 1948.
2. Le blocus israélien de
Gaza déborde largement du cadre nécessaire à la sécurité d'Israël. Il est
souvent arbitraire, voire contraire à ses propres intérêts. Les règles de
restriction liées à l'importation et à l'exportation de produits alimentaires
et agricoles changent continuellement. Ce qui est autorisé une année est
interdit la suivante, rendant difficile pour les agriculteurs de Gaza de
planifier leur production. De même, les restrictions de circulation entre Gaza,
la Cisjordanie et ailleurs sont parfois excessives. Si elles empêchent de
potentiels terroristes de se déplacer, elles restreignent également les
familles et les étudiants. Dans un cas tristement célèbre, suite au refus d’Israël
de les laisser quitter le territoire, le Département d'État américain
avait été contraint
d’annuler toutes les bourses Fulbright
octroyées aux étudiants gazaouis. Aujourd'hui, la
politique officielle interdit aux habitants
de Gaza de voyager à l'étranger sauf s’ils s'engagent à ne pas revenir avant un
an. Il est grand temps que ces questions soient abordées, comme en témoigne une
nouvelle lettre signée par plusieurs sénateurs, dont Bernie Sanders et
Elizabeth Warren.
3. Le Hamas qui contrôle
la bande de Gaza est un régime autoritaire et théocratique dont la
charte appelle au génocide des juifs. Il a à
son actif des dizaines d’assassinats de civils israéliens, il réprime les femmes palestiniennes et persécute sévèrement les
minorités religieuses et sexuelles. Il est désigné comme groupe terroriste par les
États-Unis, le Canada, la France et l'Union européenne.
4. La dureté du blocus
israélien a contribué à appauvrir Gaza. Cet appauvrissement est aussi la conséquence
de l’échec criant du Hamas à gouverner et à subvenir aux besoins fondamentaux
des populations enclavées. Qu’il ait gaspillé sa main-d’oeuvre et des millions
de dollars dans la construction de tunnels
d'attaque vers Israël — y compris sous
des écoles des Nations Unies pour les
enfants gazaouis — ou qu'il ait lancé des opérations militaires messianiques
répétées contre Israël, le groupe terroriste a toujours privilégié la mort des
Israéliens à la vie de ses frères Palestiniens.
5. Parmi les milliers de
manifestants qui se trouvaient à la frontière de Gaza, aussi bien lundi qu’au
cours des semaines précédentes, beaucoup étaient pacifiques et désarmés, comme
on peut le constater en regardant les photos et les vidéos des rassemblements.
6. Le Hamas a manipulé un
grand nombre de ces manifestants à leur insu et sous de faux prétextes pour les
envoyer massivement vers la clôture israélienne et provoquer des victimes.
Comme le rapporte le New York Times, « après la prière de midi, les imams et
les leaders des factions militantes à Gaza, pilotés par le Hamas, ont exhorté
des milliers de fidèles à se joindre aux manifestations. La barrière a été
percée ont-ils menti, affirmant que des Palestiniens affluaient en Israël. » De
même, le Washington Post relate comment « par haut-parleurs, les organisateurs ont
exhorté les manifestants à se ruer vers la clôture, racontant que les soldats
israéliens fuyaient leurs positions, alors qu’ils étaient justement en train de
les renforcer. » Le Hamas a également reconnu publiquement avoir délibérément
utilisé des civils pacifiques lors des manifestations comme boucliers humains
pour couvrir ses opérations militaires. « Lorsque nous parlons de “résistance
pacifique”, nous trompons le public » , a
déclaré Mahmoud al-Zahar, co-fondateur du Hamas,
à un journaliste. « C'est une résistance pacifique soutenue par une force
militaire et des agences de sécurité. »
7. Un nombre important de
manifestants étaient armés, et c'est ainsi qu'ils peuvent tirer sur les drones
israéliens :
Des instructions en arabe largement
diffusées sur Facebook incitant les
manifestants à « se munir d’un couteau, d’un poignard ou d’un pistolet si
disponible » , à franchir la frontière israélienne et à kidnapper des civils. (Les
messages ont été supprimés par Facebook pour
incitation à la violence, mais les captures d’écran sont visibles ici.) Le Hamas a également encouragé la violence en dédommageant financièrement les blessés et les familles des
victimes. Le Hamas et le groupe terroriste Jihad
Islamique ont depuis déclaré que de nombreux
manifestants tués étaient leurs combattants et ont publié leur photo en
uniforme. Mercredi, Salah Al-Bardawil, membre du Bureau Politique du Hamas, a
annoncé que 50 des 62 victimes étaient des
membres du Hamas.
Cependant, contrairement à certains
propos israéliens, ces faits ne justifient pas forcément une réponse
israélienne en particulier ni chacune des victimes palestiniennes. Ils
établissent simplement la réalité de la menace.
8. Il serait facile de
rétorquer que les Gazaouis feraient mieux de s’insurger contre le Hamas et son
anarchie plutôt que contre Israël. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un choix
binaire puisque tous les deux contribuent à leurs souffrances. Ensuite, pour
avoir couvert Gaza, Julia Mc Farlane de la BBC l’a rappelé, toute contestation publique du Hamas est périlleuse : «
Un garçon rencontré à Gaza en 2014 m’a raconté qu’après avoir publié un
commentaire anti-Hamas sur Facebook, il a été traîné hors de son lit à minuit,
emmené à un carrefour où on lui a tiré dans les rotules en le menaçant la
prochaine fois d’utiliser des haches ». Le groupe a procédé à des exécutions
publiques de ceux considérés comme des «
collaborateurs » et tiré à balles réelles sur les quelques rares manifestations. Rappelons que
les gazaouis ne peuvent pas « démettre » le Hamas puisque le Hamas n’a autorisé
aucune élection depuis sa victoire en 2006. Bien que les sondages soient peu
favorables au mouvement, les gazaouis n’ont
que peu de recours pour exprimer leur mécontentement. S’en prendre à Israël est
ainsi un exutoire à leurs frustrations encouragé par le Hamas.
9. De ce point vue, le
Hamas a contribué à entretenir le chaos et à faire des victimes au cours des
manifestations, en permettant aux émeutiers d’incendier régulièrement le poste-frontière de Kerem Shalom —
principal accès pour l’aide internationale et humanitaire — ainsi qu’en renvoyant
les camions de nourriture et
d’approvisionnement pourtant bien nécessaires en provenance d’Israël.
10. Beaucoup de ce qui
circule sur les réseaux sociaux à propos de ce qui est en train de se produire
à Gaza n’est pas conforme à la réalité. Par exemple la vidéo montrant un «
martyr » palestinien bouger sous son linceul et qui circule dans les cercles pro-Israël a été tournée en Egypte et date d’il y a 4
ans. De même, malgré les allégations du Ministre
de la Santé dirigé par le Hamas et relayé par certains médias, aucun bébé de 8 mois n’a été tué
par les gaz lacrymogènes tirés par Israël. Son médecin traitant gazaoui a
indiqué à Associated Press qu’il était
décédé à la suite de problèmes cardiaques antérieurs, information tardivement
reprise par le New
York Times et le Los
Angeles Times. A l’ère des fake news, les
lecteurs doivent se montrer particulièrement vigilants avant de partager des
contenus non vérifiés sous prétexte qu’ils confirment leur parti pris.
11. Il existe des solutions constructives aux
problèmes de Gaza qui soulageraient la
détresse de la population, tout en rassurant les israéliens sur les questions
de sécurité. Cependant, contrairement aux tweets enragés sur les palestiniens
qui seraient tous terroristes ou sur les israéliens qui seraient de nouveaux
nazis, ils
ne se propagent pas, et c’est sans doute la
raison pour laquelle vous n’en avez jamais entendu parler.
12. Une enquête
véritablement indépendante sur les procédés et les règles sur l’engagement
d’Israël à Gaza est nécessaire pour prévoir des sanctions en cas d’abus et
mettre en place des directives internationalement reconnues sur la manière dont
Israël ainsi que les autres États impliqués doivent agir en cas de situation
similaire à leur frontière. Tous les ans, à l’occasion de l’Assemblée Générale
du Conseil des Droits de l’Homme, les Nations Unies adressent à Israël plus de condamnations qu’à tous les autres pays
réunis. Ce parti
pris anti-Israël a été notoirement condamné par l’ambassadrice d’Obama auprès des Nations Unies
Samantha Power et indique clairement que les Nations Unies n’ont pas la
crédibilité nécessaire à la conduite d’un telle enquête. Les Etats-Unis, le
Canada et l’Europe pourraient en prendre l’initiative.
13. Etant donné que le
débat sur l’attitude d’Israël a été entièrement confisqué par les radicaux qui
s’obstinent à considérer Israël comme totalement irréprochable, ou au contraire
coupable de s’amuser à volontairement massacrer des palestiniens au hasard, il
est peu probable qu’une enquête impartiale sur le bien-fondé ou non de ses
agissements voie le jour.
Traduction : Mathieu Hamon
Masseboeuf / Michèle Zefferi
The original article by Yair
Rosenberg was published on Tablet Mag, and can be read in its original version
here :
http://www.tabletmag.com/jewish-news-and-politics/262329/gaza-media-explainer