Comme plus de vingt millions
de Français, je respire beaucoup mieux après la lourde défaite infligée
hier à l'extrême-droite, en ce 8 mai,
anniversaire de la victoire sur le nazisme : Emmanuel Macron a reçu presque deux fois plus de bulletins de vote que sa rivale, Marine Le Pen, sèchement battue
par 66 %
contre 34, un score que l'on n'espérait même pas. Sa nièce, Marion
Maréchal, certainement plus intelligente et donc plus redoutable que la
candidate, fixait (avec plus de sincérité) la barre du succès à 40%, et la
dépasser aurait risqué de poser le Front National comme la seule alternative
crédible au nouveau parti du Président élu, "La République en marche". Même si - et c'est un discours obligé - les cadres de son parti
se félicitent des quelques dix millions et demi de voix obtenues, un nouveau niveau dans
la montée régulière de la "marée brune" dans notre pays, ils savent
qu'ils ne peuvent rééditer l'exploit aux prochaines élections législatives du
mois de juin.
Soulagement, aussi, parce
que ce vote vient démentir les prophètes de malheur qui depuis l'année dernière
nous annonçaient la victoire inéluctable des partis populistes, après le Brexit
et l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Or qu'a t'on vu depuis ? Un échec
du parti anti Europe et anti islam aux Pays-Bas, que l'on disait grand favori
et qui a buté sur un score que l'on aimerait retrouver chez nous (environ 12% )
; le recul de son parti jumeau, l'AfD, dans des élections régionales en Allemagne
; et l'échec de la même extrême droite en Autriche. Au final, on peut raisonnablement espérer que
les élections allemandes et italiennes viennent confirmer ce reflux, et que
l'Union Européenne résiste - au moins pour le moment - et à cette vague populiste,
et aux manœuvres de la Russie de Vladimir Poutine, qui rêve d'un effondrement
et de l'Union Européenne et de l'OTAN. Autres prophètes de malheur qui auront
contribué à démoraliser l'opinion, les analystes qui auront expliqué pendant
des mois que, décidément, on ne pouvait faire confiance aux sondages. Leurs
discours comparaient, en fait, des choux et des navets, car si en effet les
"primaires" de la Gauche et de la Droite ont donné des résultats
surprenants, c'est que, par définition, leur collège électoral était difficile
à modéliser par les sondeurs, contrairement à celui des élections nationales.
Les instituts de sondage ont donc eu tout juste, y compris au premier tour de
l'élection présidentielle où, effectivement, il y avait un flou pour l'ordre d'arrivée
des troisième et quatrième ; mais jamais pour Emmanuel Macron, classé en tête
depuis le mois de février.
Cela peut sembler
présomptueux, de ma part, de parler de "souvenirs" à propos de notre
nouveau Président de la République, ne l'ayant jamais rencontré réellement au
titre d'un quelconque engagement ; faut-il préciser aussi que je n'ai jamais
exercé la moindre responsabilité au titre d'un parti politique ? Mais c'est
grâce au CRIF, dans lequel je travaille bénévolement depuis de nombreuses années,
que j'aurais pu au moins l'approcher. Trois souvenirs, donc.
Le premier date d'avril
2016. A ce moment là, il était encore Ministre de l’Économie, et il venait de
lancer son mouvement "En marche". Nous sommes dans le cadre d'une conférence débat organisée par "Les amis du CRIF". Interrogé - avec bienveillance -
par Nicolas Beytout, le directeur de la rédaction de "L'Opinion", je
me souviens de ses propos, sympathiques mais qui me semblaient manquer
d'épaisseur et de perspective : il lançait une nouvelle force politique, mais
où se situait-elle ? Resterait-il ou non au gouvernement ? Qu'allait-il
proposer ? Un flou complet, les militants de son mouvement étant présentés par
lui comme des "gentils enquêteurs" qui allaient faire un tour de
France pour écouter les gens, et recueillir leurs suggestions. Mais il faut
dire aussi que personne ne pouvait deviner les bouleversements en cascade de la
suite, le renoncement de François Hollande, l'échec de Manuel Valls aux
primaires de la Gauche, la sélection de François Fillon aux dépends d'Alain
Juppé que tout le monde voyait déjà Président, l'enlisement du candidat de la
Droite suite à ses "affaires" ; bref, une chance insolente qui allait
ainsi sourire à l'ex-Ministre, et lui permettre en l'espace d'à peine un an
d'arriver à la tête de l’État !
Dans mon deuxième souvenir,
je ne l'ai pas entendu mais seulement croisé et salué. C'était lors du dernier
dîner du CRIF, le 22 février dernier. Trois candidats à la présidence de la
République, Fillon, Hamon et Macron étaient présents, ainsi que le sortant,
François Hollande - dont tout le monde remarqua l'accolade chaleureuse à son ex
ministre. Vers la fin de la soirée, je quittais la grande salle lorsque je fus
abordé, spontanément par un "salut, hein !" lancé par le jeune Emmanuel
Macron, qui vint à ma rencontre et me tendit la main. Un peu décontenancé, je lui ai souri et lancé un
"bonne chance", dont il me remercia. Puis il fut immédiatement
interviewé par la chaine israélienne I-24 (ma photo ci-dessous). J'ai alors réalisé ce que nous disent, en
boucle, pratiquement tous les journalistes : son besoin d'être aimé, son
empathie spontanée et sa simplicité, qui ont certainement beaucoup joué dans le
succès de sa campagne.
Emmanuel Macron au dîner du CRIF, février 2017 (photo Jean Corcos)
Dans mon troisième et
dernier souvenir, enfin, nous restons dans le cadre du CRIF mais cette fois et
à nouveau, dans une conférence débat. Nous sommes un mois après, cette fois le
22 mars, et les sondages le placent en tête des candidats. Pour l'interroger,
François Clémenceau du "Journal du Dimanche" et Audrey Pulvar de
CNews (depuis "suspendue" de la chaîne pour avoir signé un appel
hostile à Marine Le Pen). J'avais écouté dix jours avant François Fillon dans
le même cadre, et je fus frappé par un double contraste : celui entre les deux
candidats, le jeune prétendant à l’Élysée semblant jongler avec l'agenda
international et sécuritaire mis en avant par les deux journalistes, et
l'ancien Premier Ministre englué dans un discours plus "identitaire" ; mais
surtout, le contraste avec le jeune Macron entendu moins d'un an avant. C'est
alors, seulement, que je réalisais combien ses fonctions exercées si jeune, à l’Élysée puis à Bercy, l'avaient mis en contact avec les responsables de nos
partenaires européens ; et combien il voulait faire de l'Europe à la fois une
espérance, et l'axe moteur de la relance de notre pays. Bref un discours à
l'exact opposé de celui de Marine Le Pen qui aspirait à détruire l'U.E,
et qui allait l'accuser de manière aussi vile que brutale, de "se mettre à
plat ventre" devant Angela Merkel : c'était lors du débat de l'entre deux
tours, mercredi dernier 3 mai, et ce débat allait définitivement la griller
pour ces élections.
Jean Corcos