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17 novembre 2015

Pascal Bruckner : «C'est notre civilisation qu'ils veulent détruire»

Pascal Bruckner

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la France n'avait pas connu une attaque de cette ampleur sur son territoire…


L'audace des criminels est de plus en plus grande. Nous réalisons que sept hommes peuvent tuer cent vingt personnes avec une détermination absolue, qu'une poignée d'individus peut avoir un pouvoir de nuisance illimité. Ceux qui ont tué voulaient mourir. Ces kamikazes ont dit à leurs victimes : Regarde-moi. Pour eux, donner la mort et mourir, c'est un même geste. Il faut reconnaître que nous sommes complètement démunis devant cette rage nihiliste. Certes, nous avons des ripostes policières et militaires mais que valent-elles face à un homme qui est heureux de mourir. «La jeunesse est l'âge de l'absolu», disait Nietzsche. Ces jeunes sont dans une dimension apocalyptique, une eschatologie messianique du bain de sang. Pour eux, la mort c'est la vie.


Ces attaques étaient-elles prévisibles?


Beaucoup de gens nous y avaient préparés. Le scénario d'attaques simultanées était sur la table depuis longtemps. Le ministre de l'Intérieur au premier chef, mais aussi les services secrets, l'armée, le juge antiterroriste Marc Trévidic, tous craignaient quelque chose d'abominable, très supérieur aux attentats de Charlie Hebdo. Cette attaque était préparée, les assassins armés et très résolus. Nous devons désormais tout penser dans la logique du pire. Et imaginer que les prochains attentats pourraient être plus meurtriers encore que ceux-ci. Il est à craindre que d'autres abominations se produisent dans les lieux de culte, les églises, les synagogues, les mosquées puisque les musulmans qui ne suivent pas ces fanatiques sont considérés comme des apostats mais aussi les grands magasins, les trains, les musées. La France va devoir mettre en place une organisation sécuritaire disproportionnée pour empêcher ces jeunes persuadés d'être rentrés dans la fin des temps de réaliser leurs crimes.


Peut-on encore parler de loups solitaires?


Dans ce cas, les loups chassent en meute. Ce sont des jeunes autoradicalisés qui ont décidé de contribuer à leur modeste échelle à l'événement du califat mondial. Le jeune homme qui a acheté un couteau à Toulon pour s'attaquer à un marin comme celui qui voulait commettre un attentat dans l'église de Villejuif en témoignent. Nous nous rassurions en considérant qu'il s'agissait de pieds nickelés. Désormais, la paranoïa va devenir notre boussole politique. C'est en ça que le terrorisme nous met dans une situation impossible. Même quand on les élimine, ils gagnent puisqu'ils nous rendent fous. Leur folie nous contamine. Aucune société n'est armée contre ce type de terrorisme soucieux de frapper la jeunesse qui s'amuse. De punir ceux qui écoutent de la musique, vont au restaurant, fument, s'adonnent à des activités haram (illicites) et pas halal. Les femmes qui se promènent seules dans la rue sont considérées comme des prostitués. Une jeunesse qui veut profiter de la vie se trouve face à une jeunesse qui veut plonger dans la mort. Ce serait une armée, nous saurions comment la combattre. Mais c'est une nébuleuse de cellules clandestines, très déterminées.




Faut-il durcir la loi?


Il faut suspendre immédiatement les garanties constitutionnelles des djihadistes incarcérés. Les isoler dans des centres fermés, éviter qu'ils exercent une action de prosélytisme délétère dans les prisons. Les individus suspects doivent être considérés comme coupables et mis hors d'état de nuire, là aussi par l'expulsion ou l'emprisonnement. Enfin, l'État devrait, surtout si les pleins pouvoirs sont votés, mettre en marche le service action qui avait été déclenché par de Gaulle contre l'OAS. Il faut également renvoyer les prédicateurs qui incitent à la haine ou appellent à la guerre sainte. Je pense à cet imam véhément qui, à Brest, a traité de singes et de cochons les enfants qui écoutent la musique. Les mosquées salafistes devraient être fermées comme ce fut le cas en Tunisie après les attentats de Sousse. Il faut renforcer la surveillance de l'islam de France. Il s'agit de mesures immédiates pour sauver les corps.


Depuis Charlie, sommes-nous retombés dans le déni?


Deux courants contraires s'affrontent. D'un côté, la lucidité présente jusqu'au sommet de l'État. J'ai en tête le très beau discours de Manuel Valls à l'Assemblée au mois de janvier dans lequel il a dénoncé l'islamo-fascisme. Mais l'esprit humain est fait de telle sorte qu'il cherche toujours à exonérer l'horreur. C'est ainsi que des intellectuels comme Edwy Plenel et Emmanuel Todd nous ont expliqué que nous payions nos propres fautes. Bref, les victimes seraient coupables et les tueurs désespérés. La culture de l'excuse est à son comble. C'est la même qui s'applique à la guerre des poignards en Israël, justifiée par le désespoir des Palestiniens. Au moins les attentats de janvier avaient-ils un semblant de connexion rationnelle. Il fallait éliminer ceux qui avaient ridiculisé le prophète. Cette fois, il n'y a pas de symbole. La faute des gens du Bataclan, c'est d'exister. C'est notre civilisation, ouverte, tolérante et libérale que les kamikazes veulent détruire. Trop souvent, hélas, avec la bénédiction de l'ultragauche.


Propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers

Le Figaro, 14 novembre 2015