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23 novembre 2015

Dans les mosquées, cités, prisons, le travail de déradicalisation à accomplir est énorme




ATTENTATS - J'ai appris qu'il y avait des attentats alors que je venais de partir pour le Maroc, pour rendre hommage à mon fils où il est enterré. Quand j'ai entendu ce qu'il se passait, cela m'a déchiré le cœur.
Je le répète depuis maintenant près de quatre ans: aujourd'hui, notre jeunesse est livrée à elle-même. Ces jeunes radicalisés ne savent rien de l'Islam. Ce que je veux dire à tous les Français aujourd'hui, c'est que nous sommes tous touchés, et moi la première. Il ne faut surtout pas faire l'amalgame entre eux et le reste des musulmans. Tout cela n'a rien à voir avec ce qu'est véritablement l'Islam. Daech veut nous séparer, nous diviser, et nous ne devons surtout pas avoir peur.
En 2012, mon fils est mort debout sous les balles de Mohamed Merah. Depuis, je suis une mère blessée, déchirée. Je reste debout pour défendre les valeurs de la République. Il nous faut absolument tendre la main à ces jeunes, ces enfants de la République. Il faut leur faire aimer la France comme je l'aime. L'ampleur du travail qui est à faire est énorme: c'est un travail de fourmi, de terrain, dans les écoles, les maisons d'arrêt, les mosquées, avec les parents...
Aujourd'hui, les jeunes des cités me disent que la République les a oubliés. Je leur réponds "non" ! "Vous êtes les enfants de la République. Montrez ce que vous savez faire. Montrez vos valeurs, ce dont vous êtes capables". Ils se sentent rejetés, humiliés, oubliés. On doit ouvrir ces cités, ces ghettos, sinon, on aura encore d'autres drames, et des problèmes encore plus forts.
Plus que jamais il nous faut poursuivre notre travail. Je le dis et le répète au gouvernement: il faut faire le maximum ! Les discours ne suffisent pas. Il faut aider ces gens à sortir de là, faire des formations, des stages. Et, aujourd'hui plus que jamais, il faut faire un gros travail dans les prisons. Ce qui s'y passe me fait très peur. Les prisonniers en sortent pires qu'ils n'en sont entrés, ils sont des dangers pour la France et c'est très grave. Un prisonnier n'a pas de règles. S'il ne veut pas sortir pour la promenade, faire du sport, suivre une formation, personne ne l'y oblige. Son cerveau se vide, et laisse la place pour être rempli de haine. Il vit dans des conditions terribles avec les rats, etc., et quand il en ressort, est animé d'un désir de vengeance. Pendant longtemps je me suis demandé pourquoi Merah avait tué mon fils. En visitant les prisons, je me rends compte comment la haine y prospère. La question est comment un prisonnier peut-il se convertir à l'Islam en prison? Mais il n'y est entouré que de criminels, de radicaux... Il est impensable que des convertis ne connaissent l'islam que par ce biais!
Une fois sortis, il est très difficile de travailler avec eux. J'ai par exemple passé 6 mois avec deux d'entre eux, à raison d'une fois par semaine. Je faisais 7h de train pour aller les voir, et parler avec eux de la religion, de leur famille. Aujourd'hui, il se sont stabilisés et je garde contact avec eux. Ce qui marche ? Parler. Parler de ma vie, de mes valeurs, de mes origines. Parler de leurs parents, de ce que représente l'amour de Dieu, de ce que représente le respect. Beaucoup de mes conversations avec l'un de ces jeunes tournaient autour de sa maman, avec laquelle il était en conflit car catholique. "Mais si tu vas au paradis, ce sera grâce à ta mère qui t'a mis au monde!" lui répétais-je. Ce sont énormément de longues conversations qui ont eu un effet, et au bout d'un moment, j'ai fini par pleurer. Il s'est mis à pleurer lui aussi. J'avais réveillé son coeur. Il faut profiter de la vie, aller vers l'autre. La vie est trop courte pour la gâcher, il faut profiter de sa famille, avancer dans la vie. Voilà ce que je leur dit. J'enchaîne ces visites, du lundi au samedi, et ne rentre chez moi que le dimanche. Le soir, quand je rentre à l'hôtel, je n'arrive parfois même plus à parler. Mais si j'arrive à en remettre quelques-uns sur le droit chemin, c'est déjà bien. Pour cela, j'ai besoin d'aide, mon association Association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix a besoin d'aide.
Pour tous, la priorité, c'est l'école. Quand je vois un enfant de 12 ans me dire: "ce n'est pas normal qu'en France le port du voile intégral soit interdit, qu'on puisse encore manger du porc", ça veut dire que quelqu'un lui a rempli la tête ! C'est très dur après de lui expliquer qu'on est dans un pays laïc, que la religion est personnelle, privée, pour soi et pas pour les autres. On ne peut pas laisser ces gamins arriver à l'âge du collège, complètement perdus. Il faut repenser la façon dont on encadre ces jeunes, quand on voit que dans ces quartiers difficiles, ce sont des jeunes professeurs de 24 ans qu'on envoie. Il faut des gens expérimentés, plus compétents. Aujourd'hui je vois des jeunes profs qui pleurent...
Du point de vu religieux, certaines mosquées, pas toutes parce que beaucoup sont loyales, correctes, ont leur responsabilité dans la radicalisation et les attentats récents. Dans ces mosquées, les imams n'ont eu aucune formation. Certains ne parlent même pas français ou ont un accent et on ne comprend rien. J'y ai même entendu un imam faire une prière pour Ben Laden. Pour Ben Laden ! Il est important de contrôler les mosquées, toutes les mosquées, pour que les imams soient diplômés, pour éviter qu'ils ne détournent les sourates comme c'est parfois le cas, et représentent un danger pour notre pays. Il en est de la responsabilité de chaque imam d'avoir un discours de respect, de vivre ensemble. La mosquée, c'est pour prier, pour diffuser cette religion qui est tolérance, et qui n'a rien à voir avec ce qu'on peut entendre. L'islam est en train d'être sali. Je suis fière d'être musulmane, et quand quelqu'un me regarde de travers parce que je porte un foulard, je me sens visée. Moi, qui suis amour, ouverture vers l'autre, on me regarde comme si j'étais une terroriste.

Latifa Ibn Ziaten
Présidente de l'association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix, mère d'un soldat tué par Mohamed Merah
Le Huffington Post, 19 novembre 2015