Depuis
quelques semaines, Israël est traversé par une vague de violence, non pas
inhabituelle, mais inédite dans sa forme. Dans les rues de Jérusalem, de
Tel-Aviv, d’Afula, de Be’er Sheva, des Palestiniens, souvent très jeunes,
poignardent au hasard des Israéliens, militaires, religieux, civils, hommes,
femmes, adolescents. Pour tuer.
Ce
n’est pas la première fois, et certainement pas la dernière, qu’Israël affronte
une vague de terreur. Outre les guerres traditionnelles, ce pays a vécu nombre
d’attentats suicides qui ont visé indistinctement l’ensemble de la population.
Les civils en ayant fait plus souvent les frais que les militaires, dans la
plupart des cas.
Mais,
entre une révolte populaire, voire même des bombes posées au hasard dans les
bus dont les victimes restent abstraites pour qui commet le crime, et la
déshumanisation totale de la victime qui autorise un corps-à-corps au couteau,
il y a un fossé aujourd’hui allégrement franchi.
48
années d’occupation
Que
se passe-t-il alors dans la tête d’un jeune de treize ou quinze ans, pour, de
manière préméditée, sortir dans la rue armé d’un couteau de cuisine et le planter
sans hésitation dans le corps d’un passant ? La raison le plus souvent
invoquée est l’humiliation, l’exaspération, ressentie au bout de 48 années
d’occupation.
Et
certes, depuis 1967, Israël occupe les Territoires palestiniens, et cette
occupation, si elle humilie et bafoue les droits des Palestiniens, corrompt
aussi la société israélienne. On pourra discuter à l’infini des raisons qui,
après la guerre des Six-Jours, ont poussé la gauche israélienne, au pouvoir à
l’époque, à initier ce mouvement, puis la droite à le renforcer jusqu’au point
d’en faire le seul axe de sa doxa idéologique.
Toujours
est-il que l’occupation contraint les appelés de Tsahal (19 ans d’âge moyen) à exercer
une fonction de police qui, pour la plupart d’entre eux, les répugne.
Sans
justifier aucunement l’occupation et sans minimiser les différences de statuts
entre habitants Juifs et Arabes à Jérusalem, ceux qui pensent un peu rapidement
que la présence israélienne dans les Territoires palestiniens s’apparente à
l’occupation allemande en Pologne durant la Seconde Guerre mondiale seraient
avisés d’aller faire un tour à Ramallah ; ils seraient surpris de découvrir
une ville normale à l’atmosphère effervescente d’où toute présence militaire
est absente.
Les
contrôles ne disparaîtront pas de sitôt
Alors
oui, résultat de la politique d’occupation qui engendre contrôles et sécurité,
les forces de sécurité israéliennes établissent des check-points au gré des
tensions. Personne ne le nie. On peut le déplorer , mais Israël n’ayant pas
pour voisins la Suisse et la Belgique, gageons que même dans le cas
d’une solution à deux États, les contrôles ne disparaîtront pas de sitôt.
On
peut raisonnablement penser que la solution de deux États pour deux peuples
réglerait une bonne fois pour toutes cet interminable et déprimant conflit.
Mais,
sans vouloir refréner l’ardeur de ceux qui pensent ainsi (et j’en fais partie),
on peut tout aussi raisonnablement être interpellé par les propos véhiculés
dans les mosquées et par certains responsables de l’Autorité palestinienne.
Outre
qu’on peut s’interroger sur les raisons qui interdiraient aux non musulmans
l’accès à leurs lieux saints, le discours palestinien, et d’une manière plus
large, arabe, évoque sans cesse la souillure que représenterait la présence de
Juifs sur le Mont du Temple/Esplanade des mosquées. « Les Juifs n’ont pas le droit de souiller la
mosquée Al Aqsa et l’église du Saint-Sépulcre de leurs pieds sales »
(Mahmoud Abbas). Un rapide coup d’œil aux prêches diffusés dans les mosquées,
où les Juifs sont inlassablement décrits comme des descendants de singes et de
porcs, montre le niveau du discours. « Poignardez !
Mon frère de Cisjordanie : poignardez les mythes du Talmud… »
(Cheik Mohammed Sallah de Rafah). Et que dire alors des Arabes agnostiques ou
libres penseurs qui, incapables de réciter une sourate du Coran demandée à
l’entrée d’Al-Aqsa, s’en voient aussi refuser l’entrée.
Que
je sache, un Arabe peut accéder au Mur des lamentations, j’en ai moi-même fait
l’expérience en accompagnant des délégations d’imams de France lors d’un voyage
en Israël et dans les Territoires palestiniens sans que cela ne soulève aucun
problème.
Mais
ne finassons pas. Compte tenu du contexte , la règle du statu quo qui interdit aux
non musulmans de prier sur l’Esplanade des mosquées est sage, et cet accord,
quoi qu’en disent les Palestiniens, n’a jamais été remis en cause, à
l’exception d’une petite minorité d’illuminés qui tente de faire pression sur
le gouvernement israélien dont certains membres, il est vrai, leur prête
malheureusement une oreille complaisante. Pour la grande majorité des
Israéliens, cette question n’en est pas une.
Les
vieilles antiennes antisémites
Ce
qui en est une en revanche, pour les Israéliens en particulier, et pour les
Juifs en général, c’est l’inlassable discours complotiste et antisémite
véhiculé dans le monde arabe, lequel, finalement, ne soulève que peu
d’indignations dans le monde occidental. On se souviendra, par exemple, que les
attaques de requins dont ont été victimes il y a quelque temps des touristes
dans la mer Rouge, ont été, selon la presse égyptienne, organisées par le
Mossad afin d’affaiblir l’économie égyptienne…
Or
ce discours, qui reprend sans vergogne les vieilles antiennes antisémites,
infecte les esprits dans le monde arabe, et au-delà. Le 24 octobre, à Marseille,
un Juif portant kippa a été poignardé dans la rue par un déséquilibré.
Par
quoi donc un adolescent de quinze ans qui, le matin, s’empare d’un couteau de
cuisine, et part sillonner les rues de Jérusalem afin de tuer au hasard
n’importe quel Juif, parce que Juif, tout en sachant qu’il a toutes les chances
d’être abattu, est-il mû, si ce n’est par le discours djihadiste appelant sans
cesse à se débarrasser des fils de singes et de porcs qui polluent l’Esplanade
des mosquées et, au-delà, la Palestine entière ? Le discours djihadiste,
aujourd’hui, a transcendé le discours traditionnel de libération nationale
prégnant il y a encore quelques années.
Il
est temps que l’Occident abandonne le voile de condescendance qui obscurcit sa
raison à l’égard du monde arabo-musulman et dire enfin que l’homme aliéné par
le fatras religieux est loin d’être un couteau sans lame à qui il manque le
manche.
Olivier
Rubinstein, éditeur.
Le
Monde, 30 octobre 2015