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24 novembre 2015

Que cesse la condescendance occidentale envers le monde arabo-musulman



Depuis quelques semaines, Israël est traversé par une vague de violence, non pas inhabituelle, mais inédite dans sa forme. Dans les rues de Jérusalem, de Tel-Aviv, d’Afula, de Be’er Sheva, des Palestiniens, souvent très jeunes, poignardent au hasard des Israéliens, militaires, religieux, civils, hommes, femmes, adolescents. Pour tuer.

Ce n’est pas la première fois, et certainement pas la dernière, qu’Israël affronte une vague de terreur. Outre les guerres traditionnelles, ce pays a vécu nombre d’attentats suicides qui ont visé indistinctement l’ensemble de la population. Les civils en ayant fait plus souvent les frais que les militaires, dans la plupart des cas.

Mais, entre une révolte populaire, voire même des bombes posées au hasard dans les bus dont les victimes restent abstraites pour qui commet le crime, et la déshumanisation totale de la victime qui autorise un corps-à-corps au couteau, il y a un fossé aujourd’hui allégrement franchi.


48 années d’occupation


Que se passe-t-il alors dans la tête d’un jeune de treize ou quinze ans, pour, de manière préméditée, sortir dans la rue armé d’un couteau de cuisine et le planter sans hésitation dans le corps d’un passant ? La raison le plus souvent invoquée est l’humiliation, l’exaspération, ressentie au bout de 48 années d’occupation.

Et certes, depuis 1967, Israël occupe les Territoires palestiniens, et cette occupation, si elle humilie et bafoue les droits des Palestiniens, corrompt aussi la société israélienne. On pourra discuter à l’infini des raisons qui, après la guerre des Six-Jours, ont poussé la gauche israélienne, au pouvoir à l’époque, à initier ce mouvement, puis la droite à le renforcer jusqu’au point d’en faire le seul axe de sa doxa idéologique.

Toujours est-il que l’occupation contraint les appelés de Tsahal (19 ans d’âge moyen) à exercer une fonction de police qui, pour la plupart d’entre eux, les répugne.

Sans justifier aucunement l’occupation et sans minimiser les différences de statuts entre habitants Juifs et Arabes à Jérusalem, ceux qui pensent un peu rapidement que la présence israélienne dans les Territoires palestiniens s’apparente à l’occupation allemande en Pologne durant la Seconde Guerre mondiale seraient avisés d’aller faire un tour à Ramallah ; ils seraient surpris de découvrir une ville normale à l’atmosphère effervescente d’où toute présence militaire est absente. 


Les contrôles ne disparaîtront pas de sitôt


Alors oui, résultat de la politique d’occupation qui engendre contrôles et sécurité, les forces de sécurité israéliennes établissent des check-points au gré des tensions. Personne ne le nie. On peut le déplorer , mais Israël n’ayant pas pour voisins la Suisse et la Belgique, gageons que même dans le cas d’une solution à deux États, les contrôles ne disparaîtront pas de sitôt.

On peut raisonnablement penser que la solution de deux États pour deux peuples réglerait une bonne fois pour toutes cet interminable et déprimant conflit.

Mais, sans vouloir refréner l’ardeur de ceux qui pensent ainsi (et j’en fais partie), on peut tout aussi raisonnablement être interpellé par les propos véhiculés dans les mosquées et par certains responsables de l’Autorité palestinienne.

Outre qu’on peut s’interroger sur les raisons qui interdiraient aux non musulmans l’accès à leurs lieux saints, le discours palestinien, et d’une manière plus large, arabe, évoque sans cesse la souillure que représenterait la présence de Juifs sur le Mont du Temple/Esplanade des mosquées. « Les Juifs n’ont pas le droit de souiller la mosquée Al Aqsa et l’église du Saint-Sépulcre de leurs pieds sales » (Mahmoud Abbas). Un rapide coup d’œil aux prêches diffusés dans les mosquées, où les Juifs sont inlassablement décrits comme des descendants de singes et de porcs, montre le niveau du discours. « Poignardez ! Mon frère de Cisjordanie : poignardez les mythes du Talmud… » (Cheik Mohammed Sallah de Rafah). Et que dire alors des Arabes agnostiques ou libres penseurs qui, incapables de réciter une sourate du Coran demandée à l’entrée d’Al-Aqsa, s’en voient aussi refuser l’entrée.

Que je sache, un Arabe peut accéder au Mur des lamentations, j’en ai moi-même fait l’expérience en accompagnant des délégations d’imams de France lors d’un voyage en Israël et dans les Territoires palestiniens sans que cela ne soulève aucun problème.

Mais ne finassons pas. Compte tenu du contexte , la règle du statu quo qui interdit aux non musulmans de prier sur l’Esplanade des mosquées est sage, et cet accord, quoi qu’en disent les Palestiniens, n’a jamais été remis en cause, à l’exception d’une petite minorité d’illuminés qui tente de faire pression sur le gouvernement israélien dont certains membres, il est vrai, leur prête malheureusement une oreille complaisante. Pour la grande majorité des Israéliens, cette question n’en est pas une.


Les vieilles antiennes antisémites


Ce qui en est une en revanche, pour les Israéliens en particulier, et pour les Juifs en général, c’est l’inlassable discours complotiste et antisémite véhiculé dans le monde arabe, lequel, finalement, ne soulève que peu d’indignations dans le monde occidental. On se souviendra, par exemple, que les attaques de requins dont ont été victimes il y a quelque temps des touristes dans la mer Rouge, ont été, selon la presse égyptienne, organisées par le Mossad afin d’affaiblir l’économie égyptienne…

Or ce discours, qui reprend sans vergogne les vieilles antiennes antisémites, infecte les esprits dans le monde arabe, et au-delà. Le 24 octobre, à Marseille, un Juif portant kippa a été poignardé dans la rue par un déséquilibré.

Par quoi donc un adolescent de quinze ans qui, le matin, s’empare d’un couteau de cuisine, et part sillonner les rues de Jérusalem afin de tuer au hasard n’importe quel Juif, parce que Juif, tout en sachant qu’il a toutes les chances d’être abattu, est-il mû, si ce n’est par le discours djihadiste appelant sans cesse à se débarrasser des fils de singes et de porcs qui polluent l’Esplanade des mosquées et, au-delà, la Palestine entière ? Le discours djihadiste, aujourd’hui, a transcendé le discours traditionnel de libération nationale prégnant il y a encore quelques années.

Il est temps que l’Occident abandonne le voile de condescendance qui obscurcit sa raison à l’égard du monde arabo-musulman et dire enfin que l’homme aliéné par le fatras religieux est loin d’être un couteau sans lame à qui il manque le manche.


Olivier Rubinstein, éditeur.

Le Monde, 30 octobre 2015