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20 novembre 2015

Abdelhamid Abaaoud, as de la mise en scène et cerveau terroriste



Selon les services de renseignements, le Belge, tué mercredi lors du raid des forces de l'ordre à Saint-Denis, aurait été derrière plusieurs attentats ou tentatives d'attentats en Belgique et en France.

Il ne sera pleuré par personne. Le cerveau présumé des attentats de Paris, Abdelhamid Abaaoud, a été tué dans l'assaut donné mercredi à un appartement de Saint-Denis. Son corps a été formellement identifié, a indiqué le parquet jeudi. L'enquête devra dire comment ce djihadiste, réputé comme l'homme «le plus recherché de Belgique» et sans doute d'Europe depuis son implication probable dans les massacres de Paris, était juste caché, loin de la Syrie, dans un immeuble miteux de banlieue parisienne. Peut-être a-t-il simplement profité de la relative méconnaissance qu'ont de lui les services chargés de le traquer.

Car on ignore encore largement les ressorts qui animaient ce Belge de 28 ans, si ce n'est au travers de l'autoportrait satisfait qu'il s'est ingénié à dessiner sur Facebook ou Twitter. On n'en sait guère plus sur le chemin fulgurant qui a conduit cet obscur délinquant de petite envergure vers la célébrité et l'islamisme sanglant. Celui qui se fait appeler Abou Omar al-Soussi, en référence à ses origines marocaines, ou Abou Omar al-Baljiki, apparaît pour la première fois dans une vidéo à l'été 2013. Il dit alors qu'il vient de rejoindre la Syrie et les rangs de l'État islamique et traîne dans une villa d'Alep avec d'autres djihadistes francophones. Il n'est qu'un parmi des dizaines d'autres, un anonyme expliquant avoir vu «toute sa vie le sang des musulmans couler» et assurant vouloir que «Dieu casse le dos de ceux qui s'opposent à lui».

Il n'aura ensuite de cesse, sur les réseaux sociaux, de poster des photos de lui, kalachnikov en main ou tirant sur un supposé ennemi, accompagnées de textes vantant les joies de la vie au «pays de Châm» et les bénédictions accompagnant les combattants d'Allah. Il apparaît toujours souriant, cheveux et barbe soignés. Un apprenti idéal, véritable tête de gondole de la propagande djihadiste, à l'opposé des discrets loups solitaires. Pour parfaire le portrait, on le voit parfois avec son jeune frère, Younès, entraîné en Syrie fin 2013, à 13 ans.
 
Dans les faits, les services de renseignements soupçonnent Abdelhamid Abaaoud de s'être rendu en Syrie plus tôt, avant de revenir en Belgique, via la Grèce, puis de retourner discrètement dans le fief de l'EI. L'activisme sur les réseaux sociaux d'Abou Omar, loin de la simple vantardise d'un djihadiste en mal de reconnaissance, serait en réalité une campagne de recrutement dirigée par Abou Mohammed al-Adnani, le porte-parole de l'EI qui appelle à tuer les Européens en général et les Français en particulier. Quant aux allers-retours vers l'Europe, dont Abdelhamid Abaaoud semble s'être fait une spécialité, ils seraient des préparatifs à des attentats.

Début 2015, son téléphone portable est ainsi repéré en Grèce alors qu'il appelle un homme sous surveillance en Belgique. Ce contact, quelques jours après les assassinats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, effraie les policiers qui soupçonnent déjà Abaaoud d'avoir été impliqué dans la tuerie du Musée juif de Bruxelles, orchestrée par Mehdi Nemmouche le 24 mai 2014. Les services spéciaux belges déclenchent, le 15 janvier à Verviers, une opération où deux terroristes présumés sont tués. Dans le logement de cette petite commune connue pour être un foyer islamiste, les enquêteurs découvrent un arsenal et la certitude qu'une vaste opération y était en préparation.
Dans une interview donnée en février à Dabiq, le journal étonnamment haut de gamme de EI, Abaaoud assure avoir été tout près de Verviers lors de cet assaut. Narquois, il explique avoir pu retourner en Syrie presque sans mal car «Allah avait aveuglé» les policiers. Des affirmations jamais confirmées de sources officielles mais qui mettent à mal l'efficacité des services de sécurité occidentaux. Car Abaaoud est entre-temps devenu aux yeux du monde une sorte de symbole de la brutalité des djihadistes issus des banlieues européennes.

Une rapide ascension dans la hiérarchie de l'EI

Une vidéo sordide, diffusée par les médias belges, a fait de l'ex-combattant lambda le «Boucher de Raqqa». Elle date de mars 2014. On y voit Abou Omar faire ses premiers pas de soldat du djihad. Il ramasse les cadavres de Syriens abattus par l'EI avant de les traîner à travers champs, accrochés à l'arrière d'un pick-up, vers une fosse commune. «Avant, on traînait des remorques ou des jet-skis, maintenant ce sont des infidèles», explique-t-il en riant. En même temps, il donne des ordres à ses hommes, signe que celui qui n'est encore qu'un soutier de la guerre sainte commence sa rapide ascension dans la hiérarchie de l'EI.
Verviers est la confirmation de cette carrière fulgurante. Dès lors, les enquêteurs retrouvent sa trace dans toutes les opérations d'envergure. Les Français le soupçonnent fortement d'avoir été le guide, via deux jeunes hommes issus de Seine-Saint-Denis, de Sid Ahmed Ghlam, interpellé en avril à Paris alors qu'il projetait de mitrailler une église à Villejuif. Il est apparu aussi dans le raid du Thalys maladroitement exécuté par Ayoub el-Khazzani le 21 août.

Surtout, selon Le Monde, toujours en août, son nom apparaît, cette fois clairement, dans un projet d'attentat en France. Reda Hame, un djihadiste français interpellé à son retour de Syrie, affirme au magistrat qui l'interroge qu'Abdelhamid Abaaoud lui aurait remis de l'argent et des ordres pour attaquer «une salle de concert» pour faire «le maximum de victimes».
L'affaire est prise d'autant plus au sérieux que depuis peu Abou Omar s'est fait ces derniers mois brutalement invisible. Plus un mot sur Internet. À l'automne, sa mort a même été annoncée à sa famille, via des connaissances. Mais les policiers doutent de la véracité de ce message. Le faux décès est une stratégie classique pour les djihadistes qui veulent redevenir discrets avant de passer à l'action.
Quand l'horreur déchire le Bataclan, les spécialistes font immédiatement le lien. 

L'émergence du nom de Salah Abdeslam dans l'attentat - toujours recherché par les forces de l'ordre - renforce les convictions. Les deux hommes se connaissent très bien.
Ils ont grandi ensemble à Molenbeek-Saint-Jean, un quartier pauvre de Bruxelles. Abdelhamid habite rue de l'Avenir et Salah quelques pâtés de maisons plus loin. La vie n'est pas misérable. Le père de la famille, Omar Abaaoud, un Marocain arrivé en Belgique quarante ans plus tôt pour travailler dans les mines, a relativement réussi. Il tient une boutique de vêtements sur la place du marché et rêve d'un avenir meilleur pour ses enfants. Il envoie Abdelhamid au collège Saint-Pierre, un établissement de bonne réputation. Mais le garçon, indiscipliné, est renvoyé au bout d'un peu plus d'un an. Il dérive et suit alors la trajectoire des petits voyous, enchaînant les délits assez minables. En 2010, il finit par purger une peine pour braquage dans la même prison que Brahim, le frère de Salah, et l'un des futurs kamikazes parisiens.
Les efforts d'Omar, qui achète une boutique à son fils, ont pourtant un temps semblé couronnés de succès. À sa sortie des geôles, le futur tueur est calme. Il ne se fait plus remarquer pour sa violence et encore moins pour sa foi. Avec Salah, il fréquente le café géré par Brahim, plus connu pour être une zone de petits trafics de drogue qu'un haut lieu de l'extrémisme. On y boit et, selon les voisins, l'odeur de haschich est commune. Quand et où Abdelhamid se radicalise? Nul ne le sait.
Sa sœur Yasmina ne comprend pas. «Avant de partir en Syrie, il n'allait même pas à la mosquée», dit-elle. Le père désavoue ce fils maudit. «Je n'en peux plus. Je suis à bout de force. J'ai honte pour Abdelhamid mon fils, pleure-t-il dans une interview accordée au journal Het Laatste Nieuws. Il a ruiné nos vies.»

Tanguy Berthemet,

Le Figaro, 19 novembre 2015

Chronologie

1987 - Abdelhamid Abaaoud naît en Belgique dans une famille originaire du Maroc. Il grandit et vit à Bruxelles.

2010 - Il effectue une peine de prison avec Brahim Abdeslam, futur kamikaze du 13 novembre.

2013 - Abaaoud part en Syrie pour rejoindre les rangs de l'État islamique. Il devient Abou Omar al-Soussi.

2014-2015 - Le djihadiste est soupçonné par les services de renseignements d'être à l'origine de plusieurs attentats ou de tentatives d'attentats en France et en Belgique.

18 novembre 2015 - Abaaoud est tué lors d'une intervention du Raid à Saint-Denis, cinq jours après les attentats de Paris.