Introduction :
Vous avez pu entendre le 1er
novembre dernier Bernard Schalscha, éditorialiste au journal en ligne "La
Règle du jeu". Ma première question concernait Bernard-Henri Lévy. J'avais dit : "je suis frappé par à la
fois le pouvoir qu'on lui accorde, comme s'il était lui tout seul responsable
du renversement de Kadhafi ou de la guerre civile en Syrie, et par la violence des
attaques qu'il subit. Ainsi, sur FaceBook il y a de nombreuses pages haineuses
contre lui, par exemple celle appelée "Pour que BHL ferme sa gueule à tout
jamais" qui a plus de 10.000 "like". Je lis souvent des menaces
de mort le concernant. Alors pourquoi à votre avis cette détestation ?"
Mon invité avait rappelé que cette hostilité était ancienne, qu'elle était liée
à une haine antisémite, mais qu'il était détesté, aussi, pour ses prises de
position contre les dictatures.
Notre émission a été
enregistrée le 29 octobre, nous n'étions pas au courant de la manifestation
effrayante d'une quinzaine d'extrémistes de droite, qui allait le viser
personnellement deux jours après, boulevard Saint Germain à Paris. Cette
manifestation a été filmée, on peut la voir sur ce lien
.
Bernard Schalscha, très inquiet
bien sûr de l'antisémitisme ouvert qui s'est affiché lors de cette
manifestation, a écrit un article là-dessus dans la "Règle du Jeu".
Je le reprends ici avec plaisir.
J.C
L’inquiétant affichage antisémite contre BHL
Un pas vient d’être franchi
samedi 31 octobre avec le rassemblement organisé par un groupuscule d’ultra
droite catho-intégriste se prenant pour le «renouveau» de notre pays.
La
haine antisémite dont Bernard-Henri Lévy fait l’objet n’est pas nouvelle. Elle
se déchaîne surtout ces temps-ci sur le Net, où l’on trouve même des groupes
Facebook entièrement dédiés aux vomissures que déversent de dangereux minables
aux patronymes d’origines les plus diverses – sans que, soit dit en
passant, ni les autorités judiciaires de la République ni les responsables du
réseau social ne trouvent rien à y redire. Mais un pas vient d’être franchi
samedi 31 octobre avec le rassemblement organisé par un groupuscule d’ultra droite
catho-intégriste se prenant pour le «renouveau» de notre pays, dont ils
incarnent bien plutôt le passé pétainiste le plus écœurant. Une quinzaine de
petits fachos ne font pas le printemps (français), certes, mais il est
révélateur que ces arriérés se soient lancés dans une initiative destinée à
hurler dans la rue, en l’occurrence le boulevard Saint-Germain, ce que les
autres se contentent d’écrire depuis leur ordinateur à l’abri de leur
chambrette.
Faut-il
accorder de l’importance à l’initiative d’un quarteron de débris nostalgiques
des ligues factieuses d’avant-guerre cherchant à se faire une place sur le
marché de l’antisémitisme ? Oui, car leur pauvre petite mobilisation est malgré
tout un symptôme grave du climat sinistre qui tend à se développer en France.
Ainsi, le 26 janvier 2014, quelques dizaines de fascistes avaient scandé «Juif,
barre-toi, la France n’est pas à toi». C’était une première depuis quelque
soixante-dix ans dans une rue parisienne, mais les ordures qui braillaient ça
étaient dissimulés dans l’anonymat de la manifestation dite «Jour de colère».
Chez leurs frères ennemis – ou peut-être pas si ennemis que ça finalement
– islamistes et nationalistes arabes, les invectives contre les Juifs ont aussi
fusé à diverses reprises ces dernières années. Mais là encore ceux qui les ont
proférées étaient noyés au milieu de leurs petits camarades de cortège. Ce qui
différencie la dernière démonstration antisémite ciblant BHL, c’est qu’elle est
ouvertement revendiquée par un groupe qui affiche clairement son nom et dont les
membres, leur chef en tête, savent qu’ils seront aisément identifiés puisque
ils assument d’être sur la vidéo tournée à l’occasion et mise en ligne. Ces
gens tentent de franchir ostensiblement une ligne rouge.
Il
fut un temps où les petits fachos de ce genre recevaient la correction méritée
lorsqu’ils cherchaient à faire suinter publiquement leur pus antisémite. Ce
temps est révolu, et c’est une bonne chose. Car la République s’est dotée de
lois réprimant le délit de provocation « à la discrimination, à la haine ou à
la violence l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur
origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée ». On ne peut dès lors douter que la justice fera son
travail en déclenchant les poursuites qui devront aboutir à des inculpations
puis à des jugements et, bien sûr, des condamnations.
Les
pauvres types qui se sont rassemblés samedi dernier boulevard Saint-Germain se
sont cependant bien gardés d’utiliser le mot «juif». Courageux mais pas
téméraires, et peut-être que papa et maman ne payeraient pas l’amende si elle
était trop lourde. Mais nul n’est dupe, c’est-à-dire qu’aucun magistrat ne peut
être dupe des formulations employées, comme par exemple «milliardaire
talmudiste». Une rapide recherche sur le Net démontre que «talmudiste» est
devenu le terme codé de l’extrême droite pour tenter de contourner les procès
pour antisémitisme. Les juges sauront aussi parfaitement comprendre ce que
signifie demander que l’on retire à Bernard-Henri Lévy la nationalité
française. En cas de besoin ils pourront ouvrir avec profit leurs livres
d’histoire au chapitre Vichy.
Il
est heureux que plusieurs associations (UEJF, Egam, SOS Racisme) aient élevé de
fermes protestations. Mais c’est loin de suffire. On attend maintenant les
réactions des politiques, des intellectuels, des autorités. Il ne s’agit pas de
défendre la personne de BHL. Il s’agit de défendre ce qui a été visé en lui :
le Juif. S’attaquer à BHL parce qu’il est juif, c’est attaquer tous les
Juifs. C’est s’attaquer à la démocratie française. Personne ne peut laisser
passer ça.
Bernard Schalscha
La Règle du jeu, 5 novembre
2015