J’ai appris avec tristesse le décès, le 30 décembre, de l’ancien président indonésien Wahid : à la tête du plus grand pays musulman du monde pendant deux petites années à l’aube de notre siècle, il n’eut pas le temps, hélas, d’imposer sa marque à ce pays. Peu de gens le savent, il défendit avec courage l’ouverture de relations diplomatiques avec Israël, ce qui lui fut durement reproché et ne pu aboutir. Mais il ne s’agissait pas d’une lubie particulière, car une fois de plus se trouve illustrée une vérité toujours confirmée : parmi les Musulmans, ce sont les tenants d’un islam tolérant, ouvert au dialogue avec les minorités et les autres religions qui reconnaissent la légitimité de l’état juif, et qui croient en la paix !
Ci-dessous l’article hommage publié dans le journal « Le Monde ».
Plusieurs milliers de personnes ont assisté, jeudi 31 décembre, à Jombang (Java), aux funérailles de l'ancien président indonésien Abdurrahman Wahid, témoignant du respect qu'ils portaient à ce partisan d'un islam tolérant qui fut, de 1999 à 2001, à la tête du pays musulman le plus peuplé du monde.
Connu sous le surnom de Gus Dur, cet intellectuel musulman, presque aveugle, avait été la grande figure de l'opposition au général Suharto chassé du pouvoir, en 1998, après trente-deux ans de dictature. Il lui avait succédé, en octobre, l'année suivante, ouvrant la voie à une ère de pluralisme et de démocratie dans son pays.
Agé de 69 ans, Abdurrahman Wahid était en mauvaise santé depuis plusieurs années : diabétique, il avait été victime d'attaques cérébrales successives. Il est décédé à Jakarta le 30 décembre.
Intellectuel et mélomane
Né le 7 septembre 1940 dans une grande famille musulmane de Jombang qui avait combattu pour l'indépendance, cet intellectuel défenseur de la tolérance éthique et religieuse présida l'un des plus grands mouvements musulmans du pays : la Nahdlatul Ulama (NU) qui compte 40 millions de membres.
Il avait été élu chef de l'Etat par le Parlement en 1999, l'emportant sur la candidate alors la mieux placée, Megawati Sukarnoputri. Mais il avait dû quitter le pouvoir en 2001, à la suite d'un vote de défiance de ce même Parlement sur fond d'allégations de corruption qui n'ont jamais été prouvées.
Homme de grande culture, parlant plusieurs langues, mélomane, Abdurrahman Wahid était connu pour ses plaisanteries, ses discours improvisés et des déclarations parfois énigmatiques mais souvent non dénuées d'humour.
Impulsif et parfois imprévisible, paraissant somnoler lors d'événements officiels, il a dirigé l'Indonésie au cours d'une période de transition démocratique marquée par une grave crise économique et des violences séparatistes et intercommunautaires, notamment à Aceh ou dans les îles Moluques. Le 25 décembre 2000, des attaques terroristes coordonnées dans des églises à Jakarta et dans des villes de province, attribuées à l'organisation Jemaah Islamiyah, avaient causé la mort de dix-huit personnes.
Tout en luttant contre les extrémistes de tous bords, Abdurrahman Wahid a toujours cherché le dialogue avec les séparatistes. Une approche conciliante qui lui valut les critiques des militaires. Partisan de la tolérance religieuse, il répondait à ses adversaires : "Ceux qui me jugent pas assez musulman doivent lire le Coran : l'islam est en faveur de l'inclusion et de la tolérance." "Le président Abdurrahman Wahid était musulman mais il fut une bénédiction pour toutes les confessions", a déclaré au journal Jakarta Post l'archevêque de la capitale, Julius Darmaatmadja, dans un hommage au président défunt.
Défense de Salman Rushdie
Abdurrahman Wahid avait été l'un des rares intellectuels indonésiens à défendre Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques. Il s'était en outre attaqué à un tabou en Indonésie en appelant à l'établissement de relations diplomatiques avec Israël.
Au cours de sa présidence, il s'était rendu au Timor-Oriental pour s'excuser auprès de la population des atrocités commises par son pays et il avait essayé sans succès de mettre en place une commission de paix. Il limogea, en revanche, son ministre chargé de la sécurité, le général Wiranto, qui avait commandé les troupes au Timor-Oriental au moment des massacres de 1999.
Dans les dernières années de la dictature de Suharto, Abdurrahman Wahid ne ménageait pas ses critiques mais, en raison de sa position et du respect que lui portaient beaucoup d'Indonésiens dont témoigne l'émotion provoquée par sa mort, il avait bénéficié d'une certaine immunité.
Malgré la détérioration de son état de santé, il était resté actif sur la scène politique au point de proposer en septembre 2007 de faire à nouveau campagne pour la présidence en 2009 si les chefs de son mouvement le lui demandaient. Sa proposition était restée sans suite.
Philippe Pons
« Le Monde », 2 janvier 2010
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