Les primaires qui ont désigné Tzipi Livni comme successeur du premier ministre Ehoud Olmert à la tête du parti Kadima et du gouvernement ont moyennement passionné les Israéliens ; en revanche, juste avant ces élections internes au parti, la tension est montée d'un cran entre Olmert et les partisans de Benyamin Netanyahou, le dirigeant du Likoud.
Dimanche 15 septembre, à la suite des émeutes organisées par les habitants de la localité de Yitzhar qui ont pénétré dans le village arabe de Asira el-Kibliyeh pour venger l'attaque d'un Palestinien contre un enfant de 9 ans, Olmert a saisi l'occasion pour rappeler sa doctrine qui tient en trois points principaux : d'une part, d'une manière assez provocante, Olmert a martelé que l’État d'Israël n'admettrait pas de pogroms contre les populations non juives ; deuxièmement, il a déclaré que l'idée du grand Israël était une idée morte et sans avenir ; enfin, il a fait le vœu qu'Israël continue les difficiles pourparlers avec l'Autorité palestinienne et les négociations indirectes avec la Syrie car selon ses mots : « la paix est le moyen ultime d'assurer la sécurité de l’État d'Israël ».
En fait, Olmert termine son mandat comme il l'a commencé : en annonçant ce qu'il pense, ce qu'il souhaite pour son pays, quelles sont les lignes directrices qui conduisent son action politique. Ce message de clarté lui aura sans doute valu son impopularité. Mais force est de constater que quiconque prétend diriger un pays doit au moins avoir le cran de porter sa politique et ses convictions sans ambiguïté. Cela ne fait pas toujours du bien dans les sondages. Cela peut avoir des effets désastreux d'un point de vue médiatique. Cela rend encore plus vulnérable aux attaques des adversaires politiques. Mais un homme politique qui serait incapable de dire ce qu'il veut, de manière à ce que les électeurs sachent pour qui ils votent, sacrifiant aux lois des relations publiques qui ont tendance à se substituer au discours politique, détruisant ainsi les mécanismes qui assurent la bonne santé de toute démocratie, un tel homme ferait sans doute un pitoyable leader. Et Israël a besoin de leaders. Maintenant.
Les déclarations d'Olmert, à la parole libérée, ont provoqué une tempête dans le Likoud qui a immédiatement répliqué : Guidéon Saar a vivement attaqué ses propos, tandis que Youval Steinitz a accordé une interview au « Jerusalem Post ». Il a déclaré, prenant le contre-pied d'Olmert, que c'était l'idée de « deux peuples - deux États » qui était morte, depuis les Accords d'Oslo. A propos des négociations avec l'Autorité palestinienne, Steinitz a dénoncé l'absence d'un partenaire crédible, comparant Mahmoud Abbas à Yasser Arafat. En ce qui concerne la Syrie, il a annoncé qu'un retrait du Golan signifierait la présence de l'Iran à la frontière nord d'Israël, de la même manière que le retrait du Goush Katif avait amené le Hamas et son patron chiite à sa frontière sud. Pour conclure, Steinitz a déclaré que l'idée d'un État binational - un État d'Israël admettant deux nationalités, l'israélienne et la palestinienne - devait être réactivée.
Rien de neuf, si ce n'est la déclaration que le Likoud renonce clairement à la création d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Ce qui est remarquable en revanche, c'est le silence du dirigeant du Likoud.
Benyamin Netayahou n'a pas répliqué à Olmert. Il ne s'est pas prononcé sur la continuation du processus de paix avec la Syrie ou l'Autorité palestinienne. Ce sont deux « jeunes » du Likoud qui ont mené la contre-attaque et cette « délégation » n'est pas sans intérêt. En fait, le discours public de Netanyahou se limite d'une manière significative à trois sujets: le Hezbollah, l'Iran, le Hamas. Des sujets sécuritaires consensuels qui ne provoquent aucune controverse en Israël, et c'est sans doute la raison pour laquelle Bibi caracole en tête des sondages. Il est remarquable que Shaul Mofaz, l'adversaire de Tsipi Livni qui avait rejoint tardivement Kadima dans un revirement spectaculaire après avoir présenté sa candidature à la présidence du Likoud contre Benyamin Netanyahou, ait adopté exactement la même technique et surfe sur la même vague. Mais ce cantonnement du discours aux sujets sécuritaires a également un autre avantage : paradoxalement, c'est lui qui permet à Netanyahou de préparer son avenir en tant que chef d’État.
Netanyahou est un homme politique avisé et expérimenté. Il sait donc qu'un chef d’État doit tracer son chemin en fonction de deux choses qui déterminent, influencent, et limitent son action : son programme, les pressions internes et externes dont l'imbrication crée les contours du possible, et non pas toujours du souhaitable, dans la réalité. Contrairement à ce qu'il souhaitait, et à cause de la pression américaine, Netanyahou, du temps où il était premier ministre, avait dû remettre Jericho et Hebron à Yasser Arafat. Au moment de la crise avec la Jordanie, suite à la malheureuse tentative d'assassinat de Khaled Meschaal dans les rues d'Amman, Netanyahou, en pleine intifada, avait pourtant été contraint de relâcher des prisons israéliennes le chef spirituel du Hamas, le cheikh Yassine [1] (celui-là même qui a été éliminé en plein Gaza sous les ordres du cabinet d'Ariel Sharon en 2002). On comprend maintenant pourquoi Netanyahou préfère envoyer ses partenaires politiques prendre la parole sur des sujets aussi délicats que la Syrie ou l'Autorité palestinienne : d'une part, quelque soit le prochain président des États-Unis, la Maison Blanche a fait du dossier israélo-palestinien un dossier prioritaire. Dit autrement : Washington veut un accord. Dit autrement encore : Washington veut la création d'un État palestinien et l'idée d'un État binational risque de fâcher très vivement. Ils pourraient en représailles refuser de nouvelles livraisons d’armes si Israël rejetait les négociations avec l'Autorité palestinienne sur la base « deux peuples - deux États ». D'autre part, il est tout à fait possible que les États-Unis finiront par changer leur politique vis à vis de la Syrie, acceptant de parrainer des pourparlers ne serait-ce que pour contrer l'influence des Français qui se sont invités sur ce dossier d'une manière il faut dire avisée.
Netanyahou sait tout cela. Il sait qu'il ne pourra pas faire cavalier seul et rejeter d'un revers de la main les exigences américaines. Ni même celles de la France qui ne peut certainement pas être comptée pour rien en Europe, plus encore depuis la politique diplomatique offensive de son nouveau Président. C'est pourquoi Netanyahou laisse Steinitz et Saar mener l'offensive tant sur le dossier palestinien que sur la Syrie, faisant ainsi d'une pierre trois coups : il ménage les Américains et les Européens avec lesquels il devra bien s'entendre quand il sera premier ministre ; il laisse Steinitz et Saar se « griller » politiquement, ce qui aura pour effet de le présenter sur la scène internationale comme seul interlocuteur modéré et crédible ; il utilise Saar, Steinitz et Rivlin pour conquérir l'opinion publique israélienne et s'installer sans se mettre en danger personnellement. C'est ce qui explique également que Netanyahou, contrairement à Mofaz qui est un novice en politique internationale, se garde bien de parler d'une attaque militaire contre l'Iran : s'il peut se permettre des sorties verbales contre Téhéran - si ça ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal non plus - Netanyahou ne franchit pas la ligne rouge qui a été tracée par Paris et Washington.
Alors oui, l'idée d'un grand Israël, comme l'a annoncé Olmert, est bien morte. Et qu'il le veuille ou non, Netanyahou pourrait avoir à parler non seulement avec l'Autorité palestinienne mais aussi avec le Hezbollah, le Hamas, l'Iran et la Syrie. Car tel est le chemin que risque de prendre la politique des États-Unis [2], ce qui aurait des répercussions considérables sur le monde arabe et sur Israël - dans quatre mois, autant dire tout de suite. Kadima est le seul parti politique israélien - le silence des Travaillistes est au moins autant remarquable que celui de Bibi - à préparer l'opinion publique à ce qu'il faut bien appeler une révolution géopolitique.
Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem
[1] Pour le détail de ces affaires, voire le livre de Gordon Thomas : « Mossad's secret warriors, Gideon Spies » éditions Pan Book, 1999. Les rapports entre Netanyahou et le Mossad sont également examinés.
[2] Nota de Jean Corcos : on aura relevé à ce sujet la semaine dernière, la déclaration commune fort inquiétante de cinq anciens ministres des affaires étrangères -dont l’inévitable anti-israélien notoire Baker, mais aussi Powell et Kissinger -, appelant à un dialogue avec la République Islamique