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23 novembre 2008

Dagan, Halevi, Livni, and co …

L'entrée en fonction d'un nouveau Président s'accompagne toujours d'un remaniement de l'administration qui aura pour fonction de mettre en œuvre sa politique et à l'occasion ses revirements d'alliance. Il est ainsi des personnages clés dont l'influence est considérable sur les affaires nationales. En Israël, parce que le pays est en guerre, concentré sur les conditions à même d'assurer sa survie, le chef du Mossad est incontestablement un fonctionnaire central qui non seulement illustre et incarne la ligne politique choisie par le Premier Ministre mais aussi, jusqu'à un certain point, la détermine.
Meïr Dagan, dans un pays où chacun, y compris un chef du Mossad, court après la reconnaissance publique et la publicité, est un type de la vieille école : il ne se montre pas et il se tait. Cette discrétion est devenue tellement rare qu'elle le ferait presque remarquer. Il est une raison, autre qu'axiomatique, à cette invisibilité : Dagan, un ancien des opérations spéciales de l'armée, qui a servi pendant la première guerre du Liban, n'est pas un diplomate, un politique ou un intellectuel mais un opérationnel doublé d'un tacticien. Cette parenté de nature explique sans doute pourquoi Ariel Sharon l'avait choisi pour diriger le Mossad. Mais, quoique paradoxale, cette différence de nature explique aussi pourquoi Ehoud Olmert l'avait reconduit dans ses fonctions : parce qu'Olmert est justement un diplomate, un politique, et un intellectuel, il avait besoin d'un homme comme Dagan. D'une part, pour équilibrer son absence d'expérience militaire [1]. D'autre part, pour gagner la confiance des opérationnels. Pour ce que l'on en sait, le couple a bien fonctionné. Du moins, si l'on en juge par les résultats.
Celui qui lit les journaux arabes sait combien Dagan est détesté. D'abord, il est associé à Ariel Sharon, lequel est associé à la « boucherie » de Sabra et Chatila. Ensuite, Dagan est associé aux éliminations audacieuses de terroristes dont le dernier en date est Imad Mouhgnieh. Enfin, sa main est visible derrière des opérations telles que le bombardement de la probable centrale syrienne ou des explosions mystérieuses dans des centres de recherches nucléaires iraniens. Bref, Dagan est détesté des Arabes parce qu'il est redouté. Si les journaux israéliens ont raison de dire que l'une des priorités d'Israël est de rétablir son pouvoir de dissuasion, alors force est de constater que Dagan, sous le gouvernement de Sharon et ensuite d'Olmert, a largement rempli sa mission.

Alors Dagan, une espèce de brute sans scrupules qui frappe là où ça fait mal ? Très certainement. Mais pas seulement. L'artisan de la politique contre l'Iran, c'est lui. L'artisan du rapprochement avec la Syrie, c'est encore lui. Comment ? D'une part, il faut comprendre les méthodes de négociations au Moyen-Orient, qui sont bien différentes de celles auxquelles nous sommes habitués en Europe : au Moyen-Orient, les coups font partie des négociations. Mieux : ils inaugurent parfois une reprise des négociations. Cela peut sembler étrange, mais la ruse a ses raisons. Après tout, le président français Nicolas Sarkozy a bien menacé le Président syrien Bacher Assad de rupture diplomatique - et même pire encore - avant de l'accueillir six mois plus tard en France. Et Bush aura menacé l'Iran des foudres de l'enfer tout en préparant l'ouverture d'une représentation diplomatique dans la capitale iranienne. Dagan a donc pu frapper des cibles en Syrie tout en soutenant le processus des discussions politiques. Le Moyen-Orient a sa logique et tous ses peuples - arabes ou juif - comprennent cette langue après tout sémitique.
La position de Dagan vis à vis de l'Iran est en revanche sans ambiguïté et s'inscrit dans une stratégie générale pour le Moyen-Orient : opposition franche aux entreprises nucléaires et terroristes iraniennes, surveillance des tentatives iraniennes pour infiltrer les pays arabes sunnites dans le but de promouvoir une révolution conservatrice, lutte directe et indirecte contre les groupuscules manipulés par l'Iran (branche syrienne du Hamas et Hezbollah libanais). C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre les tentatives de discussion avec Damas : Assad est le passage obligé vers le Liban et le Hamas syrien. Dit autrement : Dagan veut dénouer l'alliance entre la Syrie et l'Iran, coupant ainsi le Hezbollah et le Hamas de leur patron, en faisant basculer la Syrie de l'autre côté. Les conséquences seraient incalculables tant pour Israël que pour les États-Unis, l'Autorité palestinienne, le Liban et les pays musulmans du monde entier. S'il réussit - et tout indique que l'entreprise est bien avancée - le revers pour les visées impérialistes de l'Iran serait extraordinairement sévère.

Telles ont étés, pour ce que l'on peut en dire, les lignes directrices de la stratégie politico-militaire du Mossad sous Sharon et Olmert. Le travail n'est pas terminé. C'est pourquoi deux événements majeurs doivent être regardés avec vigilance et intérêt : d'une part, la manière dont le futur président des États-Unis va gérer la question iranienne. Mais aussi, la manière dont Israël va suivre - ou changer - sa politique sur le dossier iranien. Tzipi Livni a en effet nommé Ehpraïm Halevy, ancien chef du Mossad, comme l'un de ses conseillers. Le contraste entre Dagan et Halevi est total : d'abord, d'un point de vue personnel, Halevy est un diplomate, un politique, un intellectuel, et non pas un combattant opérationnel, à qui les interventions médiatiques ne déplaisent pas, contrairement à la brutalité, au silence et à l'invisibilité redoutés du premier. Ensuite, d'un point de vue stratégique, Halevy a déjà déclaré qu'il était partisan d'un dialogue avec l'Iran. En s'alignant sur les États-Unis, il permettrait ainsi à Livni d'éviter un affrontement avec Washington, mais à quel prix : d'une part, affaiblissement de la force israélienne de dissuasion. D'autre part, destruction systématique d'une stratégie d'encerclement de l'Iran mise en place patiemment pendant 5 ans. Ensuite, renforcement psychologique du Hezbollah et de la branche syrienne du Hamas, avec pour conséquence une perte de crédibilité d'Israël auprès de la Syrie, de l'Autorité palestinienne, de la branche égyptienne du Hamas, et plus généralement des forcés modérées dans les pays arabes et musulmans. Livni, qui de surcroît s'oppose à un dialogue avec la Syrie, détruirait ainsi toute la stratégie anti-iranienne conçue par Dagan [2]. Si on rajoute à cela qu'un départ de Dagan et un bouleversement de la politique israélienne au Moyen-Orient s'accompagneraient immanquablement d'un départ du chef du Shin Bet, Youval Diskin [3] ; le prix d'un accommodement avec les États-Unis devient véritablement démesuré. Sans compter que ces initiatives prennent le contre-pied absolu de tout ce qui se fait dans l'Union Européenne, plus particulièrement depuis qu'elle est placée sous la nouvelle présidence française.

Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem


[1] Dagan est le seul chef sécuritaire dont la responsabilité n'a pas été mêlée aux échecs de la seconde guerre du Liban. Tout au contraire : la commission Winograd a montré que ses avis n'avaient jamais été retenus, ses mises en garde n'avaient pas été entendues, faisant peser la responsabilité des fautes sur l'institution militaire - plus particulièrement sur l’État-major et les services de renseignements militaires.
[2] Quand Livni a été élue aux primaires de Kadima, le roi de Jordanie s'est empressé de la féliciter. Il y a deux raisons à cet empressement : Halevi est l'auteur de l'accord de paix avec la Jordanie, pays dans lequel il a gardé de nombreux contacts. La Jordanie elle même, où le Hezbollah est très présent, et qui soutient la branche syrienne (iranienne) du Hamas qu'elle utilise à l'occasion contre l’Égypte, agit en faveur d'un rapprochement avec l'Iran. Si Halevi devient chef du Mossad, ou conseiller influent, on peut donc s'attendre à un resserrement des liens entre Israël et la Jordanie au détriment de l’Égypte et de la Syrie.
[3] Diskin est un proche de Dagan. Il est lui aussi un opérationnel avec un passé de combattant pas très a l'aise avec les médias et les politiciens. La ligne de Diskin est « dure » à propos des relations avec les Palestiniens : il s'était opposé à Olmert au sujet d'un assouplissement des critères de libération des prisonniers palestiniens « ayant du sang sur les mains ». Diskin, qui met constamment en garde contre le développement du Hamas en Cisjordanie et dans Jérusalem est, était probablement opposé à la tournure que Livni donnait aux négociations avec les Palestiniens. Il faut noter des prises de position également franchement hostiles contre l'extrême-droite israélienne.