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27 avril 2006

Iran : les trois écoles


Je ne crois pas être le fils spirituel de Cadet Rousselle, regroupant tout mon univers mental par unités de trois ... La vérité est complexe, et mérite plus de trois interprétations. On dit souvent : « De deux chose l’une », pour s’apercevoir en cours de route qu’il y avait une ou plusieurs hypothèse oubliées au début du raisonnement, et même lorsqu’on les a énoncées, on n’est pas convaincu d’avoir épuisé le sujet. Si donc je propose trois écoles à propos de l’Iran, il s’agit de présenter trois analyses sur un point précis, sans prétendre à l’exhaustivité ni dire que je reprends l’une d’elle totalement à mon compte !

Parlons donc de la menace iranienne : avant d’aborder les moyens d’y faire face (ce sera pour une future émission), il faut d’abord comprendre ce qui se passe à Téhéran, se mettre à la place de l’ennemi pour mieux parer à ce qui se prépare. Or j’ai relevé trois interprétations radicalement différentes, qui - c’est bien le pire - sont toutes les trois plausibles !

Kavéh Mohseni est un responsable de l’opposition iranienne à Paris, il tient un site de référence en lien permanent du blog,
www.iran-resist.org. Je l’ai reçu le 12 février dernier, et il a été très clair : non, il n’y a pas plusieurs tendances au sein du pouvoir en Iran ; tous, les « modérés » comme Rafsandjani ou les « durs » comme Ahmadinejad, veulent la bombe et la destruction d’Israël ; il y a un jeu de rôles entre eux, le « président fou » a été élu à l’issue d’élections arrangées pour rompre les négociations avec les Européens et discuter directement avec les Américains ; « discuter », signifie juste leur faire accepter un nouvel Iran, puissance nucléaire « sanctuarisée » et chef de file du monde musulman. Même si Ahmadinejad passe à la trappe du pouvoir, la course à la bombe continuera, mais de façon plus discrète. Les nuances ne s’appliquent pas non plus pour le clivage « Chiites-Sunnites », tous sont d’accord pour affronter l’Occident démocratique, pas par un conflit nucléaire (ils ne sont pas suicidaires), mais par une guerre d’usure terroriste. Et le peuple iranien dans tout cela ? Pour Kavéh Mohseni, la population n’est pas du tout d’accord, la misère dans laquelle vivent la majorité des gens leur fait détester un choix ruineux, mais on ne les entend pas à cause de la répression. Opposé à une intervention militaire, mon ami iranien soutient des sanctions - mais doute en même temps qu’elles marchent, convaincu aussi de la puissance du « lobby des mollahs » jusqu’au sein des démocraties occidentales ... et il a donné les noms de complices français lors notre interview !

Alexandre Adler tient une rubrique de politique étrangère tous les jeudis dans « le Figaro ». Il a publié récemment « Rendez-vous avec l’Islam » (éditions Grasset), Islam avec un « I » majuscule pour désigner la civilisation - et non minuscule pour parler de la religion. En gros, il différencie deux populations au Moyen Orient, les Arabes, sunnites dans leur majorité et complètement dépassés par la modernité ; et « les autres », Turcs et Iraniens, puisant leurs identités dans des cultures différentes et dont les sociétés sont en voie d’occidentalisation malgré les apparences. Adler croit en une aspiration profonde du peuple iranien pour une société laïque, après avoir été dégoûté par l’expérience islamiste. Il pense aussi que les relais pour une transition pacifique, une « glasnost » à la Gorbatchev, existent au sommet de la République Islamiste. Il y aurait donc un vrai débat pour l’orientation du pays, et les provocations d’Ahmadinejad, son soutien ouvert au terrorisme, ses provocations antisémites et négationnistes, sont autant de moyens d’affirmer son courant (celui des « Gardiens de la Révolution ») contre celui des réformateurs. Le projet d’armement nucléaire est conçu avant tout comme un moyen de rompre le processus de rapprochement avec les Occidentaux. Mais le courant Rafsandjani, d’abord nationaliste iranien et profondément chiite, n’est pas du tout preneur d’une union sacrée avec les djihadistes sunnites - les mêmes qui, armés en sous-main par l’Arabie Saoudite, massacrent leurs frères en religion dans l’Irak voisin.

Antoine Sfeir a été enregistré dans les studios de Judaïques FM le 18 avril dernier, l’émission doit être diffusée le 7 mai. Nous n’avons pas parlé uniquement de l’Iran mais des Chiites en général ; et je dois dire que mon invité a bousculé plusieurs idées reçues, en révélant des perspectives rarement entendues ... Je laisse bien sûr découvrir l’intégralité de ses propos pour ceux qui seront à l’écoute, mais voici en primeur son analyse pour la « menace nucléaire ». Contrairement à Kavéh Mohséni et à Alexandre Adler, il pense que tous les Iraniens, islamistes ou opposants, pro ou anti-Ahmadinejad, souhaitent que leur pays possède l’arme atomique, et cela parce qu’ils se sentent menacés. Par Israël ou par les Etats-Unis ? Pas du tout. L’ennemi héréditaire, pour eux, ce sont ... les Sunnites, qui les encerclent de partout : dans le monde arabe, à l’Ouest, en Afghanistan à l’Est ; et plus loin, dans le Pakistan qui est déjà une puissance nucléaire. Le Pakistan menaçant l’Iran ? Pourquoi pas si demain les Islamistes sunnites, fanatiques (qui font des attentats chez eux contre les mosquées chiites, on n’en parle pas assez, entre parenthèses), prennent le pouvoir à Islamabad. Mahmoud Ahmadinejad représente une tendance messianique du chiisme, la plus hostile aux Occidentaux, la même que celle de Faldlalah au Liban. Et Antoine Sfeir de reprendre à son compte une vraie lutte de pouvoir entre pro et anti-Occidentaux à Téhéran, en faisant le pari que les premiers auront le dessus - comme les Chiites, en général, sont en train de prendre le dessus sur les Sunnites au Moyen-Orient ; avec le soutien tacite des Américains, qui veulent « remodeler » la région !

Ainsi vont les interviews de ma série : les invités sont divers, et énoncent souvent des convictions opposées ; c’est ce qui fait la richesse du débat, car le but n’est pas de faire de la propagande, mais d’aider à réfléchir !

J.C