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28 novembre 2019

Iran : le jour d'après

Banque liée au régime, incendiée pendant les émeutes de novembre

TÉMOIGNAGES. Si les manifestations ont cessé en Iran, les récits sur la répression gouvernementale affluent. Amnesty International dénombre 143 morts.
 
Une semaine après avoir été ébranlé par un rare mouvement de contestation, l'Iran se reconnecte peu à peu au reste du monde. Coupé cinq jours durant par les autorités islamiques pour empêcher les manifestants de communiquer, Internet est aujourd'hui rétabli à hauteur de 64 % du niveau normal dans le pays, selon l'ONG spécialisée NetBlocks.org. « Le réseau Wifi est de retour, mais pas la 4G », explique Sadra Moaghegh, journaliste à Téhéran pour le quotidien Shargh, contacté via l'application WhatsApp. « La situation est calme aujourd'hui. À partir de dimanche-lundi, les manifestations ont commencé à faiblir. Mardi-mercredi, il ne restait plus que quelques débordements dans le pays. »
Update: It has been 200 hours since #Iran shut off the internet amid public protests in dozens of cities.

Basic connectivity is returning, but many users now face a #filternet that restricts access to the outside world
⚠️ #IranProtests #Internet4Iran

https://t.co/XQmiaOlRL7 pic.twitter.com/9epbd8pTVO
— NetBlocks.org (@netblocks) November 25, 2019
À en croire les Gardiens de la révolution, l'armée idéologique de la République islamique, des émeutes ont frappé une centaine de villes à travers l'Iran. « Il a été mis fin à ces incidents en moins de vingt-quatre heures, et dans certaines villes en soixante-douze heures », affirment les pasdarans dans un communiqué publié sur leur site officiel. D'après des responsables de la police, cités par l'agence de presse semi-officielle Farsnews, « 180 meneurs des récentes émeutes ont été identifiés et arrêtés ». Mais plusieurs chaînes iraniennes d'opposition basées à l'étranger évoquent un bilan autrement plus lourd : au moins 4 000 arrestations.

« C'était très impressionnant »

Si les manifestations se sont concentrées dans l'ouest et le sud de l'Iran, l'une des régions les plus pauvres du pays malgré sa richesse en pétrole, elles n'ont pas épargné la capitale, notamment le sud – plus modeste – de Téhéran. « C'était très impressionnant », se souvient Reza*, qui a assisté à un rassemblement dans la ville de Gharchak, au sud de la capitale. « Il y avait moins de gens que durant les manifestations de 2009, mais c'était plus violent et des gens se sont attaqués à des banques et à des stations-service », ajoute-t-il.


La révolte a éclaté vendredi 15 novembre au soir, après que le gouvernement a annoncé, en catimini, une baisse drastique des subventions gouvernementales sur l'essence. Coûtant sept centimes d'euro par litre, l'essence vendue en Iran est l'une des moins chères au monde. « La décision de supprimer les subventions sur le prix de l'essence était nécessaire et aurait dû être prise depuis longtemps afin que le choc subi par la population soit moins fort », souligne depuis Téhéran l'économiste Saeed Laylaz.
Incompétence du gouvernement
Du jour au lendemain, les prix du carburant ont augmenté de 50 % en dessous de 60 litres consommés par mois et jusqu'à 300 % au-delà. Or, dans un pays frappé de plein fouet par les sanctions américaines, où l'inflation dépasse les 40 % et l'économie est en récession (- 9,5 % prévus cette année par le FMI), la mesure a mis le feu aux poudres.
« La décision du gouvernement d'augmenter le prix de l'essence n'a servi que d'étincelle, confie Saeed Laylaz. La vraie raison demeure la pression économique subie par les Iraniens depuis quinze ans. Le vrai chiffre de l'inflation avoisine plutôt les 100 %. Ainsi, la colère exprimée est une réaction à la corruption du gouvernement, et à son incompétence sur le plan économique. » Pour cet économiste, proche du camp réformateur en Iran, c'est avant tout la mauvaise gestion du gouvernement qui explique le taux élevé de l'inflation aujourd'hui, pas les sanctions américaines.

« Classes populaires insultées »

Officiellement, le gouvernement a promis de reverser les 2,3 milliards d'euros d'économies réalisées chaque année aux couches sociales les plus défavorisées de la population, des aides qui ont commencé à être distribuées à la population dès le 18 novembre. Mais, pour beaucoup d'Iraniens, marqués par les scandales de corruption à répétition au sommet du pouvoir au cours de l'année écoulée, la mesure visait à renflouer les caisses de l'État, vidées par les sanctions américaines contre le pétrole iranien.


« Les classes sociales les plus défavorisées ont eu le sentiment d'être insultées par cette mesure, confirme Reza. Les contestataires de Gharchak lançaient des slogans politiques contre l'ensemble du régime iranien et ont été réprimés. » Pour l'heure, les sites de presse officiels iraniens se cantonnent à un bilan de cinq morts, un civil et quatre membres des forces de l'ordre (un policier, un Gardien de la révolution et deux miliciens bassidjis). « Il est intéressant de noter qu'au-delà d'informations publiées ici et là sur les sites officiels les autorités iraniennes se sont pour l'heure bien gardées de communiquer un bilan des victimes alors qu'elles disposent du chiffre exact du nombre de morts », souligne Raha 
Bahreini, chercheuse sur l'Iran à Amnesty International, interrogée par Le Point.

Nouveau bilan d'Amnesty International

D'après un nouveau rapport publié ce lundi par l'ONG, le bilan des victimes des manifestations en Iran serait d'au moins 143 morts, dont 40 pour la province du Khouzestan (sud), 34 pour celle de Kermanshah (ouest) et 20 pour la région de Téhéran. « Avec le retour d'Internet dans le pays, nous avons pu communiquer avec des défenseurs iraniens des droits humains, des journalistes, des proches et des voisins des victimes afin d'obtenir des informations crédibles en lesquelles nous avons confiance, explique au Point Raha Bahreini. Mais le vrai bilan doit être beaucoup plus élevé. »
#Iran should not kill protesters. #Ahwaz dead bodies on the streets. It seems the reports in western media are true to some extent as dead bodies can be seen laying in the streets #Internet4Iran #Iran #iranprotest
pic.twitter.com/RkX4ktifiC
— himat (@himat35261317) November 24, 2019
Le retour d'Internet en Iran a en tout cas permis de recueillir de nouvelles vidéos permettant de mesurer l'ampleur de la répression qui s'est abattue sur les manifestants iraniens. À Ahvaz, dans le sud du pays, on aperçoit le corps inerte d'un individu gisant au sol tandis que des habitants tentent d'échapper aux coups d'un membre des forces de l'ordre. À Shiraz, on entend cette fois des coups de feu tirés dans une manifestation alors qu'un hélicoptère vole à basse altitude. Enfin, à Javanroud, dans le Kurdistan iranien, des snipers visent des contestataires depuis un toit.
The ruthless occupation regime is using refrigerator trucks for carrying the bodies of the protestors.
They use helicopters for killing the protestors(Shiraz)
The savage regime asks the families of protestors almost 4000 $ to give the DEAD BODIES back to them.#IranProtests pic.twitter.com/8Q2nJ1LB5l
— Persian Cheetah (@CheetahPersian) November 22, 2019
« Ces vidéos que nous avons vérifiées sont un nouvel exemple de l'utilisation délibérée par les forces de sécurité iraniennes de tirs à balles réelles, que ce soit depuis un hélicoptère ou le toit d'un bâtiment, souligne la chercheuse Raha Bahreini. Ce n'est pas parce qu'une partie des manifestants a jeté des pierres, ce qui ne représentait clairement pas une menace en Iran, qu'il faut délibérément tirer sur eux. »
شبکه حقوق بشر کردستان روز گذشته با انتشار گزارشی از شلیک مستقیم نیروهای امنیتی به سوی شهروندان معترض در در بالای ساختمان دادگستری #جوانرود خبر داده بود.
تیراندازی مستقیم این نیروهای در این ویدیو به روشنی دیده می‌شود.#IranProtests #TwitterKurds #تظاهرات_سراسرى pic.twitter.com/rbREng0Lm1
— Kurdistan Human Rights Network (@KurdistanHRN) November 17, 2019

Armin Arefi
Le Point, 26 novembre 2019
*Pour des raisons de sécurité, le prénom a été changé

Nota de Jean Corcos

J'ai trouvé les médias français bien timides, pour ne pas dire pire, dans leur manière de relater de ce qui fut la plus grande secousse infligée au régime de la République Islamique depuis 40 ans. Incompréhension ? Intérêts économiques mal compris ? Souhait plus ou moins transparent de ménager les Mollahs au pouvoir pour jouer plus tard un rôle de médiateur ? J'invite les lecteurs de passage qui auront été bouleversés par cette révolution matée dans le sang, à suivre mon compte Twitter, où j'ai repris très largement les infos et vidéos relayées depuis le 15 novembre par l'opposition iranienne.