Banque liée au régime, incendiée pendant les émeutes de novembre
TÉMOIGNAGES. Si les manifestations
ont cessé en Iran, les récits sur la répression gouvernementale affluent.
Amnesty International dénombre 143 morts.
Une semaine après avoir été ébranlé par un rare
mouvement de contestation, l'Iran se reconnecte peu à peu au reste du monde.
Coupé cinq jours durant par les autorités islamiques pour empêcher les
manifestants de communiquer, Internet est aujourd'hui rétabli à hauteur de
64 % du niveau normal dans le pays, selon l'ONG spécialisée NetBlocks.org.
« Le réseau Wifi est de retour, mais pas la 4G », explique Sadra
Moaghegh, journaliste à Téhéran pour le quotidien Shargh, contacté via
l'application WhatsApp. « La situation est calme aujourd'hui. À partir de
dimanche-lundi, les manifestations ont commencé à faiblir. Mardi-mercredi, il
ne restait plus que quelques débordements dans le pays. »
Update: It has been 200 hours
since #Iran shut off the internet amid public protests
in dozens of cities.
Basic connectivity is returning, but many users now face a #filternet that restricts access to the outside world ⚠️ #IranProtests #Internet4Iran
https://t.co/XQmiaOlRL7 pic.twitter.com/9epbd8pTVO
Basic connectivity is returning, but many users now face a #filternet that restricts access to the outside world ⚠️ #IranProtests #Internet4Iran
https://t.co/XQmiaOlRL7 pic.twitter.com/9epbd8pTVO
—
NetBlocks.org (@netblocks) November 25, 2019
À en croire les Gardiens de la révolution, l'armée
idéologique de la République islamique, des émeutes ont frappé une centaine de
villes à travers l'Iran. « Il a été mis fin à ces incidents en moins de
vingt-quatre heures, et dans certaines villes en soixante-douze heures »,
affirment les pasdarans dans un communiqué publié sur
leur site officiel. D'après des responsables de la police, cités par l'agence de presse semi-officielle Farsnews,
« 180 meneurs des récentes émeutes ont été identifiés et arrêtés ».
Mais plusieurs chaînes iraniennes d'opposition basées à l'étranger évoquent un
bilan autrement plus lourd : au moins 4 000 arrestations.
« C'était très
impressionnant »
Si les manifestations se sont concentrées dans l'ouest
et le sud de l'Iran, l'une des régions les plus pauvres du pays malgré sa richesse
en pétrole, elles n'ont pas épargné la capitale, notamment le sud – plus
modeste – de Téhéran. « C'était très impressionnant », se
souvient Reza*, qui a assisté à un rassemblement dans la ville de Gharchak, au
sud de la capitale. « Il y avait moins de gens que durant les
manifestations de 2009, mais c'était plus violent et des gens se sont attaqués
à des banques et à des stations-service », ajoute-t-il.
Lire aussi En Iran, on tue à huis clos
La révolte a éclaté vendredi 15 novembre au
soir, après que le gouvernement a annoncé, en catimini, une baisse drastique
des subventions gouvernementales sur l'essence. Coûtant sept centimes d'euro par
litre, l'essence vendue en Iran est l'une des moins chères au monde. « La
décision de supprimer les subventions sur le prix de l'essence était nécessaire
et aurait dû être prise depuis longtemps afin que le choc subi par la
population soit moins fort », souligne depuis Téhéran l'économiste Saeed
Laylaz.
Incompétence du gouvernement
Du jour au lendemain, les prix du carburant ont
augmenté de 50 % en dessous de 60 litres consommés par mois et
jusqu'à 300 % au-delà. Or, dans un pays frappé de plein fouet par les
sanctions américaines, où l'inflation dépasse les 40 % et l'économie est
en récession (- 9,5 % prévus cette année par le FMI), la mesure a mis
le feu aux poudres.
Lire aussi Comment l'Iran s'est embrasé
« La décision du gouvernement d'augmenter le prix
de l'essence n'a servi que d'étincelle, confie Saeed Laylaz. La vraie raison
demeure la pression économique subie par les Iraniens depuis quinze ans. Le
vrai chiffre de l'inflation avoisine plutôt les 100 %. Ainsi, la colère
exprimée est une réaction à la corruption du gouvernement, et à son
incompétence sur le plan économique. » Pour cet économiste, proche du camp
réformateur en Iran, c'est avant tout la mauvaise gestion du gouvernement qui
explique le taux élevé de l'inflation aujourd'hui, pas les sanctions
américaines.
« Classes populaires
insultées »
Officiellement,
le gouvernement a promis de reverser les 2,3 milliards d'euros d'économies
réalisées chaque année aux couches sociales les plus défavorisées de la
population, des aides qui ont commencé à être distribuées à la population dès
le 18 novembre. Mais, pour beaucoup d'Iraniens, marqués par les
scandales de corruption à répétition au sommet du pouvoir au cours de l'année
écoulée, la mesure visait à renflouer les caisses de l'État, vidées par les
sanctions américaines contre le pétrole iranien.
« Les classes sociales les plus défavorisées ont
eu le sentiment d'être insultées par cette mesure, confirme Reza. Les
contestataires de Gharchak lançaient des slogans politiques contre l'ensemble
du régime iranien et ont été réprimés. » Pour l'heure, les sites de presse
officiels iraniens se cantonnent à un bilan de cinq morts, un civil et quatre
membres des forces de l'ordre (un policier, un Gardien de la révolution et deux
miliciens bassidjis). « Il est intéressant de noter qu'au-delà
d'informations publiées ici et là sur les sites officiels les autorités
iraniennes se sont pour l'heure bien gardées de communiquer un bilan des
victimes alors qu'elles disposent du chiffre exact du nombre de morts »,
souligne Raha
Bahreini, chercheuse sur l'Iran à Amnesty International, interrogée par Le
Point.
Nouveau bilan d'Amnesty
International
D'après un nouveau rapport publié ce
lundi par l'ONG, le bilan des victimes des manifestations en Iran
serait d'au moins 143 morts, dont 40 pour la province du
Khouzestan (sud), 34 pour celle de Kermanshah (ouest)
et 20 pour la région de Téhéran. « Avec le retour d'Internet
dans le pays, nous avons pu communiquer avec des défenseurs iraniens des droits
humains, des journalistes, des proches et des voisins des victimes afin d'obtenir
des informations crédibles en lesquelles nous avons confiance, explique au Point
Raha Bahreini. Mais le vrai bilan doit être beaucoup plus élevé. »
#Iran should not kill protesters. #Ahwaz dead bodies on the streets. It seems the
reports in western media are true to some extent as dead bodies can be seen
laying in the streets #Internet4Iran #Iran #iranprotest
pic.twitter.com/RkX4ktifiC
pic.twitter.com/RkX4ktifiC
— himat
(@himat35261317) November 24, 2019
Le retour d'Internet en Iran a en tout cas permis de
recueillir de nouvelles vidéos permettant de mesurer l'ampleur de la répression
qui s'est abattue sur les manifestants iraniens. À Ahvaz, dans le sud du pays,
on aperçoit le corps inerte d'un individu gisant au sol tandis que des
habitants tentent d'échapper aux coups d'un membre des forces de l'ordre. À
Shiraz, on entend cette fois des coups de feu tirés dans une manifestation
alors qu'un hélicoptère vole à basse altitude. Enfin, à Javanroud, dans le
Kurdistan iranien, des snipers visent des contestataires depuis un toit.
The ruthless occupation regime is
using refrigerator trucks for carrying the bodies of the protestors.
They use helicopters for killing the protestors(Shiraz)
The savage regime asks the families of protestors almost 4000 $ to give the DEAD BODIES back to them.#IranProtests pic.twitter.com/8Q2nJ1LB5l
They use helicopters for killing the protestors(Shiraz)
The savage regime asks the families of protestors almost 4000 $ to give the DEAD BODIES back to them.#IranProtests pic.twitter.com/8Q2nJ1LB5l
— Persian
Cheetah (@CheetahPersian) November 22, 2019
« Ces vidéos que nous avons vérifiées sont un
nouvel exemple de l'utilisation délibérée par les forces de sécurité iraniennes
de tirs à balles réelles, que ce soit depuis un hélicoptère ou le toit d'un
bâtiment, souligne la chercheuse Raha Bahreini. Ce n'est pas parce qu'une
partie des manifestants a jeté des pierres, ce qui ne représentait clairement
pas une menace en Iran, qu'il faut délibérément tirer sur eux. »
شبکه حقوق بشر کردستان
روز گذشته با انتشار گزارشی از شلیک مستقیم نیروهای امنیتی به سوی شهروندان معترض
در در بالای ساختمان دادگستری #جوانرود خبر داده بود.
تیراندازی مستقیم این نیروهای در این ویدیو به روشنی دیده میشود.#IranProtests #TwitterKurds #تظاهرات_سراسرى pic.twitter.com/rbREng0Lm1
تیراندازی مستقیم این نیروهای در این ویدیو به روشنی دیده میشود.#IranProtests #TwitterKurds #تظاهرات_سراسرى pic.twitter.com/rbREng0Lm1
— Kurdistan
Human Rights Network (@KurdistanHRN) November 17, 2019
Armin Arefi
Le Point, 26 novembre 2019
*Pour des raisons de sécurité, le prénom a été changé
Nota de Jean Corcos
J'ai trouvé les médias français bien timides, pour ne pas dire pire, dans leur manière de relater de ce qui fut la plus grande secousse infligée au régime de la République Islamique depuis 40 ans. Incompréhension ? Intérêts économiques mal compris ? Souhait plus ou moins transparent de ménager les Mollahs au pouvoir pour jouer plus tard un rôle de médiateur ? J'invite les lecteurs de passage qui auront été bouleversés par cette révolution matée dans le sang, à suivre mon compte Twitter, où j'ai repris très largement les infos et vidéos relayées depuis le 15 novembre par l'opposition iranienne.