La place Tahrir à Bagdad, 2 novembre 2019
Quatre manifestants ont été tués par balles près du
consulat iranien à Kerbala, dans le sud du pays, où les manifestants renforcent
lundi la désobéissance civile.
Routes coupées, écoles et administrations à Bagdad et
dans le sud de l’Irak fermées : la pression augmentait en Irak,
dimanche 3 novembre, après un mois de manifestations. Depuis quelques
jours, la colère des protestataires qui réclament « la chute du régime »
se concentre sur l’Iran, l’une des deux puissances agissantes en Irak avec les
Etats-Unis.
Dans la nuit, des manifestants ont tenté d’incendier
la représentation diplomatique de l’Iran, pays voisin et grand parrain de la
politique irakienne, à Kerbala, ville sainte chiite visitée chaque année par
des millions de pèlerins iraniens. Ils ont déployé des drapeaux irakiens sur le
mur d’enceinte du consulat, où ils ont écrit « Kerbala libre, Iran dehors ».
Les forces de l’ordre ont répliqué avec des rafales de balles réelles, qui ont
fait quatre morts, selon des cadres de la médecine légale de la ville à 100
kilomètres au sud de Bagdad.
Quatre manifestants ont été tués par balles près du
consulat iranien à Kerbala, dans le sud de l’Irak, où les manifestants
renforcent lundi la désobéissance civile en réponse à l’appel du premier
ministre Adel Abdel Mahdi à « retourner à la vie normale ».
La contestation, née le 1er octobre, a
été marquée par des violences meurtrières qui ont fait, officiellement, au
moins 257 morts. Depuis sa reprise le 24 octobre, elle est désormais
organisée par les étudiants et les syndicats. Ensemble, ils ont multiplié
dimanche les appels à la désobéissance civile, tandis que les syndicats des
enseignants, des ingénieurs, des médecins et des avocats déclaraient la grève
générale, paralysant la plupart des écoles publiques et des administrations de
la capitale et du sud.
« On en a marre des mensonges »
Depuis plusieurs jours, des manifestants bloquent
également la route menant au port d’Oum Qasr, dans le sud du pays, suscitant
l’inquiétude des autorités pour les importations, notamment alimentaires. Des
dizaines de bateaux ont repris la route sans avoir pu décharger leurs cargaisons,
a rapporté une source portuaire.
Signe que les autorités s’inquiètent d’un impact
économique important, le premier ministre, Adel Abdel Mahdi, est sorti de son
silence dimanche soir, assurant que « de nombreuses revendications ont
déjà été satisfaites » et qu’il faut maintenant « retourner à
la vie normale ». Mais les promesses d’élections anticipées, de
réformes du système des embauches et des retraites n’y font rien.
« On commence une campagne de désobéissance
civile parce qu’on en a marre des mensonges du gouvernement et de ses
soi-disant réformes », déclare Mohammed Al-Assadi, qui manifeste à Nassiriya, où les principaux
axes et ponts sont coupés.
A Bagdad, de jeunes manifestants ont garé des voitures
en travers des routes, tandis que des cortèges d’étudiants et d’écoliers se
dirigent vers la place Tahrir, épicentre de la contestation. A Kout, au sud de
Bagdad, Tahssine Nasser, 25 ans, explique que « couper les
routes » permet d’envoyer « un message au
gouvernement » : « On restera dans la rue jusqu’à la
chute du régime et le départ des corrompus et des voleurs. » Dans les
villes saintes chiites de Kerbala et Najaf, de plus en plus d’étudiants en
religion participent aux manifestations.
Snipers, grenades tueuses et
enlèvements
Cette mobilisation inédite est cependant menacée par
une campagne d’intimidation et des violences, régulièrement dénoncées par la
communauté internationale et les défenseurs des droits humains.
Lors du premier épisode de manifestations, du 1er
au 6 octobre, 70 % des quelque 250 morts avaient été touchés à
la tête ou au torse par des tirs de snipers – des snipers que l’Etat affirme
toujours ne pas pouvoir identifier. Depuis la reprise du mouvement, le
24 octobre, aucun tir à balles réelles des forces de l’ordre n’a été
recensé dans la capitale, mais une quarantaine de manifestants ont été tués.
Les forces déployées tirent désormais des grenades lacrymogènes
« brise-crânes », particulièrement lourdes. Celles-ci ont été
responsables d’au moins cinq morts à la fin d’octobre.
Outre ces morts, des blogueurs et des militants ont
été enlevés et des médias ont été attaqués. Dimanche, la Commission
gouvernementale des droits humains a annoncé l’enlèvement de Saba Mahdaoui, une
médecin et militante, dénonçant « des opérations d’enlèvement organisées »
alors qu’une autre militante vient tout juste d’être libérée. La mère de Mme Mahdaoui
et des militants ont affirmé qu’elle avait été kidnappée par des hommes « armés
et masqués à bord de pick-up » alors qu’elle revenait de Tahrir dans
la nuit de samedi à dimanche. « C’est une honte pour toute la société
irakienne ! », a dénoncé le chef de la Commission parlementaire
pour les droits humains.
L’ancien premier ministre Iyad Allaoui a, lui, ironisé
sur le fait que « ceux qui ont pu localiser le chef du groupe Etat
islamique (EI) Abou Bakr Al-Baghdadi ne parviennent pas à localiser Saba
Mahdaoui et à savoir qui l’a enlevée ».
Hussein Faleh
Le Monde avec AFP Publié le 03 novembre 2019