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21 novembre 2019

La vérité sur le Coran


EXCLUSIF - Pour la première fois au monde, 30 historiens des religions ont analysé le texte sacré en le restituant dans son contexte historique. Le Figaro Magazine révèle de larges extraits de ce Coran des historiens (éditions du Cerf). Le Coran des historiens est d’abord le fruit d’un travail scientifique rigoureux et exemplaire, mais aussi une arme pacifique contre ceux qui font du livre fondateur de l’islam une lecture littéraliste, un texte inspiré de la seule parole d’Allah, une pure révélation divine qui ne saurait être analysée, étudiée, critiquée. Nous en publions des extraits en exclusivité.
1. Mahomet, cet inconnu
Le Coran est malheureusement d’une pertinence très limitée pour reconstruire la vie de Mahomet et les divers événements relatifs à sa carrière prophétique. En effet, le Coran est un texte profondément anhistorique. À la différence des Évangiles du Nouveau Testament chrétien, par exemple, il n’y est pas question des événements de la vie de Mahomet ou de l’histoire ancienne de la communauté religieuse qu’il a fondée. Le Coran sert plutôt avant tout à réunir des fragments de traditions bibliques et arabes plus anciennes par l’intermédiaire de la figure du Prophète, en excluant de son champ les aléas du temps et de l’espace. En ne se fondant que sur le Coran, on pourrait probablement déduire que le protagoniste du Coran est Mahomet, qu’il a vécu en Arabie occidentale et qu’il en voulait amèrement à ses contemporains qui récusaient ses prétentions à la prophétie. Mais on ne pourrait pas dire que le sanctuaire se trouvait à La Mecque, ni que Mahomet lui-même venait de là, et on ne pourrait que supposer qu’il s’était établi à Médine.
2. Un Coran à contre-courant
Le Coran est notre unique porte d’entrée dans le premier siècle de l’islam. Bien qu’il ne révèle que très peu de choses sur les événements de la vie de Mahomet et de l’histoire ancienne de la communauté religieuse qu’il a fondée, il est toutefois censé conserver des traces de son enseignement. En tant que document littéraire musulman le plus ancien, et même seul document littéraire du premier siècle de l’islam, le Coran constitue un témoin précieux pour comprendre les croyances religieuses de Mahomet, telles qu’elles furent interprétées par ses disciples les plus anciens. Ainsi, le Coran nous offre la meilleure chance de soulever le voile sur le mythe des origines islamiques.
En cherchant à lire le Coran à contre-courant des récits traditionnels sur les origines de l’islam (et non en conformité avec ces récits), il est possible de déterrer une strate plus ancienne dans le développement de la foi musulmane. Cela n’implique bien évidemment pas d’interpréter systématiquement le Coran en allant contre la tradition établie. Il s’agit plutôt, en suivant les méthodes des études bibliques, de repérer les endroits où le texte coranique semble en tension avec les récits traditionnels sur les débuts de l’islam, tout en cherchant des anomalies parallèles dans la tradition ancienne qui, de la même manière, ne s’accordent pas avec l’image généralement véhiculée par les récits postérieurs. En mettant à jour de tels écarts herméneutiques entre le texte sacré et la tradition, on découvre un espace qui nous invite potentiellement à découvrir une autre sorte d’islam dans ses tout débuts - un mouvement religieux qui n’était peut-être pas complètement différent de ce qu’il deviendra, mais qui possédait tout de même des caractéristiques bien distinctes.
3. L’influence du christianisme oriental
A) Les invocations
En Orient, domine la confusion entre les différentes chrétientés que Byzance a jugées hérétiques, principalement les monophysites et les nestoriens. Elle a profondément marqué le milieu dans lequel est né l’islam. Ainsi, pour ne donner que deux exemples de la profonde influence nestorienne, la fameuse formule qui introduit chaque sourate du Coran (« Au nom de Dieu : celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux ») semble traduire le début de la troisième prière eucharistique de Nestorius : «Ô Seigneur Dieu, le Clément qui fait miséricorde, le Compatissant». De même, il ressort que l’origine de la confession de foi de l’islam (« J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu ») doit être également cherchée dans un milieu nestorien.
B) Le voile
La Didascalie des apôtres (une exhortation chrétienne du IIIe siècle en Syrie) était en circulation en Arabie avant l’émergence de l’islam et constituait un document de pertinence plausible pour l’auditoire originel du Coran. À propos du voile de la femme, la Didascalie syriaque dit en effet ceci : « Si tu veux devenir une femme croyante, sois belle pour ton mari seulement. Et lorsque tu marches dans la rue, couvre ta tête avec ton habit, afin que grâce à ton voile, ta grande beauté puisse être couverte. Et ne peins pas les contours de tes yeux, mais baisse ton regard. Et marche voilée. » L’objectif de ces instructions est de contenir l’attraction sexuelle à l’intérieur de la sphère autorisée du mariage.
Or, dans le Coran (24 : 30-31), Dieu ordonne à son prophète de dire aux croyants - à la fois hommes et femmes - ce qui suit : « Dis aux croyants qu’ils baissent leurs regards et soient pudiques. Ce sera plus décent pour eux. Dieu est bien informé de ce qu’ils font. Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît. Qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs gorges ! Qu’elles montrent seulement leurs atours à leurs époux, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs époux, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou à leurs femmes, ou à leurs esclaves, ou à leurs serviteurs mâles que n’habite pas le désir [charnel], ou aux garçons qui ne sont pas [encore] au fait de la conformation des femmes. Que [les croyantes] ne frappent point [le sol] de leurs pieds pour montrer les atours qu’elles cachent ! Revenez tous à Dieu, ô croyants ! Peut-être serez-vous bienheureux. »
Tandis que la Didascalie ne s’adresse qu’aux femmes, le Coran s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes. Tandis que dans la Didascalie, la beauté d’une femme croyante est réservée exclusivement à son mari, le Coran énonce des exceptions pour cinq groupes. Mais tout comme la Didascalie, le Coran cherche à canaliser l’attraction sexuelle et à la restreindre à la sphère du mariage. En plus des parallèles thématiques clairs entre les deux textes, il se trouve aussi de nets parallèles linguistiques. Ces parallèles thématiques et linguistiques prouvent l’existence d’un environnement légal commun qui suggère que l’auditoire du Coran connaissait la Didascalie syriaque. À l’instar de ce qu’il a fait avec la Bible hébraïque et le Talmud, le Coran en modifie certaines règles afin de les adapter au contexte arabe.
C) Les interdictions alimentaires
Durant le Ier siècle de l’ère commune, comme le rapportent les Actes des apôtres, certains des membres du mouvement initié par Jésus ont insisté sur le fait que les croyants païens devaient observer la loi de Moïse, tandis que d’autres, tels Pierre et Paul, soutenaient que cette charge ne devait pas être placée sur les «nuques» des païens. Les deux groupes opposés trouvèrent un compromis. Les apôtres et les anciens envoyèrent deux représentants à Antioche munis d’une lettre informant les païens croyants au Christ qu’ils étaient tenus de s’abstenir de seulement quatre pratiques mosaïques : « L’Ésprit saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables : vous abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de l’immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. »
En 683-684, ce passage est cité presque mot pour mot par Athanase de Balad, le patriarche jacobite d’Antioche, dans une lettre encyclique écrite en syriaque. Il se réfère entre autres aux mots des Apôtres qui avaient ordonné aux croyants païens de «se tenir à distance de la fornication ». Il ajoute que les croyants païens doivent aussi se tenir à distance «de ce qui est étouffé et du sang, ainsi que de la nourriture issue de l’abattage païen, sans quoi ils s’associeraient aux démons et à leur table impropre ».
Pour sa part, le Coran (5: 3-5) indique: «Illicites ont été déclarés pour vous [la chair de] la bête morte, le sang, la chair du porc et de ce qui a été consacré à un autre [dieu] que Dieu, [la chair de] la bête étouffée, de la bête tombée sous des coups, de la bête morte d’une chute [ou] d’un coup de corne, [la chair de] ce que les fauves ont dévoré - sauf si vous l’avez purifiée -, [la chair de] ce qui est abattu devant les pierres dressées, ainsi que de consulter le sort par division par les flèches - tout cela est perversité.»
Bien que l’ordre de présentation diffère de celui des deux autres textes, les Actes des apôtres et la Lettre Athanase, le Coran prescrit les mêmes interdits aux croyants. Là encore, les parallèles thématiques et linguistiques indiquent l’existence d’un environnement juridique commun.
4. Le modèle manichéen
Des matériaux archéologiques récemment découverts en Haute-Égypte et en Asie centrale mettent en évidence combien le manichéisme se caractérisait comme « religion du livre », autrement dit endossait l’idée d’une essence immuable de la théologie. Sur cette base, la religion qu’embrassaient les manichéens apparaissait comme la fondation d’une communauté nouvelle formée de toutes les nations, la religion de l’histoire accomplie. La signification de la formule impliquait aussi dans ces milieux une prolifération matérielle de livres pour y sustenter l’activité prosélyte. Dès l’émergence de ce courant, la prééminence de l’écrit alla de pair avec le foisonnement de textes les plus divers dans l’entourage immédiat du fondateur. La plupart de ces écrits étaient à usage interne, mais plusieurs d’entre eux étaient destinés à la société politique. Le but recherché était bien sûr missionnaire et apologétique. Mais ceux qui pensaient et écrivaient restaient proches de la cour et de l’administration de l’État.
Jean-Christophe Buisson
Le Figaro, 15 novembre 2019
Le Coran des historiens, sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye, coffret de 3 volumes, 2386 p., 89 €. Cerf