L’essayiste Hakim El Karoui a présenté son projet
d’Association musulmane pour l’islam de France, destinée notamment à réguler
les secteurs du pèlerinage et du halal.
D’ici à « quelques jours », le projet
porté par l’essayiste et consultant Hakim El Karoui pour favoriser « une
intégration sereine de l’islam en France » entrera dans une phase
concrète.
Les statuts de l’Association musulmane pour un islam de France
(AMIF), un instrument destiné à organiser et certifier les flux financiers liés
au culte musulman, seront déposés. Accompagné de plusieurs des participants à
l’aventure, il a présenté, lundi 21 janvier à Paris, le détail du futur
dispositif dont il veut faire « un tiers de confiance au service des
fidèles, sans conflit d’intérêts ».
Cette initiative répond au souhait exprimé par
Emmanuel Macron dès le début de son quinquennat de voir émerger une meilleure
organisation du culte musulman. « Auparavant, à mes yeux, la question
religieuse était du domaine privé, a fait valoir M. El Karoui. Depuis
les attentats [de 2015], ce n’est plus seulement une question privée,
mais aussi politique ». Le dispositif en gestation est censé dégager
le culte musulman des « ingérences étrangères », apporter
transparence, « professionnalisme » et régulation aux marchés
du pèlerinage et du halal, permettre à un conseil théologique de produire un
discours religieux « conforme aux valeurs de la République »
et étendre l’offre de formation pour les cadres religieux.
« Notre
projet s’inscrit dans la logique d’un islam indépendant financièrement et théologiquement », a résumé Tareq Oubrou, recteur de
la mosquée de Bordeaux. « Nous voulons faire en sorte que nos enfants
n’aient pas à se demander si leur islamité cadre avec leur francité »,
a ajouté Mohamed Bajrafil, imam à Ivry. Tous deux feront partie du futur
conseil théologique de l’AMIF.
Pour couvrir le champ de ses missions, l’AMIF
comportera en réalité deux associations. L’une, chargée des questions
cultuelles, sera sous le régime de la loi de 1905, ce qui lui permettra de
recueillir des dons défiscalisables et « traçables » destinés
soit à l’AMIF elle-même, soit à des projets de construction de mosquée. C’est
aussi elle, à terme, qui pourra allouer des financements aux questions
directement cultuelles (formation et soutien aux imams). Une seconde association,
loi de 1901 celle-là, interviendra sur le terrain de « la lutte contre
la radicalisation, la représentation de l’islam dans les médias et sur
Internet, la lutte contre l’islamophobie ».
Des agences accréditées pour le
pèlerinage
Un conseil théologique composé d’imams conseillera les
acteurs de ces deux associations. Il sera aussi chargé d’offrir un discours
religieux « apaisant, alors que nous sommes noyés par un discours
haineux de rupture », notamment sur Internet, a indiqué le théologien
Tarik Abou Nour. « Nous ne cherchons pas à avoir un monopole, a
précisé Mohamed Bajrafil. Nous n’avons aucun intérêt personnel dans cette
affaire. Nous voulons juste travailler pour l’intérêt d’une communauté
musulmane de France sans exclusion ni ingérence et pour la cohésion
nationale ». Plusieurs participants ont évoqué l’idée d’un séminaire
pour la formation des cadres religieux.
Comment l’AMIF compte-t-elle s’imposer dans le
paysage ? En commençant par intervenir dans l’organisation du pèlerinage.
Alors qu’aujourd’hui les pèlerins se heurteraient à une certaine opacité dans
la formation du prix demandé par les agences et les intermédiaires mais aussi
dans les prestations obtenues sur place, l’AMIF voudrait obtenir une fonction
de certificateur : seules les agences accréditées par elle pourraient
obtenir des visas de l’Arabie saoudite. Elle vérifierait que les agences
respectent bien un référentiel d’accréditation.
Ces agences rémunéreraient l’AMIF pour cette fonction.
Celle-ci offrirait par ailleurs aux fidèles des aides à la préparation du
pèlerinage, des enquêtes sur les prix pratiqués, etc. Elle assisterait les
agences pour négocier les tarifs d’hôtellerie et de transports. Ce schéma suppose
que les autorités saoudiennes soient d’accord pour réserver les visas aux
agences certifiées par l’AMIF. Cette négociation reste à conduire. Si cette
étape est franchie avec succès, l’AMIF projette ensuite de se définir un rôle
semblable de certificateur sur le marché du halal.
Cécile Chambraud
Le Monde, 21 janvier 2019