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13 janvier 2019

En Irak, l’eau ne coule plus dans le « jardin d’Eden »

Le delta du Chatt-Al-Arab, photo Mathias Depardon
 
Au confluent du Tigre et de l’Euphrate, sécheresse et salinité ont eu raison des marais irakiens, poussant les habitants à l’exode.

Depuis le hublot de l’avion qui relie Bagdad à Bassora, la métropole à l’extrémité sud de l’Irak, l’ampleur de la catastrophe qui frappe « le pays entre les fleuves », l’ex-Mésopotamie, se déroule sous nos yeux. Ici, ce ne sont pas les destructions laissées par la chute du « califat » autoproclamé de l’organisation État islamique (EI) sur les territoires du nord et de l’ouest du pays qui retiennent l’attention. Mais la catastrophe climatique déjà à l’œuvre dans l’ancien Croissant fertile. Sous l’effet d’une quasi-sécheresse qui a sévi durant l’été, les lits du Tigre et de l’Euphrate, qui serpentent jusqu’au golfe Arabo-Persique, se sont rétractés pour ne laisser, à certains endroits, que de vastes taches blanches de sel sur le désert ocre.

Vague de protestation sociale

Jadis riche en eau, l’Irak connaît désormais une pénurie chronique. Le Sud pétrolifère et agricole est l’une des régions les plus touchées par la crise de l’eau qui a connu un pic cet été, alimentant une vague de protestation sociale. Les débits du Tigre et de l’Euphrate ont atteint leurs niveaux les plus bas depuis des décennies. Le changement climatique, qui se traduit ici par des chaleurs extrêmes et une baisse drastique des pluies saisonnières, accentue une crise déjà latente. Les barrages construits en amont des deux fleuves en Turquie, en Syrie et en Iran depuis les années 1980 y ont contribué. Des décennies de guerre, plus de douze ans d’embargo et la mauvaise gestion des gouvernements successifs ont accéléré le délitement des infrastructures hydrauliques.
Avec le même regard sensible et à hauteur d’hommes qu’il avait posé sur l’Anatolie face aux conséquences des mégaprojets hydrauliques d’Ankara, le photojournaliste Mathias Depardon a sillonné le Sud irakien. Le long de l’Euphrate, il est parti à la rencontre de ceux dont les vies sont bouleversées par la crise de l’eau.

Une situation explosive

Berceau de la civilisation sumérienne et lieu du mythique jardin d’Éden, déjà asséchés par Saddam Hussein après le soulèvement chiite de 1991, les marais connaissent une deuxième agonie. Dans les maisons de palme traditionnelles qui se dressent sur les îles de cette zone humide, ses 300 000 habitants vivent chichement de l’élevage de buffles, de la pêche et de la collecte de joncs. Beaucoup d’habitants du Sud qui subsistent grâce à l’agriculture ont déjà connu l’exode rural. Depuis 1991, sa part dans l’emploi irakien est passée de 43 % à 26 %, selon la Banque mondiale. Plus d’un million de ruraux sont venus gonfler les bidonvilles de Bassora dans l’espoir, vain, d’un emploi dans les champs pétroliers et gaziers qui truffent la province.
La nouvelle crise hydrique fait craindre un nouvel exode. Mais à Bassora même, comme dans les villages situés le long du canal Chatt Al-Arab, où la baisse du débit du Tigre et de l’Euphrate a fait entrer les eaux salées du golfe Arabo-Persique, la situation est devenue explosive. La salinité de l’eau a rendu celle-ci impropre à la consommation et a tué poissons et bétail, forçant des dizaines d’exploitations agricoles à mettre la clé sous la porte.

Hélène Sallon
Le Monde, 27 décembre 2018