Le delta du Chatt-Al-Arab, photo Mathias Depardon
Au confluent du Tigre et de l’Euphrate, sécheresse et
salinité ont eu raison des marais irakiens, poussant les habitants à
l’exode.
Depuis le hublot de l’avion qui relie Bagdad à
Bassora, la métropole à l’extrémité sud de l’Irak, l’ampleur de la catastrophe
qui frappe « le pays entre les fleuves », l’ex-Mésopotamie, se
déroule sous nos yeux. Ici, ce ne sont pas les destructions laissées par la
chute du « califat » autoproclamé de l’organisation État islamique
(EI) sur les territoires du nord et de l’ouest du pays qui retiennent
l’attention. Mais la catastrophe climatique déjà à l’œuvre dans l’ancien
Croissant fertile. Sous l’effet d’une quasi-sécheresse qui a sévi durant l’été,
les lits du Tigre et de l’Euphrate, qui serpentent jusqu’au golfe
Arabo-Persique, se sont rétractés pour ne laisser, à certains endroits, que de
vastes taches blanches de sel sur le désert ocre.
Vague de protestation sociale
Jadis riche en eau, l’Irak connaît désormais une
pénurie chronique. Le Sud pétrolifère et agricole est l’une des régions les
plus touchées par la crise de l’eau qui a connu un pic cet été, alimentant une
vague de protestation sociale. Les débits du Tigre et de l’Euphrate ont atteint
leurs niveaux les plus bas depuis des décennies. Le changement climatique, qui
se traduit ici par des chaleurs extrêmes et une baisse drastique des pluies
saisonnières, accentue une crise déjà latente. Les barrages construits en amont
des deux fleuves en Turquie, en Syrie et en Iran depuis les années 1980 y ont
contribué. Des décennies de guerre, plus de douze ans d’embargo et la mauvaise
gestion des gouvernements successifs ont accéléré le délitement des
infrastructures hydrauliques.
Avec le même regard sensible et à hauteur d’hommes qu’il
avait posé sur l’Anatolie face aux conséquences des mégaprojets hydrauliques
d’Ankara, le photojournaliste Mathias Depardon a sillonné le Sud irakien. Le
long de l’Euphrate, il est parti à la rencontre de ceux dont les vies sont
bouleversées par la crise de l’eau.
Une situation explosive
Berceau de la civilisation sumérienne et lieu du
mythique jardin d’Éden, déjà asséchés par Saddam Hussein après le soulèvement
chiite de 1991, les marais connaissent une deuxième agonie. Dans les maisons de
palme traditionnelles qui se dressent sur les îles de cette zone humide, ses
300 000 habitants vivent chichement de l’élevage de buffles, de la pêche
et de la collecte de joncs. Beaucoup d’habitants du Sud qui subsistent grâce à
l’agriculture ont déjà connu l’exode rural. Depuis 1991, sa part dans l’emploi
irakien est passée de 43 % à 26 %, selon la Banque mondiale. Plus
d’un million de ruraux sont venus gonfler les bidonvilles de Bassora dans
l’espoir, vain, d’un emploi dans les champs pétroliers et gaziers qui truffent
la province.
La nouvelle crise hydrique fait craindre un nouvel
exode. Mais à Bassora même, comme dans les villages situés le long du canal
Chatt Al-Arab, où la baisse du débit du Tigre et de l’Euphrate a fait entrer
les eaux salées du golfe Arabo-Persique, la situation est devenue explosive. La
salinité de l’eau a rendu celle-ci impropre à la consommation et a tué poissons
et bétail, forçant des dizaines d’exploitations agricoles à mettre la clé sous
la porte.
Hélène Sallon
Le Monde, 27 décembre 2018