Khadidja Benhamou, à la peau plus foncée que la
plupart des autres candidates, a subi de nombreux commentaires discriminatoires
depuis son élection.
« Il n’y a
pas de différence entre les couleurs de peau et il ne faut pas juger une
personne avant de la connaître ». Couronne brillante sur la tête, Khadidja Benhamou fait
le tour des plateaux de télévision et répète le même message, sourire aux lèvres.
Vendredi 4 janvier, cette Algérienne de 26 ans a été élue Miss Algérie 2019.
A peine diffusées sur les réseaux sociaux, les premières photographies de la
gagnante, en longue robe de soirée dorée, lui valent de nombreuses insultes
racistes.
Khadidja Benhamou vient d’Adrar, une région du sud du
pays. Elle a la peau plus foncée et les cheveux plus crépus que la plupart des
autres candidates du concours de beauté. Dans la journée du samedi
5 janvier, des journalistes dénoncent les commentaires discriminatoires.
Le buzz gagne alors les réseaux sociaux algériens mais, cette fois, ce sont des
milliers de messages de solidarité qui soulignent la beauté de la jeune femme
ainsi que l’africanité de l’Algérienne qui sont publiés.
« Un racisme décomplexé »
« Certains commentaires, qui suggéraient de
mettre la Miss dans une machine à laver pour la blanchir, étaient révoltants.
Mais ce n’est que l’exemple d’un racisme décomplexé sur les réseaux sociaux de
certains Algériens, analyse
Redha Menassel, journaliste de la radio Alger chaîne 3. Il faut que l’on
arrive à ce que les Algériens acceptent la différence. »
Lundi 7 janvier, l’organisation de Miss Algérie
publie les photos officielles de la gagnante et déplore « le
comportement et les commentaires racistes de plusieurs personnes suite à des
publications de photos dévalorisantes et retouchées ». Khadidja
Benhanmou n’est pas la première femme à subir des critiques racistes. « Les
insultes et les remarques désobligeantes sur ma couleur de peau sont régulières,
explique Amina Hamouine, 33 ans, mannequin algérienne à la peau noire. Cela
se produit dans la rue, alors que je me promène avec mes parents, mais aussi
lorsque les photos de mes shooting sont publiées. Sur Internet, le harcèlement
est systématiquement lié à mon physique et à ma couleur de peau ».
En 2016, une photo d’elle portant une robe traditionnelle de Kabylie
conduit même à un déferlement d’insultes et à une décision définitive : « Depuis,
j’évite de lire les commentaires ».
La majorité des commentaires après l’élection de
Khadidja Benhamou concernait le physique de l’élue. « Faire l’objet de
commentaires désobligeants est le lot quotidien des concours de beauté »,
relativise Rym Amari, 24 ans. Elue Miss Algérie en 2013, elle s’était vue
reprocher d’avoir une beauté « trop européenne ».
« Cyberharcèlement »
Au-delà des élections de Miss, la présence des femmes
algériennes sur les réseaux sociaux les expose particulièrement au harcèlement.
Imène Shetae, 26 ans, a lancé une chaîne YouTube en 2013. La jeune femme,
voilée, y présente des tutoriels de maquillage, des astuces pour couvrir ses
cheveux et parle de ses voyages. « J’ai reçu beaucoup d’insultes sur
mon physique, ma façon de parler, le fait que j’utilisais la langue anglaise.
Plus mon nombre d’abonnés augmentait, plus il y avait d’insultes et plus elles
étaient vulgaires ».
Elle évoque aussi le harcèlement sexuel, « des
messages au contenu pornographique » envoyés par des hommes comme des
femmes. Elle raconte n’avoir eu que « très peu » de soutien à
l’époque. Aujourd’hui, elle tente de sensibiliser : « Le
cyberharcèlement et le body shaming sont pris à la légère dans notre société,
ils sont même normalisés alors que ça ne devrait pas. »
Pourtant, selon les professionnels de la mode, la
situation s’améliore. « Lorsque j’ai commencé en 2004, les gens
considéraient le mannequinat comme de la prostitution de luxe », se
souvient Naim Soltani, directeur général du magazine féminin Dzeriet. A
l’époque, il invite systématiquement les parents des mannequins aux séances de
photo et aux défilés pour déconstruire l’idée qu’ils s’en font. En 2011,
lorsqu’il organise l’élection de Miss Université, le catalogue qui présente les
photographies des candidates est détourné et le mot « candidate »
est remplacé par « pute ». « Aujourd’hui, nous
publions des photos de mannequins tous les mois. Et si les critiques sont très
sévères, c’est désormais à propos des vêtements », tempère Naim
Soltani.
Zahra Chenaoui
Le Monde, 11 janvier 2019