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27 janvier 2019

Miss Algérie 2019 face au racisme et au sexisme


Khadidja Benhamou, à la peau plus foncée que la plupart des autres candidates, a subi de nombreux commentaires discriminatoires depuis son élection.

 « Il n’y a pas de différence entre les couleurs de peau et il ne faut pas juger une personne avant de la connaître ». Couronne brillante sur la tête, Khadidja Benhamou fait le tour des plateaux de télévision et répète le même message, sourire aux lèvres. Vendredi 4 janvier, cette Algérienne de 26 ans a été élue Miss Algérie 2019. A peine diffusées sur les réseaux sociaux, les premières photographies de la gagnante, en longue robe de soirée dorée, lui valent de nombreuses insultes racistes.
Khadidja Benhamou vient d’Adrar, une région du sud du pays. Elle a la peau plus foncée et les cheveux plus crépus que la plupart des autres candidates du concours de beauté. Dans la journée du samedi 5 janvier, des journalistes dénoncent les commentaires discriminatoires. Le buzz gagne alors les réseaux sociaux algériens mais, cette fois, ce sont des milliers de messages de solidarité qui soulignent la beauté de la jeune femme ainsi que l’africanité de l’Algérienne qui sont publiés.

« Un racisme décomplexé »

« Certains commentaires, qui suggéraient de mettre la Miss dans une machine à laver pour la blanchir, étaient révoltants. Mais ce n’est que l’exemple d’un racisme décomplexé sur les réseaux sociaux de certains Algériens, analyse Redha Menassel, journaliste de la radio Alger chaîne 3. Il faut que l’on arrive à ce que les Algériens acceptent la différence. »
Lundi 7 janvier, l’organisation de Miss Algérie publie les photos officielles de la gagnante et déplore « le comportement et les commentaires racistes de plusieurs personnes suite à des publications de photos dévalorisantes et retouchées ». Khadidja Benhanmou n’est pas la première femme à subir des critiques racistes. « Les insultes et les remarques désobligeantes sur ma couleur de peau sont régulières, explique Amina Hamouine, 33 ans, mannequin algérienne à la peau noire. Cela se produit dans la rue, alors que je me promène avec mes parents, mais aussi lorsque les photos de mes shooting sont publiées. Sur Internet, le harcèlement est systématiquement lié à mon physique et à ma couleur de peau ». En 2016, une photo d’elle portant une robe traditionnelle de Kabylie conduit même à un déferlement d’insultes et à une décision définitive : « Depuis, j’évite de lire les commentaires ».
La majorité des commentaires après l’élection de Khadidja Benhamou concernait le physique de l’élue. « Faire l’objet de commentaires désobligeants est le lot quotidien des concours de beauté », relativise Rym Amari, 24 ans. Elue Miss Algérie en 2013, elle s’était vue reprocher d’avoir une beauté « trop européenne ».

« Cyberharcèlement »

Au-delà des élections de Miss, la présence des femmes algériennes sur les réseaux sociaux les expose particulièrement au harcèlement. Imène Shetae, 26 ans, a lancé une chaîne YouTube en 2013. La jeune femme, voilée, y présente des tutoriels de maquillage, des astuces pour couvrir ses cheveux et parle de ses voyages. « J’ai reçu beaucoup d’insultes sur mon physique, ma façon de parler, le fait que j’utilisais la langue anglaise. Plus mon nombre d’abonnés augmentait, plus il y avait d’insultes et plus elles étaient vulgaires ».
Elle évoque aussi le harcèlement sexuel, « des messages au contenu pornographique » envoyés par des hommes comme des femmes. Elle raconte n’avoir eu que « très peu » de soutien à l’époque. Aujourd’hui, elle tente de sensibiliser : « Le cyberharcèlement et le body shaming sont pris à la légère dans notre société, ils sont même normalisés alors que ça ne devrait pas. »
Pourtant, selon les professionnels de la mode, la situation s’améliore. « Lorsque j’ai commencé en 2004, les gens considéraient le mannequinat comme de la prostitution de luxe », se souvient Naim Soltani, directeur général du magazine féminin Dzeriet. A l’époque, il invite systématiquement les parents des mannequins aux séances de photo et aux défilés pour déconstruire l’idée qu’ils s’en font. En 2011, lorsqu’il organise l’élection de Miss Université, le catalogue qui présente les photographies des candidates est détourné et le mot « candidate » est remplacé par « pute ». « Aujourd’hui, nous publions des photos de mannequins tous les mois. Et si les critiques sont très sévères, c’est désormais à propos des vêtements », tempère Naim Soltani.

Zahra Chenaoui
Le Monde, 11 janvier 2019