Le Président soudanais Omar Al-Bachir reçoit
le
président turc Recip Tayyip Erdogan à Khartoum
L’Union européenne s’appuie sur Omar Al-Bachir pour
contenir les flux migratoires sur son sol, alors qu’il en est une cause
majeure.
C’est un quinquagénaire soudanais
d’apparence banale qui se débrouille comme il le peut en France, où il a obtenu
l’asile et où il apprend un métier. Dans sa vie antérieure, au Soudan, il a
mené des missions sensibles, comme celle de gérer la présence dans la capitale
soudanaise d’Oussama Ben Laden dans les années 1990, ou encore de l’Ougandais
Joseph Kony, sanguinaire chef de l’Armée de résistance du Seigneur. Il a été un
cadre des services de sécurité du régime militaro-islamiste de Khartoum.
Puis, face aux exactions commises par les forces de
sécurité dans la province du Darfour, au milieu des années 2000, il a fait
défection, témoigné contre le régime auprès de la Cour pénale internationale
(CPI) et entrepris un long voyage clandestin qui s’est terminé en France. La
peur, l’indigence et les menaces des nervis du régime l’ont poussé à naviguer entre
les cercles d’opposants et les agents du pouvoir surveillant étroitement les
près de 30 000 Soudanais établis dans l’Hexagone. Car, à Paris, chefs
et émissaires de groupes rebelles, journalistes en exil, espions à la solde du
régime ou ayant fait défection s’évitent, s’épient ou discutent discrètement.
Omar
Al-Bachir gère désormais son retour sur la scène internationale, malgré le
mandat d’arrêt lancé à son encontre par la CPI pour génocide, crimes contre
l’humanité et crimes de guerre au Darfour
A 7 000 kilomètres de là, le président, Omar
Al-Bachir, au pouvoir depuis 1989, ne se soucie plus vraiment de ces dissidents
et autres éléments perturbateurs. Il gère désormais son retour sur la scène
internationale, malgré le mandat d’arrêt lancé à son encontre par la CPI pour
génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour. De fait,
l’Union européenne s’appuie sur le Soudan pour contenir une partie des flux
migratoires dans le cadre de sa politique d’« externalisation des
frontières ». Une occasion pour Omar Al-Bachir de se rendre indispensable,
alors même qu’il contribue à l’arrivée de migrants en Europe en privant
d’avenir une partie de la jeunesse de son pays.
Au Soudan, les conflits armés se poursuivent dans les
régions du Darfour, du Nil Bleu et du Kordofan. Le chef de l’Etat aime à marteler
qu’il rendra « un Soudan dépourvu de conflits et de mouvements
rebelles » en 2020, date de la fin de son dernier mandat, selon
la Constitution. La menace la plus inquiétante, pour le régime de Khartoum, ne
vient plus des groupes rebelles, pourchassés par les milices gouvernementales,
qui continuent de causer d’importants déplacements de populations au Darfour,
selon la mission de l’Union africaine déployée sur place, mais bien la crise économique.
Le Soudan manque de devises, ne maîtrise plus l’inflation et a dévalué sa
monnaie dans l’espoir d’attirer des investisseurs étrangers. Le budget 2018,
austère, n’épargne qu’un seul domaine, celui de la défense et de la sécurité,
qui absorbe 75 % des dépenses de l’Etat.
Une diplomatie d’équilibriste
Le mécontentement populaire s’est traduit par des
manifestations contre la hausse des prix en début d’année, qui se sont soldées
par cinq morts et plusieurs dizaines d’arrestations. Pour tenter d’apaiser la
fronde populaire, Omar Al-Bachir a annoncé, en avril, la libération de tous les
prisonniers politiques et une relance de l’interminable dialogue avec
l’opposition et les groupes armés, dont une partie maintient son boycott des
discussions. Le même mois, pour avoir dénoncé publiquement les salaires impayés
de cadres de son administration, le ministre des affaires étrangères, Ibrahim
Ghandour, a été remercié. Omar Al-Bachir se prive ainsi de son plus brillant
diplomate, artisan de la normalisation en cours avec Washington.
Après avoir rompu avec l’Iran, en janvier 2016,
le Soudan s’est rangé aux côtés de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis
dans la guerre au Yémen, envoyant plusieurs milliers de soldats sur place.
Parallèlement, Khartoum a maintenu ses relations avec ses alliés traditionnels,
le Qatar et la Turquie, pourtant honnis par ses parrains du Golfe. Cette même
diplomatie d’équilibriste se retrouve vis-à-vis de Washington et Moscou.
Le Soudan a bénéficié de la levée partielle des
sanctions américaines en octobre 2017, tout en resserrant ses liens avec
la Russie. Au grand dam de l’Egypte, Omar Al-Bachir s’est placé au centre des
négociations sur le partage des eaux du Nil, en prenant fait et cause pour
l’Ethiopie contre l’Egypte. On retrouve la main de Khartoum jusqu’en Libye et
en Centrafrique, où le Soudan est actif par le truchement de gouvernements, de
groupes armés ou de religieux prosélytes. Une diplomatie du chaos dont l’un des
buts est d’entretenir des foyers de crise pour ensuite proposer de gérer les
mouvements migratoires qu’elle engendre.
Joan Tiloine,
Le Monde, 21 mai 2018