Introduction :
C'est une approche "à contre-courant" et que vous n'avez guère de chance de lire dans la blogosphère juive francophone ; elle est écrite sous la plume d'un orientaliste bien informé de la presse israélienne, et dont je trouve souvent l'approche intéressante. Je verse donc cette pièce au difficile dossier des relations Israël - Turquie, avec cependant un "bémol" : Zvi Bar'el résume ce qu'exigeait Erdogan à deux points - des excuses pour l'affaire du Mavi Marmara, et des indemnités pour les victimes (cette exigence étant acceptée par le gouvernement israélien, mais il n'en dit mot) : mais en fait il y a une autre exigence, celle là concernant directement la sécurité d'Israël et dont il ne parle pas, celle de la levée du blocus maritime de Gaza ...blocus jugée légal par la commission d'enquête de l'ONU !
J.C
Depuis de nombreux mois, Joseph Ciechanover et Ozdem Sanberk (les représentants israéliens et turcs sur la commission Palmer d'enquête de l'ONU) a essayé de présenter un rapport véridique et juste, de façon à préserver la relation Israël-Turquie. Ils ont échoué, mais pas à cause d'un manque de compétence ou de patience.
Si le Ministre des Affaires Etrangères Avigdor Lieberman et le Ministre des Affaires Stratégiques Moshe Yaalon n'avait pas insisté pour que Israël ne présente pas d'excuses à la Turquie, le rapport des Nations Unies aurait été un manuel de 105 pages sur la stratégie du blocus de Gaza et les tactiques utilisées pour contrecarrer les violations tentées contre lui. Un autre document parmi des milliers que l'ONU a produit au cours de son existence, dont la plupart sont enterrés dans des armoires métalliques. Il est possible qu'une commission d'enquête internationale n'aurait pas encore été établie et que les deux parties aurait été en mesure de poursuivre leur relation.
Sanberk, un homme agréable et ayant une riche expérience diplomatique (notamment pendant l'ère pré-Erdogan), est l'un des intellectuels les plus connus du public en Turquie, et un soutien majeur des relations avec Israël. Lors d'une réunion à Ankara il y a quelques mois, Sanberk a dit "des erreurs se produisent, et il est permis de demander pardon quand elles se produisent. C'est ainsi que des amis se comportent lorsque leur relation est importante pour eux."
Mais entre Israël et la Turquie, l'honneur est devenu plus important que leur relation.La Turquie, malgré son empressement à rappeler son ambassadeur d'Israël et relâcher ses liens, a souligné que ces mesures sont dirigées contre "le gouvernement actuel» et non pas contre Israël ou l'opinion publique israélienne. Avec ou sans le rapport, dont certaines parties, notamment la légitimité de blocus naval de Gaza par Israël, sont inacceptables pour la Turquie, le gouvernement turc n'a pas claqué la porte pour le rétablissement des liens avec Israël. Les conditions pour rétablir ces liens restent les mêmes qu'elles étaient lorsque neuf citoyens turcs ont été tués sur le "Mavi Marmara": des excuses et une indemnisation.
Le mois dernier, Ibrahim Kalin, un conseiller principal au Premier ministre turc Recept Tayyip Erdogan, a indiqué que la Turquie était prête à normaliser ses liens avec Israël et à retourner à ce qu'ils étaient avant l'affaire de la flottille si Israël remplissait ces deux conditions. Il était persuadé que la brouille entre les deux pays avait été mauvaise pour les deux pays. En fait, il est difficile de trouver un haut fonctionnaire proche d'Erdogan ou du Ministre des Affaires Etrangères Ahmet Davutoglu, qui ne regrette pas les difficultés qui ont surgi dans les relations entre les deux pays. Mais aucun d'entre eux pensent que la Turquie devrait renoncer à ses conditions.
Naturellement, M. Erdogan a considéré que sa relation avec le public turc était plus importante que sa relation avec Israël. Son engagement public de recevoir des excuses d'Israël et d'obtenir une indemnisation pour les citoyens turcs tués est devenu une partie inséparable de sa crédibilité politique qui lui donne un ascendant sur le public. La politique étrangère de la Turquie - comme dans un pays démocratique - n'est pas dissociée de la politique intérieure. Tout comme M. Erdogan n'a pas hésité à tourner le dos au Président syrien Bashar Assad, malgré l'importance de la Syrie à l'axe qu'Erdogan a essayé de construire au Moyen-Orient, et tout comme Erdogan a fait comprendre à l'Iran qu'il n'accepte pas les diktats de la Syrie, M. Erdogan n'a pas hésité à nuire à ses liens avec Israël après qu'il ait refusé ses conditions.
Erdogan ne dédaigne pas les relations stratégiques, en particulier depuis qu'il s'est fixé comme objectif déclaré de faire de la Turquie une puissance politique régionale. Mais sa politique est fondée non seulement sur des intérêts politiques et un raisonnement stratégique, mais aussi sur une vision du monde et une idéologie dans laquelle «la morale politique" joue un rôle central.
La politique turque est pleine de contradictions apparentes. D'une part, M. Erdogan attaque Israël pour le blocus et les attaques sur Gaza, alors que la Turquie opère de la même manière contre les militants kurdes du PKK en territoire irakien. «La différence est que les Palestiniens attaquent Israël en raison de l'occupation tandis que la Turquie est attaquée, même si elle n'est pas un occupant», a déclaré un conseiller du gouvernement turc. «La résistance à l'occupation est une chose naturelle, alors que les attaques kurdes en territoire turc sont le terrorisme pur."
Bien sûr, on peut être en désaccord avec cette explication et le concept derrière elle, mais comme Israël, Erdogan est sûr qu'il est de mener des politiques justes et morales, dont une partie est de demander des excuses à Israël.
La combinaison de l'idéologie et de considérations stratégiques ouvre ainsi la voie à la fois pour l'apaisement des tensions ainsi que pour une détérioration. Des excuses rétabliront la relation alors qu'un refus de s'excuser entrainera encore plus de mesures punitives. A partir de maintenant, il n'y aura pas de calendrier prédéterminé, mais tout retard à s'excuser et toutes les mesures punitives supplémentaires permettront d'approfondir non seulement la rupture formelle dans les relations, mais aussi la fin de la proximité presque familiale qui existait entre les deux peuples. L' honneur, comme l'a expliqué Yaalon, est un atout stratégique. Il a raison, tant que cet honneur n'explose pas à son visage et vient briser des intérêts stratégiques vitaux.
Zvi Bar'el
Haaretz 3 septembre 2011
Traduction Jean Corcos