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09 septembre 2011

«Le régime algérien fait preuve de myopie» par Benjamin Stora

Benjamin Stora


LE FIGARO.-Comment expliquez-vous l'ambiguïté du pouvoir algérien à l'égard du conflit libyen?
 
Benjamin STORA.-Elle n'est pas le produit d'une doctrine clairement définie au sommet de l'État. Elle révèle plutôt des atermoiements, des peurs dissimulées sur la conduite à suivre. Il y a aussi des raisons historiques. La matrice culturelle du régime algérien a peu changé depuis l'époque Boumediene. Le fer de lance de la diplomatie algérienne, c'est encore en grande partie l'anti-impérialisme des années 1970. Cela peut paraître difficile à croire, mais les dirigeants algériens donnent l'impression de ne pas tenir compte de la nouvelle donne géopolitique, qu'il s'agisse de la chute du mur de Berlin, de la fin de la guerre froide, de l'élection de Barack Obama… Ils analysent les relations internationales à l'aune de critères révolus, ils se veulent en quelque sorte fidèles à un monde disparu et du même coup font preuve de myopie. À cela s'ajoute la personnalité du président Bouteflika, qui a été longtemps le chef de la diplomatie de Boumediene et qui, à ce titre, a très bien connu Kadhafi. Même si les deux hommes ont eu des différends importants ces derniers temps, en particulier sur les rébellions sahariennes, ils appartiennent à la même génération de combat politique. Le deuxième facteur qui explique cette ambiguïté, c'est un nationalisme exacerbé qui rejette le principe du droit d'ingérence. Enfin, un certain nombre de responsables algériens redoutent que ce printemps arabe ne fasse le jeu d'un islam radical qu'ils ont combattu tout au long des années 1990.

Mais la chute de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi et bientôt peut-être de Bachar el-Assad a de quoi ébranler les dirigeants algériens…
 
Il est clair que le pouvoir est divisé sur la conduite à adopter. Le courant conservateur tient la corde, mais il ne représente pas forcément l'armée. Il y a des islamo-conservateurs ou de vieux nationalistes arabes qui sont toujours au pouvoir, qui s'accrochent au passé et qui ne comprennent pas les aspirations aux changements de la jeunesse arabe, en particulier de la jeunesse berbère, nombreuse, éduquée et à l'affût des bruits du monde.

L'Algérie peut-elle échapper au printemps arabe?
 
Pour la plupart des Algériens, les réformes promises régulièrement par le gouvernement relèvent de l'effet d'annonce. Face à l'immobilisme du régime, il y a une aspiration très forte au changement. Mais le rythme de ce changement ne sera pas le même. Les Algériens ont déjà beaucoup donné dans le passé. La guerre d'indépendance, le printemps berbère, l'instauration du multipartisme en 1988… Le traumatisme de la guerre civile des années 1990 pèse toujours sur la société algérienne. Les Algériens savent aussi par expérience que la chute d'un chef d'État n'entraîne pas forcément la chute de l'appareil qui le soutient. C'est encore plus vrai en Algérie, où le pouvoir est beaucoup plus opaque, complexe et sophistiqué qu'ailleurs à cause notamment de la manne pétrolière, des groupes d'intérêts qui en vivent et du clientélisme qu'elle génère. Et puis l'Algérie est un grand pays, cinq fois la France, 36 millions d'habitants contre moins de 8 millions en Libye. Un espace immense et une population hétérogène qui se compose de Sahariens, de Mozabites, de Kabyles, d'Algérois, d'Oranais qui ne marchent pas forcément du même pas. En outre, l'Algérie est un pays très riche et le pouvoir dispose de ressources financières considérables de nature à empêcher qu'un mouvement de revendications sociales ne se transforme en contestation politique. Malgré cela, les Algériens sont de plus en plus choqués par la répression en Syrie, suivent avec intérêt le processus de démocratisation en Tunisie, et craignent également un possible isolement de leur pays sur la scène internationale. Comment, dans ces conditions, ne pas croire à un changement démocratique en Algérie?

 "Le Figaro" du 31 août 2011
*Auteur de Le 89 arabe, réflexions sur les révolutions en cours, aux Éditions Stock