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13 novembre 2011

Elections tunisiennes : conclusions provisoires



Il faut savoir refermer un dossier, même s'il est aussi passionnant que celui-là ... les premières élections vraiment libres dans un pays arabe, et qui font de la Tunisie - l'expression revient en boucle dans les éditoriaux - un "laboratoire" pour les pays ayant connu le fameux "Printemps" !

Les analyses que je vous ai présentées ici, optimistes ou pessimistes, écrites par des Tunisiens ou des non Tunisiens, vous ont éclairé comme j'essaie de le faire à la radio, en vous faisant entendre des avis différents ... ah, comme elle parait loin l'époque où des professeurs de français m'apprenaient l'art de la dissertation : "thèse, anti thèse, synthèse" : loin, pas seulement hélas parce que plusieurs décennies ont passé, mais parce que ce n'est plus dans l'air du temps. Je m'en rends compte en lisant les "fils de discussion" que je suscite sur ma page FaceBook à propos de l'actualité : Juifs, Musulmans, de droite ou de gauche, la plupart donnent plutôt dans le dialogue de sourds, restant figés sur le "logiciel" qui leur donne une explication pour tous les évènements de la planète !

Mais commençons donc, justement, par FaceBook : j'ai le bonheur de connaitre et de correspondre avec plusieurs Tunisiens et Tunisiennes, cela me permet donc d'avoir le "pouls", comme on dit, plus facilement que la plupart de mes homologues de la blogosphère juive. Et ainsi, cela  m'a permis de tirer une première conclusion : tous les électeurs et sympathisants d'Ennahda ne sont pas "formatés" par l'idéologie des Frères Musulmans, au contraire certains protestent de leur amitié pour les Juifs, et même de leur souhait de coexistence entre Israël et le monde arabe. Étonnant, non ? Un ami tunisien me signalait, même, que Hamadi Jebali, pressenti pour être le futur Premier Ministre, a loué à la télévision la ... démocratie israélienne !

Dans la même idée -  "rien n'est simple dans l'Orient compliqué" - on se tromperait lourdement en espérant de l'opposition "laïque" une audace vis à vis des relations avec Israël : l'idéologie du "Congrès Pour la République" de Moncef Marzouki - dont on a pu lire qu'il était "Youssefiste", du nom de l'ancien opposant nassérien à Bourguiba - est plutôt radicale sur le conflit palestinien ; même hostilité de la part du PDP de Nejib Chebbi ; ou du "pôle Démocratique Moderniste", qui n'hésite pas à défendre dans ses valeurs : «  la lutte contre les mouvements racistes et sionistes » (sic).

Mais une fois rappelé que les choses sont compliquées, il faut quand même garder quelques repères à l'esprit : par ce vote massif en faveur d'Ennahda, le peuple tunisien vient d'exprimer son ancrage profond dans une identité arabo-islamique que l'on croyait moins prégnante que l'autre personnalité du pays, laïque et "métissée", une identité voulue successivement par Bourguiba et Ben Ali. Certes, le parti islamiste se réclame de l'AKP, un modèle donc à la fois attaché à la démocratie et au libéralisme économique. Mais ne rêvons pas non plus : pour ce qui concerne Israël, justement,l'AKP n'est vraiment pas un exemple sympathique à suivre ; le premier geste du nouveau pouvoir a été de fermer le bureau de contact "officieux" de l'état hébreu à Tunis ; le leader du parti, Rached Ghannouchi, a immédiatement dédié sa victoire à la cause palestinienne, en espérant bientôt l'éradication de l'état juif, qualifié de "vermine qui sera bientôt détruite" ... et ce n'est pas ce que disait Jebali dans les colonnes du journal "Le Monde", comme vous avez pu le lire ici ; mais ce n'est pas la première fois, non plus, que des dirigeants disent des choses différentes en arabe et en français ! Et à ce sujet, la diatribe de Ghannouchi contre la langue française, accusée de "polluer l'arabe", ne rend pas non plus sympathique le personnage.

Reste aussi que pour l'électeur tunisien de base - et Ennahda, avec un vote surtout urbain et péri urbain en est vraiment représentatif - d'autres facteurs que le conflit israélo-palestinien ont été bien sûr décisifs : le facteur "moral" a joué, pour un parti qui n'avait jamais été associé aux affaires ; "la base" a manifesté ainsi son hostilité "aux élites", associées à la corruption et à la trop grande proximité vis à vis de la France ; en somme un "islam populaire", pas révolutionnaire comme le modèle iranien, mais marqué par un mélange de nationalisme et de communautarisme !

Revenons, pour finir, à ce que m'écrivait un ami tunisien, et qui me semble à la fois réaliste et très sage : "le problème n'est pas les dirigeants dont la plupart sont hautement diplômés et qui sont rentrés d'exil d'Angleterre, de France et de Suède (remarque, les dirigeants quand ils fuient la dictature ne se réfugient ni en Arabie Saoudite ni au Soudan encore moins au Pakistan ou en Afghanistan...) ; le hic c'est la base fanatisée de ce mouvement, d'où le double discours des chefs de Ennahda, qui dans un souci de rassurer leur base défendent des thèses islamistes d'un côté, et d'un autre prononcent un discours tout a fait opposé à ces thèses, mais sur les plateaux de télévision !"

Jean Corcos