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01 novembre 2009

"Le verrou de l’Asharisme", par Bernard Botturi, 3/3 : Droits de l’Homme, Wahhabisme et islâm contemporain

Le Coran étant la Vérité révélée, toute conduite droite (Charia) est déjà écrite, on peut y intégrer des usages locaux par les divers Fiqhs, mais y toucher c’est remettre en cause Dieu et sa Volonté omnipotente et omnisciente. Respect de la Charia que l’on voit clairement exprimé par diverses Déclarations des Droits de l’Homme d’origine Musulmane telle que la « Déclaration Islamique des Droits de l’Homme » de 1981 :
« Au nom de "Dieu, le Clément, le Miséricordieux", Ce manifeste-ci est une déclaration adressée aux hommes pour servir de guide et de pieuse exhortation à tous les hommes pieux" (3:138).
Introduction
L'islâm a donné à l'humanité un code idéal des droits de l'Homme, il y a quatorze siècles. Ces droits ont pour objet de conférer honneur et dignité à l'humanité et d'éliminer l'exploitation, l'oppression et l'injustice.Les droits de l'Homme, dans l'islâm, sont fortement enracinés dans la conviction que Dieu, et Dieu seul, est l'Auteur de la Loi et la Source de tous les droits de l'Homme. Étant donnée leur origine divine, aucun dirigeant ni gouvernement, aucune assemblée ni autorité ne peut restreindre, abroger ni violer en aucune manière les Droits de l'Homme conférés par Dieu. De même, nul ne peut transiger avec eux.Les droits de l'Homme, dans l'islâm, font partie intégrante de l'ensemble de l'ordre islamique et tous les gouvernements et organismes musulmans sont tenus de les appliquer selon la lettre et l'esprit dans le cadre de cet ordre. »

La Déclaration du Dacca sur les Droits de l'Homme en islâm (OCI 1983) : 
« Les États membres de l'Organisation de la Conférence islamique,
Affirmant leur foi en Dieu, Seigneur des Mondes, Créateur de l'Univers, Source de tous les dons, Qui a créé l'homme dans le meilleur des moules, l'a élevé à une place d'honneur, en a fait Son homme de confiance dans le monde pour qu'il l'améliore, lui a confié des tâches et mis à sa disposition tout ce qui est sur la terre et dans les cieux;
Affirment leur foi en le message du Prophète, SALLA'LLAHU ALEYHI WA SALLAM, envoyé par le Dieu tout-puissant pour tracer la voie et révéler la Religion, symbole de la Miséricorde divine pour émanciper l'opprimé, proclamer l'égalité des hommes, la seule supériorité reconnue étant celle de la piété, et abolir la discrimination et la haine du coeur des hommes que Dieu a dotés de la même âme ;
partagent la même foi en l'unicité de Dieu, ceci étant l'essence même de l'islâm qui enjoint à tous les hommes de n'adorer que Dieu et de ne lui assigner aucun partenaire, qui a jeté les fondations réelles de la liberté de l'homme et de sa dignité, et proclamé son émancipation de l'assujettissement à un autre homme ;
Honorent les injonctions de l'immuable charia islamique qui appelle à la protection de la religion de l'homme, de son âme, de son esprit, de son honneur et de sa descendance ; universelle dans son application, caractérisée par la modération de ses principes et de ses dispositions, qui allie l'esprit à la matière, assure un équilibre entre l'émotivité, l'idéalisme avec la réalité, garantit la justice aux adversaires, sans pour autant susciter répression ou frustration ».

Déclaration du Caire sur les Droits de l’Homme en islâm (août 1990) : 
« Convaincus que, dans l'Islam, les droits fondamentaux et les libertés publiques font partie intégrante de la Foi islamique, et que nul n'a, par principe, le droit de les entraver, totalement ou partiellement, de les violer ou les ignorer, car ces droits sont des commandements divins exécutoires, que Dieu a dictés dans ses Livres révélés et qui constituent l'objet du message dont il a investi le dernier de ses Prophètes en vue de parachever les messages célestes, de telle sorte que l'observance de ces commandements soit un signe de dévotion; leur négation, ou violation constitue un acte condamnable au regard de la religion; et que tout homme en soit responsable individuellement, et la communauté collectivement. ». Et régulièrement on peut lire « conformément à Charia »

Asharisme et Wahhabisme : 
Dans un empire ottoman entrant dans une longue et irréversible décomposition, l’islâm a perdu sa vigueur d’antan, les divers traités ne font que répéter une scolastique asharite, les questions posées par l’émergence de la modernité inaugurée par la Renaissance européenne restent sans réponse. L’islâm semble figé dans une schizophrénie culturelle rabâchant sempiternellement des disputes d’un autre âge, s’assoupissant dans l’opium de la certitude « que tout a été dit alors à quoi bon ». A côté de ce conservatisme se développent des pratiques hétérodoxes : culte des saints, confréries soufies exaltant les transes mystiques, culte d’objets et de lieux ayant appartenus à des imâms prestigieux et autres figures vénérées, laxisme quant aux rites, un Fiqh hanéfite qui par une casuistique pouvait aussi bien condamner un innocent ou mettre hors de cause un criminel.
C’est dans ce contexte qu’un Cheikh arabe Mohammed Ibn Abd Al Wahhab (1703 - 1792) publie le « traité sur l’unité », livre fondateur du wahhabisme, dans ce livre, il prône un retour à la pureté de l’islâm originaire, celui du Prophète et des Compagnons en réaction à un islâm ottoman jugé hérétique parce que éclectique. Et pour appuyer son radicalisme de retour à la source il s’appuiera entre autres sur le fiqh Hanbalite. .
En 1744, l’émir du Nadjd (état client de l’empire ottoman), Mohammed ben Saoud (1725 -1765), adhère aux idées de Wahhab. Cette adhésion n’est pas neutre, elle permet une justification idéologique à ses ambitions indépendantistes, et c’est ainsi qu’en 1749 Mohammed ben Saoud se sépare de la tutelle de l’empire ottoman pour créer un état arabe indépendant et avec lui commencera la dynastie saoudienne.

Le wahhabisme reprendra les thèses de l’asharisme : 
Dieu est un et n'a pas de partenaire. Aucun ne lui ressemble. Les attributs de Dieu sont réels, mais ils ne sont pas semblables aux attributs humains.Dieu est sans corps, sans substance, sans accidents.Dieu crée ex nihilo (en partant de rien). Dieu est créateur avant de créer.Dieu sera vu (de visu) dans l'au-delà, mais sans terme et sans modes. La main, le visage de Dieu sont des attributs réels, comme l'ouïe et la vue.Le Coran est la parole de Dieu incréée et éternelle.
En cela n’est pas son originalité, celle-ci est dans son côté réactionnaire en prônant un retour à la vie musulmane telle qu’elle était vécue du temps du Prophète et des Compagnons et une observance littérale du fiqh Hanbalite. Tout son discours sera involutif et régressif : tout a réponse dans l’origine c’est uniquement par un retour à l’origine que l’islâm peut se régénérer. Tout compromis avec ce qui ne relève pas de l’islâm pur ne peut être que « Bida », innovation dangereuse.
Avec le temps, le wahhabisme par sa réaction à l’empire ottoman apparaîtra aux yeux du monde arabo-musulman comme une doctrine anticoloniale, et fera florès lors de la naissance des nations arabes après l’effondrement de l’empire ottoman.
Par sa valeur « émancipatrice » il redonnera vie au salafisme dont il n’était qu’une variante, mais surtout il servira d’armature idéologique à l’islâm radical politique des « frères musulmans ». Cela dit, il ne faudrait pas confondre les frères Musulmans et le wahhabisme, car cette Confrérie est très hétéroclite, utilise le salafisme comme d’autres courant (soufisme) uniquement dans un but de prise de pouvoir, (de rétablissement du Califat et d’application de la charia), et n’est pas trop regardante sur l’orthodoxie de ses membres.

Certes l’acharisme n’est pas le wahhabisme. Mais comment se distinguer de mouvements qui possèdent les mêmes fondements doctrinaux, dont les différences ne sont que dans les applications plus ou moins souples ou plus ou moins rigides. Comment condamner des mouvements sans soi-même se condamner ?
D’où le silence gêné des musulmans sunnites muselés par l’asharisme face aux débordements des salafistes et autres musulmans radicaux. Certes, ça et là des Imams courageux dénoncent l’islâm des terroristes, des intellectuels musulmans vont même prendre des risques vitaux à les dénoncer ... mais ce sont des exceptions, voire des marginaux se réclamant du soufisme ou d’autres formes en dérivant. Celui qui suscite des applaudissements, c’est Tariq Ramadan homme habile qui sait très bien naviguer entre un asharisme de bon aloi et un salafisme radical selon ses auditeurs.
En fait l’islâm est paralysé par le verrou de l’asharisme qui a plongé le monde musulman dans une schizophrénie culturelle magistralement décrite par Daryush Shayegan. Tant que les intellectuels musulmans ne reviendront pas sur les questions posées par les Mutazilites cet état de choses continuera ...
Le défi est posé, le monde musulman va-t-il continuer à s’involuer en marge de la modernité, de la mondialisation avec tous les risques d’implosion à plus ou moins court terme ; implosion dont les dégâts socio psychologiques seraient incalculables, catastrophiques pour plus d’un milliard d’individus ? Ou bien l’islâm va-t-il procéder à une réforme nécessaire qui abolisse la Charia, renonce aux prétentions coraniques à régenter la vie sociale, politique, culturelle ? Déjà des voix saoudiennes conscientes que la manne pétrolière va se tarir en appellent à une révision des dogmes fondateurs mais seront-ils entendus à temps ?

Bernard Botturi